Georges-Louis Bouchez a jeté un pavé dans la mare en voulant toucher aux allocations familiales. © Belga

«Une petite musique conflictuelle s’est installée»: pourquoi les allocations familiales électrisent les relations MR- Les Engagés

A l’aube des discussions budgétaires wallonnes, la question des allocations familiales tend les relations entre le MR et Les Engagés. Jusqu’à les rompre? Analyse avec deux politologues.

Les Engagés et le MR seraient-ils en froid? Les deux camps affirment que l’ambiance de travail reste bonne. Il n’empêche que le dossier des allocations familiales, sur lesquelles Georges-Louis Bouchez veut économiser dans le cadre des discussions budgétaires wallonnes, installe une tension entre les partenaires de gouvernement.

Au printemps, le président libéral s’interrogeait déjà sur le traitement à réserver aux familles de plus de quatre enfants. «Faut-il continuer à assumer tous les choix personnels des individus?», se demandait le Montois. Yves Coppieters (Les Engagés), ministre wallon compétent en la matière, rappelait alors que l’accord de gouvernement ne prévoit pas cette ouverture, évoquant seulement une possibilité «d’optimisation» des allocations familiales.

«Un enfant est un enfant»

Jean-Paul Bastin, chef de groupe des Engagés au sein du parlement de Wallonie, estime que faire une différence à partir du cinquième enfant n’est pas une bonne idée. «On ne peut remettre en cause qu’un enfant reste un enfant, quel que soit son ordre d’arrivée dans la fratrie. Les allocations familiales ne sont plus progressives depuis 2018, et on doit s’adapter à l’évolution de la société, qui comprend aujourd’hui des familles plurielles. Les droits de l’enfant doivent rester notre boussole

De son côté, Georges-Louis Bouchez constate que près de trois milliards d’euros du budget wallon financent les allocations familiales, sur un total de 22 milliards. L’économie qui découlerait d’une limitation des allocations au-delà du quatrième enfant est difficile à estimer, au vu des différents régimes et critères utilisés pour calculer les montants touchés par les familles. Mais selon le SPF Economie, la Région wallonne compterait 12.996 enfants ou jeunes de 25 ans maximum nés dans une fratrie comptant déjà quatre enfants au 1er janvier 2024.

«Nous connaissons la situation financière difficile de la Wallonie, mais dire que l’effort budgétaire sera fait sur le dos des familles nous semble maladroit, voire inopportun.»

D’après Jean-Paul Bastin, la réforme voulue par Georges-Louis Bouchez concernerait 9.000 enfants, avec une économie «d’environ 30 millions d’euros» à la clé. «Nous connaissons la situation financière difficile de la Wallonie, mais dire que l’effort budgétaire sera fait sur le dos des familles nous semble maladroit, voire inopportun», continue le chef de groupe des Engagés.

Qu’en pense le reste du MR?

Valérie De Bue, cheffe de groupe des libéraux au parlement de Wallonie, et ministre en charge des allocations familiales dans le précédent gouvernement, temporise: «Il ne faut pas avoir de tabou. Il est légitime de se poser des questions dans le cadre des débats budgétaires, mais c’est bien la feuille de route du gouvernement qui doit guider notre réflexion». Elle assume que le désaccord avec Les Engagés dépasse la question budgétaire. «Savoir à quel point l’Etat intervient dans le choix de vie des individus est une question philosophique, dont nous ne discuterons pas lors du conclave», assure la cheffe de groupe.

La proximité temporelle du conclave, qui se tiendra le 29 septembre, explique en partie pourquoi Georges-Louis Bouchez souhaite mettre le sujet à l’ordre du jour. «Tant le MR que Les Engagés recentrent leur communication sur le fait que la situation économique est difficile, et qu’il va falloir faire des efforts, pose Pascal Delwit, professeur de science politique à l’ULB et membre du Centre d’étude de la vie politique (Cevipol). Chacun essaie de marquer son territoire, de faire remonter ses vues à l’agenda des discussions budgétaires.»    

La «pression» de Georges-Louis Bouchez

Les bisbrouilles entre partenaires peuvent aussi s’expliquer par la façon de communiquer du président libéral. «Il affectionne d’amener de nouvelles idées, parfois en jetant un pavé dans la mare. C’est une manière de faire pression», analyse Benjamin Biard, politologue au sein du Centre de recherche et d’information socio-politique (Crisp). «Il aime rester au cœur de l’attention médiatique, ce qui implique d’imaginer sans cesse des narratifs», complète Pascal Delwit.

Concernant celui de limiter les allocations familiales au-delà du quatrième enfant, le professeur de l’ULB avance une hypothèse: «Dans l’imaginaire collectif, ce sont les familles d’origine étrangère qui ont beaucoup d’enfants». La réforme voulue par le président du MR viserait, toujours selon Pascal Delwit, non plus les familles mais ceux qui «trichent, en bénéficiant du système».

«Historiquement, la revendication des allocations familiales est étroitement liée au pilier catholique. Parce que, dans la pensée catholique, l’acteur premier est la famille.»

Si les propos de Georges-Louis Bouchez font dresser des poils du côté des Engagés, c’est aussi en raison des racines catholiques du parti centriste, pour qui la famille a toujours été importante. «Historiquement, la revendication des allocations familiales est étroitement liée au pilier catholique, rappelle Pascal Delwit. Parce que, dans la pensée catholique, l’acteur premier est la famille. Dans la pensée libérale et socialiste, il s’agit de l’individu.»

«Une petite musique conflictuelle s’est installée»

Un autre facteur attise les tensions entre le MR et Les Engagés. Chacun cherche à se différencier de l’autre, pour «marquer de son empreinte les activités gouvernementales», selon Benjamin Biard. «On sent bien qu’une petite musique conflictuelle s’est installée en arrière-plan entre les deux partenaires», développe encore Pascal Delwit. Une musique amplifiée par certaines attitudes, comme le refus de Georges-Louis Bouchez de reconnaître la Palestine en tant qu’Etat, qui agace le ministre fédéral des Affaires étrangères et ex-président des Engagés Maxime Prévot.

Les conséquences de la divergence opposant le MR et Les Engagés dans le dossier des allocations familiales devraient rester limitées. Ainsi, Benjamin Biard n’imagine pas que le gouvernement wallon tombe sur cette question. «Stratégiquement parlant, ce serait trop tôt pour Les Engagés. Et de toute manière, il y a déjà eu et il y aura encore d’autres points de tension entre les partenaires.»

Nathan Scheirlinckx

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