Le pape Léon XIV a reçu en audience le roi Philippe et la reine Mathilde ce lundi. © ABACA

Rencontre privée entre le roi Philippe et le pape Léon XIV: «Une visite privée, ça n’existe pas avec un chef d’Etat»

Thomas Bernard
Thomas Bernard Journaliste et éditeur multimédia au Vif

Le pape Léon XIV a reçu, ce lundi, le roi Philippe et la reine Mathilde au Vatican. Une audience privée, première rencontre du couple royal avec le nouveau chef de l’Eglise catholique, qui rappelle les liens toujours entretenus entre la monarchie belge et la papauté, au fil des époques et des souverains.

La visite, annoncée vendredi, sonnait comme une surprise. Ce lundi midi, le pape Léon XIV a reçu les souverains belges, le roi Philippe et la reine Mathilde, au Vatican. Une discussion dont le contenu restera secret, au vu du caractère privé de la démarche.

«C’est effectivement une audience privée, dont rien ne filtrera. Néanmoins, il faut rappeler que le pape n’est pas seulement un chef religieux, mais aussi un chef d’Etat. Une visite privée, ça n’existe pas avec un chef d’Etat. Côté belge, il faut aussi noter que le Palais se concerte toujours avec le Premier ministre et le ministre des Affaires étrangères lorsque ce type de rencontre s’organise», rappelle Vincent Dujardin, professeur en histoire contemporaine à l’UCLouvain et spécialiste de la monarchie belge.

Si le contenu reste sujet à conjecture, cette première rencontre avec le nouveau souverain pontife, qui a succédé au pape François après le décès de ce dernier le 21 avril, expose en tout cas les liens toujours visibles entre la famille royale et la papauté. La foi catholique des souverains n’a jamais été un secret, mais cette rencontre ne doit pourtant pas donner lieu à surinterprétation, estime Caroline Sägesser, historienne et chercheuse au CRISP. «Ce n’est pas une visite d’Etat, mais bien une entrevue, à titre privé, dont l’importance doit être relativisée. Rien ne contraignait le Palais à communiquer sur cette rencontre en réalité. Si la conviction catholique des souverains est bien connue et profonde, cette rencontre ne revêt pas de véritable portée politique.»

Le roi de tous les Belges

Recevoir le roi et la reine reste donc un symbole, une affirmation que les deux parties échangent et restent en lien d’une certaine façon. Des liens entre la monarchie et la religion catholique qui doivent également être remis dans un contexte plus global. «En Belgique, il y a une séparation entre les religions et l’Etat, mais avec des égards réciproques. Par exemple, il y a en Belgique un financement des cultes, et c’est clair que la place de l’Eglise catholique est encore, parmi les cultes reconnus, la plus importante. Mais le roi se veut être à l’écoute de tous les courants philosophiques et religieux en tant que chef d’Etat. A titre personnel, ses opinions religieuses et ses convictions sont bien connues, mais il veille à être le roi de tous les Belges. C’est ainsi que vous trouverez dans la liste des audiences qu’il accorde au Palais, à la fois le président de l’exécutif des musulmans, des représentants de la communauté juive, des orthodoxes, des protestants, des anglicans, mais aussi les présidents du Centre d’action laïque ou de l’Union des associations laïques, notamment», précise Vincent Dujardin.

Caroline Sägesser abonde: «Le roi pourrait parfaitement ne pas être catholique. Si la laïcité n’est pas inscrite dans ses statuts, il n’y a pas de religion officielle en Belgique. On peut discuter de ce qualificatif, mais je considère que la Belgique est un Etat laïc, nonobstant le financement public des cultes. Ça n’a donc rien à voir, par exemple, avec l’Angleterre où le roi Charles III est également le chef de l’Eglise anglicane.»

Des liens historiques variables

Les échanges entre royauté et papauté ont pu évoluer dans le temps, notent les deux experts. Les trois derniers souverains ont ainsi alterné les rapprochements et, parfois, les distensions. Une histoire des relations qui s’est construite au fil des règnes et des pontificats. «Les liens entre la monarchie et la papauté ont pu varier, au regard des alchimies qui peuvent exister entre les hommes tout simplement, note Vincent Dujardin. Le roi Baudouin par exemple était clairement plus proche de Jean-Paul II que de Pie XII. Les contacts entre Paul VI et Baudouin étaient également moins fluides qu’avec Jean-Paul II. On se souvient aussi que lorsque Jean-Paul II est venu en 1995 pour la béatification du père Damien, il a eu l’initiative, alors que ce n’était pas prévu dans le programme, de venir se recueillir sur le tombeau du roi Baudouin, à la crypte de Laeken. Il y avait là la marque d’un vrai lien.»

Caroline Sägesser note pour sa part que «le roi le plus dévot, le plus profondément catholique a été le roi Baudouin», avec un moment de tension autour de la loi concernant l’avortement, en 1990, qui reste encore dans toutes les mémoires. «J’observe depuis lors qu’il y a quand même un peu un retrait, une pratique religieuse catholique moins ostentatoire de la part de la famille royale actuelle

Le Vatican, lieu d’échanges diplomatiques

La réception du roi Philippe poursuit ces évolutions historiques des relations entre l’Eglise et la famille royale. Une audience au Vatican qui reste, au-delà de l’aspect religieux, un haut lieu de la diplomatie internationale. «Le pape est aussi un chef d’Etat et le Vatican reste un lieu d’échanges. L’un des derniers moments forts qui le rappelle au besoin s’est produit lors des funérailles du pape François, où pas moins de 60 chefs d’Etat et têtes couronnées étaient présents. On se souvient évidemment à cette occasion du dialogue entre les présidents Donald Trump et Volodymyr Zelensky, sur deux chaises, dans la basilique Saint-Pierre», souligne Vincent Dujardin.

Si à l’occasion d’événements de cette envergure, rassemblant de nombreux dignitaires, les discussions approfondies sont impossibles, une audience privée permet probablement d’évoquer davantage de sujets. Peut-être aussi des thématiques plus «belges». Caroline Sägesser rappelle ainsi deux dossiers potentiels: «Le premier, évidemment, c’est celui des abus sexuels. On sait que le pape va recevoir une délégation de victimes belges dans un avenir proche. Une autre hypothèse à laquelle on songe, c’est le dossier de la béatification du roi Baudouin. François avait pris tout le monde de court en évoquant cela et en ouvrant ce dossier au Vatican. On sait que le Palais n’était pas enchanté par cette initiative et qu’effectivement c’est regardé par le monde politique comme étant quand même un sujet assez sensible.»

Des hypothèses donc, qui rappellent avec force que si la pratique religieuse s’efface progressivement au sein de la société belge, l’Eglise catholique y garde une place et une importance particulière.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Expertise Partenaire