La réforme du chômage touchera tous les profils. Homme isolé, mère de famille, cohabitants… Les enjeux diffèrent en fonction des profils et chacun devra se sortir de l’ornière différemment. A moins de revoir la notion du mot «travail».
Les chiffres entourant la réforme du chômage ont beaucoup fait parler, ces dernières semaines. En particulier suite à la polémique autour des personnes exclues du droit au chômage malgré leur travail à temps partiel, la sortie erronée sur les origines des exclus du chômage par le ministre Clarinval (MR), et enfin le reportage choc de RTL-TVI (qui est d’ailleurs visé par une enquête du CSA) sur les personnes sans-emploi qui profitent des aides sociales.
Et pour ces trois thématiques, tout le monde s’est écorché sur les chiffres.
Pourtant, Actiris (l’agence bruxelloise pour l’emploi) a publié – avant ces trois momentum – des données très claires sur les profils des exclus du chômage. Dans le même tempo, le magazine «Ensemble!» fournissait un travail statistique assez précis sur les exclus du chômage et leur profil. Le Vif a également sollicité l’Onem (Office national de l’emploi) pour y voir plus clair.
Beaucoup de mères de famille et encore plus d’hommes seuls
Si l’on devait dresser le portrait-robot d’un exclu du chômage, il serait certainement Wallon, comme 85.350 des 184.463 exclus, tandis que 57.400 Flamands sont concernés par l’exclusion du chômage, tout comme 40.775 Bruxellois. «Il», car – du moins à Bruxelles – 55% des exclus sont des hommes. Il serait âgé d’une cinquantaine d’années (60% de cette tranche d’âge est masculine), et n’aurait pas le CESS (le diplôme de fin d’études secondaires), comme 64% des exclus de son âge. La plupart du temps, il vivrait seul étant donné que 66% des exclus du chômage isolés sont des hommes.
En revanche, s’il s’agissait d’une femme (bruxelloise, toujours), son profil serait bien différent, note Actiris. L’exclue bruxelloise est généralement plus jeune, plus diplômée, mais aussi plus souvent à charge d’un foyer ou cohabitante. «Les femmes en fin de droit sont relativement plus représentées dans la catégorie d’âge intermédiaire (48% de femmes parmi les 25-49 ans) que parmi les chercheuses jeunes en fin de droit (43% de femmes parmi les < 25 ans)».
Mais ce portrait-robot n’a, en fait, pas beaucoup de sens. «Parce que personne ne sera épargné, craint le sociologue du travail, Jean-François Orianne (ULiège). Ni les femmes, ni les hommes, ni les vieux, ni les jeunes. Toutes les catégories de chômeurs seront concernées. La mesure ne va pas faire dans le détail, elle va impliquer une démocratisation de la précarité.»
Les chiffres de l’Onem fournis au Vif l’illustrent bien. La première vague d’exclusion, qui concerne ceux qui touchent le chômage depuis plus de 20 ans et les bénéficiaires d’allocations d’insertion depuis plus d’un an, touchera 9.933 femmes et 11.593 hommes. Parmi ces personnes, on compte 3.275 cheffes de ménages pour 2.865 chefs de ménages.
Un chômeur, c’est déjà un travailleur. C’est juste qu’il est privé d’emploi.
La réforme du chômage isolera en revanche encore un peu plus les hommes isolés. Au 1er mars, la deuxième vague (qui exclut les personnes qui ont bénéficié entre huit et 20 ans de chômage) touchera 4.083 femmes isolées pour 9.220 hommes seuls. Et cette différence est encore plus marquante pour la troisième vague, qui surviendra le 1er avril et qui concernera les personnes qui comptent moins de huit ans de chômage, où 3.994 femmes isolées seront exclues, pour 10.523 hommes. «Un homme isolé pourrait être plus susceptible de retrouver du travail car il subit moins de discriminations qu’une maman solo en qui l’employeur voit de nombreuses contraintes potentielles, mais il se heurtera certainement à d’autres défis», souligne Jean-François Orianne.
Pour le sociologue, regarder le profil des exclus du chômage revient à prendre le l’enjeu par le mauvais bout. «Un chômeur, c’est déjà un travailleur. C’est juste qu’il est privé d’emploi. L’enjeu, c’est de rapprocher le marché du travail pour ces travailleurs potentiels. Or, ici le gouvernement fait l’inverse en mettant la pression sur les personnes sans-emploi.» C’est typiquement ce que réclamait Laetitia, interviewée dans le reportage polémique de RTL-TVI sur les personnes sans-emploi. «Ce n’est pas que je ne veuille pas travailler, je cherche activement, mais c’est très difficile, explique-t-elle ce jeudi au Nieuwsblad dans un reportage au cœur de la rue de Dison à Verviers. Mon travail, par exemple, ne devrait pas être trop loin, car j’ai trois enfants et personne pour s’en occuper quand je ne suis pas là.»
Alors, comment «équiper le travail» pour qu’il soit prêt à accueillir les «chercheurs d’emploi» ? En lui donnant une nouvelle définition, suggère Jean-François Orianne, qui pointe le nombre de 319.000 chômeurs en Wallonie pour 41.656 offres d’emploi proposées par le Forem (et seulement 22.247 en Wallonie), dont une importante majorité de CDD assez courts (pour la Wallonie, le Forem propose 5.037 offres en CDI pour 15.165 contrats intérimaires). De ce constat, équiper le travail pour le rendre attractif résonne comme «une mesure sparadrap». «Repenser le travail, cela implique de considérer les personnes qui se forment ou qui prennent soin de leur famille (NDLR: qui sont comptées parmi les 319.000 chômeurs précités) comme des travailleurs.»
Mais ça, pour l’instant, ne va pas vraiment dans le sens du vent politique.