Impossible d’imposer terme plus dévastateur pour desservir la cause écologiste. Et condamner les verts à ne jamais se remettre totalement d’une bévue communicationnelle qu’ils n’avaient pas vue venir.
Il y y a des élections dans l’air, les propos se font perfides, les formules assassines, les mots sont pesés pour appuyer là où ça doit faire mal chez l’adversaire. Déjà, Ecolo a commencé à souffrir. A endurer le rappel d’un souvenir traumatisant élevé au rang de gros mot : » écotaxes « . Vieille histoire. Les jeunes tentés par la vague verte ne peuvent l’avoir en mémoire, les plus âgés l’auront plus ou moins zappée. Qu’à cela ne tienne : des âmes charitables, à gauche comme à droite, sont toutes disposées à la leur conter, sans jamais se lasser.
Une fiscalité verte qui décourage au lieu d’encourager.
Il était donc une fois de vilaines écotaxes. Elles voient le jour, il y a de cela vingt-cinq ans, à la faveur d’un drôle de troc. Bien embêté de ne pouvoir compter sur ses seules forces pour boucler une énième réforme de l’Etat, le gouvernement Dehaene I (sociaux-chrétiens et socialistes) fait du pied à la tribu des écologistes qui a pris ses quartiers au Parlement. Ces amis de la nature et ennemis de ce qui pollue, cantonnés dans l’opposition, seront gens de bonne composition mais à une condition : qu’on déclare une guerre aux montagnes d’emballages en faisant advenir une fiscalité nuisible aux produits les plus polluants. Tope là, accord de la Saint-Michel conclu en 1993 : la Belgique ne sera pas que fédérale mais aussi plus écologique.
A bas les déchets, vive la consigne. Récipients pour boissons et produits industriels, appareils photos jetables, piles et rasoirs : produire des déchets jetables sera passible d’une taxe. Jusqu’à 15 francs belges (0,37 euro) pour l’emballage non réutilisable de boisson écotaxé au taux plein. Le monde patronal râle, les syndicats grognent, les lobbies hurlent au » chaos « . Mais derrière l’impopularité de toute taxation, quel dessein plus noble que de vouloir détourner le consommateur de produits moins générateurs de nuisances écologiques ?
Merci donc de réserver bon accueil à l’écotaxe, attendue dans les rayons à partir de 1994. Sauf que très vite, son existence légale se complexifie à mesure que le mécanisme est vidé de sa substance. Il subit aussi la riposte des milieux industriels qui créent Fost Plus, voué à financer la collecte et le recyclage de déchets. D’exemptions en abrogations partielles, de phases transitoires en taux de taxation » préférentiels « , la famille des écotaxes est marginalisée et son acte de décès est notifié au Moniteur à l’été 2002. Les dernières à survivre valsent à la poubelle le 1er janvier 2013. Non sans un hommage subtilement rendu par le Conseil d’Etat, invité à valider l’ultime mise au rebut de » la seule fiscalité à laquelle on pouvait se soustraire en toute légalité « .
Le poids du mot, le choc pour Ecolo
Exit l’écotaxe, condamnée sans avoir pu faire ses preuves. Les Ecolos prennent le deuil mais pour eux, le pire reste à venir. Leur réputation est faite : pas si sympas que ça, ces petits hommes verts qui découvrent mais un peu tard les ravages durables que peut causer un mot malheureux. » Ecotaxe » ou l’alliance repoussante de l’écologie et de la taxation, l’incarnation brutale d’une fiscalité verte qui décourage au lieu d’encourager.
Eux n’avaient pas vu le mal venir. » Le terme s’est imposé naturellement, emprunté au vocabulaire d’usage courant en économie de l’environnement et notamment au sein de l’OCDE « , croit se souvenir Philippe Defeyt, alors député Ecolo et père porteur des écotaxes. Au sein de la jeune planète verte, les communicants ne sont pas encore à l’oeuvre et nul ne songe à concevoir un emballage moins rebutant. » L’écotaxe était portée par les politiques, soufflée par les techniciens, sans approche communicationnelle « , embraie Eric Biérin, longtemps responsable de la communication des verts. » A l’époque, Ecolo restait encore à la lisière du monde politique et de l’actualité, sans prendre conscience du poids que peuvent avoir les mots. Personne n’a songé à des alternatives. Ce fut une erreur communicationnelle majeure sur une forme de taxation pourtant très intelligente « , regrette Christophe Derenne, directeur d’Etopia, centre d’étude en écologie politique proche d’Ecolo. » En y réfléchissant après coup, » taxe « , c’est le sommet du pire, encore plus négatif que le mot » impôt » associé à un aspect redistributif « , renchérit le député Marcel Cheron.
Les verts sont pris en flagrant délit d’écologie punitive. Et se prennent des coups sur la tête aux élections qui suivent en 1994-1995. Ils ont candidement tendu le bâton avec lequel les autres partis ne cesseront plus de les battre. Ceux-là jubilent, ont laissé l’écotaxe s’incruster dans les esprits et s’ingénient à entretenir la flamme du souvenir. Depuis l’opposition, les libéraux francophones ont fait leur miel des » écolotaxes « , de » l’écodirigisme aveugle « . Et lorsque Didier Reynders (MR), ministre des Finances sous Verhofstadt II (socialistes – libéraux), recycle en 2004 la défunte écotaxe en écobonus, c’est pour mieux convertir la punition en récompense. » Les écotaxes, c’était le bâton, les écobonis, la carotte « , commente le grand argentier, jamais le dernier à remuer un couteau dans une plaie.
Une légende urbaine est née
L’écotaxe est une affaire classée, y compris chez Ecolo. Enterrement » non seulement d’une bonne idée mais de la seule bonne idée, celle qui a plus que jamais du sens « , décoche l’économiste Etienne de Callataÿ. » Rendre plus cher ce qui pollue et beaucoup plus cher ce qui pollue beaucoup est une philosophie parfaitement compatible avec l’économie de marché. Une taxe qui responsabilise, socialement accompagnée pour les moins favorisés, est la plus libérale qui soit. » Au lieu de cela, observe l’économiste, s’est installée » une légende urbaine « , celle de l’écotaxe bête et méchante. » Ce qui lui est arrivé est comparable à la prohibition aux Etats-Unis. Ce qui est toujours dépeint, non sans raison, comme une mauvaise stratégie de lutte contre l’alcool a aussi conduit à réduire de moitié le taux de cirrhose du foie. »
» J’accepte « l’hommage » de l’industrie : nous avons forcé une politique de recyclage à la pointe dans le monde « , lâche Philippe Defeyt, aujourd’hui économiste. » Les esprits ont mûri : un large courant de la population veut tendre au zéro déchet, sur base volontaire. Aurait-on pu accélérer le mouvement par les écotaxes ? Oui, sans doute. On a perdu des années au nom de calculs électoraux court-termistes et de bas étage « . Regrets éternels. La formule attribuée à Albert Camus vient à l’esprit de Marcel Cheron, le vétéran de l’écologie parlementaire se fait philosophe : » Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde. »