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Précompte immobilier: pourquoi le «revenu cadastral» rend fous les propriétaires belges (les 6 réponses d’un expert)

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

Calculé à partir de données vieilles de 50 ans, le précompte immobilier reste l’un des impôts les plus opaques et inégalitaires du pays. A tel point que deux biens similaires peuvent être taxés du simple au triple.

Rares sont les propriétaires qui ne grimacent pas au moment d’ouvrir l’enveloppe annuelle du du SPF Finances à l’objet peu réjouissant: «Précompte immobilier – PRI».

Il faut dire que l’impôt, adressé aux propriétaires d’un bien immobilier et communément appelé «revenu cadastral», suscite parfois incompréhension et frustration, à force d’augmenter irrémédiablement d’année en année, de varier fortement selon les types de biens et leur localisation. Une maison cinq chambres à Rebecq? «Je paie 750 euros par an.» Une autre à Schaerbeek? «2.400 euros!» De quoi, effectivement, susciter des interrogations. En voici six (et leurs réponses), pour mieux comprendre comment fonctionne le précompte immobilier.

1. Précompte immobilier: quelle est la base de calcul?

Pour calculer le montant final du précompte immobilier, les Régions (qui perçoivent en partie l’impôt) se basent sur une norme fédérale datant de… 1975. Elle n’a plus été modifiée depuis. Elle porte le nom de «péréquation cadastrale», une étude systématique de tous les immeubles en Belgique. «Cette analyse établit les critères du revenu cadastral, qui représente la valeur locative estimée d’un bien en 1975», contextualise Aurélien Bortolotti, avocat spécialiste en fiscalité immobilière.

A l’époque de référence, habiter en ville était largement plus prisé. Mais 50 ans plus tard, la dynamique s’est inversée. «Ce qui explique pourquoi les grandes maisons à la campagne ont généralement un revenu cadastral plus bas qu’un bien situé en ville, plus petit.»

S’il était initialement prévu de réaliser une nouvelle péréquation tous les dix ans, l’option a finalement été écartée par les décideurs, au vu de la complexité et de la durée de la tâche.

2. Précompte immobilier: comment est-il indexé?

Pour l’administration fiscale, il fallait toutefois trouver un moyen de faire concorder le montant du précompte immobilier avec la situation économique du moment. Il aurait été illogique, en effet, de toujours se baser sur les prix d’un marché ancien. Pour ce faire, un système d’indexation a été mis en place. Originalité de la chose: il se base sur… les prix à la consommation. C’est la raison pour laquelle l’index appliqué au précompte augmente chaque année, suivant l’inflation. «Cet indice ne concerne absolument pas le marché immobilier, mais il a tout de même été lié au calcul», s’étonne Aurélien Bortolotti.

Récemment, deux indexations importantes ont eu lieu: + 3,58% en 2022, + 11,08% en 2023, également répercutées sur les salaires. En peu de temps, le précompte immobilier a donc augmenté d’environ 15%, uniquement par l’effet de l’indexation (d’autres couches d’impôts s’ajoutent, lire par ailleurs). Depuis sept ou huit ans, l’indice des prix à la consommation ne cesse d’augmenter de manière significative. «La tendance sera donc toujours croissante. Elle représente une charge de plus en plus lourde pour les propriétaires.»

3. Précompte immobilier: quelles couches additionnelles?

Sur ce revenu castral indexé par le fédéral, d’autres couches s’ajoutent: les «centimes additionnels». «Centimes», un sacré euphémisme pour cet impôt supplémentaire perçu par les provinces et les communes. Ces dernières ont le pouvoir de les augmenter considérablement. Et ne s’en privent pas! Cette taxe représentant, en moyenne, 20% d’un budget communal. «Une concurrence fiscale féroce s’est mise en place entre communes et provinces pour obtenir des centimes additionnels très élevés», souligne Aurélien Bortolotti.

Des différences astronomiques découlent de ces dynamiques à la fois régionales, provinciales et communales. Le fiscaliste donne un exemple volontairement exagéré: «Pour un même revenu cadastral de 4.000 euros de base, on paierait 4.140 euros à Gand, 4.521 à Bruxelles, 5.431 à Liège ou Charleroi.» La Wallonie est donc la plus gourmande, de loin.

4. Comment le bien est-il évalué?

En plus de ces iniquités, un élément, plus local encore, se greffe à l’addition finale. En 1975 (toujours), le territoire belge a été cartographié et les montants cadastraux ont été définis selon les quartiers, voire… les rues. A Bruxelles, par exemple, les quartiers ont été classés de un (le plus demandé) à huit (le moins prisé). Le revenu cadastral de base oscille aussi selon cette note d’attractivité.

Problème de taille: la classification de l’attractivité des quartiers ne correspond plus (du tout) à la situation actuelle. «A Bruxelles, Molenbeek, par exemple, était très bien classée en 1975. Le revenu cadastral y reste donc toujours élevé aujourd’hui», illustre Aurélien Bortolotti. Pour un bien nouvellement construit, la loi de 1975 continue de s’appliquer.

Par ailleurs, si le type de logement est pris en compte dans le calcul du cadastre (maison une, deux, trois façades…), des critères spécifiques («biens d’exception», commerces) peuvent également faire gonfler l’addition.

Cerise sur ce copieux gâteau fiscal: les immeubles, à l’époque, étaient également évalués selon des critères de «richesse» (avoir un chauffage central en était un, tout comme… ne pas avoir de douches à la cave). Des conditions d’un autre temps «toujours prises en compte dans le calcul de base actuel».

5. Comment faire baisser la facture?

Pour alléger cette lourde lasagne de taxes, les possibilités se révèlent (très) limitées. Théoriquement, avoir deux enfants à charge (moins 250 euros), être en situation de handicap, être un «grand invalide de guerre», ou détenir un logement modeste/nouveau peuvent réduire la note.

En principe, d’autres réductions sont prévues par le code des impôts sur le revenu (article 12) pour toute une série d’institutions (cultes, enseignement, soins de santé, œuvres de bienfaisance), mais en Région wallonne, des conditions supplémentaires font barrage à ces exonérations. «Beaucoup de personnes ne bénéficient donc plus de certaines réductions pourtant prévues par le fédéral», déplore Aurélien Bortolotti. Pour les plus motivés, obtenir gain de cause nécessite alors souvent un passage par le tribunal.

En théorie, donc, si des exonérations sont possibles, elles sont rendues inapplicables par l’administration fiscale régionale. «A part pour les enfants à charge, il est rare de voir des personnes obtenir d’autres réductions», assure le fiscaliste.

6. Peut-on demander une révision de son revenu cadastral de base?

En principe, c’est possible. Dans les faits, peu de monde en bénéficie. «Il faudrait remettre sa salle de bains à la cave», ironise Aurélien Bortolotti. En cas de révision, «on se dirige donc souvent vers une augmentation» du montant au vu de la modernisation constante des bâtiments (nouvelle salle d’eau, agrandissement…).

Le système du précompte immobilier, lui, ne se rénove plus. Cinquante ans après, il repose toujours sur des fondations datées, consolidées à coups d’indexations et de centimes additionnels. Faute de réforme structurelle, la Belgique continue d’empiler les briques fiscales… sans jamais remettre les plans à plat.

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