Enseignant dans un lycée en France, Jérémie Fontanieu réfute l’idée selon laquelle les professeurs sont les seuls en mesure de «sauver les enfants» de l’ignorance. Les temps ont changé.
Aux écueils connus que rencontrent les enseignants pour exercer de la meilleure façon qui soit leur métier –«des salaires qui stagnent», «des politiques éducatives absolument pas à la hauteur des enjeux», «des violences croissantes»…–, Jérémie Fontanieu, professeur de sciences économiques et sociales dans un lycée de Drancy, dans le département de la Seine-Saint-Denis, au nord de Paris, en ajoute un qui surprendra: l’héroïsation du professeur. Il en explique les ressorts dans un essai interpellant, Le Mythe du prof héros (1). La démonstration prend sans doute une épaisseur particulière dans le contexte de la France, où à partir du XIXe siècle, ont reposé sur les professeurs (déployés en «hussards de la République») les espoirs de survie du régime républicain contre le cléricalisme. Mais le monde de l’enseignement en Belgique y trouvera sans doute des ressemblances avec sa situation.
La solitude du professeur est, en 2025, un fardeau alors qu’elle était vantée comme un atout au XIXe siècle.
Pourquoi «le mythe du prof héroïque» représenterait-il un danger? Parce qu’il entretient l’idée absurde «qu’un ou une pédagogue puisse, par ses seuls moyens, faire réussir tous ses élèves», écrit Jérémie Fontanieu. Le «prof héros» est alors investi par la société de vertus qui sont autant de commandements («Tu aimeras les élèves», «Tu seras dévoué(e)», «Tu seras moralement exemplaire») qu’il ne peut pas humainement tenir, qui plus est en regard de l’évolution de la société. L’auteur note ainsi qu’«aux concours de l’Education nationale, l’épreuve « Agir en fonctionnaire de l’Etat, de manière éthique et responsable » avait été mise en place en 2011 par un président de la République qui est aujourd’hui sous bracelet électronique». Or, le discrédit du politique affecte nécessairement les enseignants, comme toute autre profession d’autorité. Dans ces conditions, la solitude du professeur face à des élèves «souvent passifs ou qui montrent même ouvertement que ce qu’on leur propose ne les intéresse pas» est, en 2025, un fardeau alors qu’elle était vantée comme un atout au XIXe siècle.
Cependant, tout n’est peut être pas perdu. Jérémie Fontanieu ébauche des pistes de solutions. Celle mise en œuvre par le collectif Réconciliations dans son lycée, qui consiste à associer les parents au projet scolaire (conversation au début de l’année pour indiquer l’ampleur du défi, et sms de suivi toutes les semaines) semble apporter des résultats encourageants. Enseigner est un travail collectif.