Theo Francken a un incroyable talent: 8 appels à la démission, mais jamais inquiété. © BELGA

Theo Francken a un incroyable talent: 8 appels à la démission, mais jamais inquiété, quel est son secret?

Dans l’Arizona comme dans la Suédoise, le ministre N-VA Theo Francken a traversé les polémiques sans jamais céder sa place. Un cas d’école dans la vie politique belge: comment survivre à huit appels à la démission. Dernier en date, son refus de dire «Vive la Belgique» le 21 juillet.

En deux mandats politiques au sein d’un gouvernement, d’une durée cumulée de quatre ans et sept mois, Theo Francken (N-VA) a fait l’objet de huit appels à la démission. Sont comptées uniquement les demandes formulées devant le Parlement par un élu. Mais aucune n’a fait mouche, et peu ont suscité une réaction de sa part. Le ministre de la Défense, anciennement secrétaire d’Etat à l’Asile et à la Migration entre octobre 2014 et décembre 2018, n’est jamais tombé.

Pour son refus de scander «Vive la Belgique» ce 21 juillet, jour de fête nationale, Theo Francken peut ajouter une ligne à sa liste des demandes de destitution. Par le biais de plusieurs élus, le PS a réclamé sa démission et entend le confronter sur la question au Parlement.

«Choquant, irrespectueux, scandaleux venant d’un ministre belge. Qu’il démissionne et postule au gouvernement flamand», suggère Ludivine Dedonder (PS), ancienne ministre de la Défense au cours de la législature précédente.

«Une faute très grave», dénonce Elio Di Rupo (PS), député européen et ancien Premier ministre.

François De Smet (DéFI), autoqualifié de grand défenseur des francophones, juge plutôt une continuité symbolique cohérente de la part du nationaliste flamand : «Notre ministre de la Défense a déjà indiqué détester sa propre nationalité, et qu’il ouvrirait le champagne à la disparition de la Belgique. Ceci n’est donc guère étonnant.»

Une pétition pour demander la démission de Theo Francken cumule près de 40.000 signatures. Mais pas de quoi inquiéter le ministre de la Défense. La précédente demande de destitution date d’avril dernier, lorsque le nationaliste flamand avait posté sur ses réseaux sociaux une image créée par l’IA, montrant une figure «Starter pack» à son effigie, à côté d’un livre intitulé «La fin de la Belgique pour les nuls.»

Ecolo et le PS demandaient son exclusion du gouvernement. Un appel resté sans réponse, vite oublié.

Recette pour une démission

En Belgique, rien n’oblige juridiquement un ministre à démissionner, même en cas de faute politique grave. La Constitution prévoit que les ministres sont nommés et révoqués par le Roi, sur proposition du Premier ministre, et qu’ils sont responsables devant la Chambre. Mais cette responsabilité reste essentiellement politique: il n’existe juridiquement pas de motion de méfiance individuelle au niveau fédéral, contrairement aux régions ou aux communes.

Il y a, par contre, dans le règlement de la Chambre, la possibilité de déposer une motion de méfiance visant un membre du gouvernement. Ce retrait de la confiance doit être voté à la majorité absolue, ce qui implique que des parlementaires de la majorité doivent se retourner contre l’un de leurs ministres.

Lorsqu’un scandale éclate, la pression s’exerce d’abord par des interpellations parlementaires, des appels à la démission dans les médias ou des menaces internes au sein de la majorité. Si la situation devient intenable, le ministre peut remettre sa démission, qui ne devient effective qu’une fois acceptée par le Roi et publiée au Moniteur belge.

Dans la pratique, ce sont les partis qui décident du sort de leurs représentants, souvent pour préserver l’équilibre de la coalition. La démission reste avant tout un acte symbolique. Elle vise à restaurer la confiance publique et à endiguer la crise politique, plus qu’à répondre à une obligation légale.

Theo Francken retombe toujours sur ses pattes

Si Theo Francken a survécu à huit tentatives de destitution, c’est d’une part parce qu’il bénéficie du soutien indéfectible de son parti, et que les accusations dont il est question ne jurent pas avec ses promesses électorales. «Il n’a jamais caché son nationalisme ni son aversion pour la Belgique en tant qu’Etat fédéral. Ni sa politique sévère, voire répressive, sur l’immigration. Ses électeurs attendent ça de lui», note un observateur proche du ministre.

Dans cette lignée, le scandale de l’affaire des Soudanais illustre son agilité. En septembre 2017, le secrétaire d’Etat à l’Asile et à la Migration autorisait le Soudan à envoyer une délégation à Bruxelles pour y identifier certains de ses ressortissants en exil. Het Laatste Nieuws, la RTBF et le New York Times révélaient que ces demandeurs d’asile avaient été arrêtés puis expulsés au Soudan, où ils furent torturés: coups, électrochocs, interrogatoires intensifs…

L’opposition parlementaire s’empara du scandale et demanda la démission de Theo Francken via le vote d’une motion de méfiance.

Mais il n’en fut rien. Bart De Wever vola à son secours, en menaçant ses partenaires de majorité de retirer la N-VA de la coalition «suédoise». Résultat, même si une motion de méfiance fut déposée au Parlement par le cdH (devenu Les Engagés), personne ne suivit, et Theo Francken continua sa fonction sans être inquiété. Une fois sauvé, ce dernier avoua: «J’ai menti sciemment au sujet du moratoire sur les expulsions des Soudanais. Je vous présente mes excuses».

Pour le professeur en sciences politiques à la VUB et expert du nationalisme flamand Dave Sinardet, Theo Francken a une aura d’intouchable: «Les appels à la démission sont souvent symboliques. C’est une façon pour l’opposition d’émettre une critique ou de souligner la gravité des faits. Il est rare d’avoir une suite. Alors pour Theo Francken, ça paraît encore plus improbable. Il bénéficie du soutien de ses électeurs et de son parti qui l’utilise comme un bouc émissaire utile, qui canalise les polémiques, et qui s’en renforce. Il est aujourd’hui impensable qu’il démissionne dans un futur proche. Même quand il avait fauté politiquement en 2017 avec l’affaire des Soudanais, son parti l’a soutenu. Tant qu’il a ses électeurs derrière lui et qu’il respecte la ligne du parti, il peut tout dire sans être inquiété.»

Les huit tentatives de destitution

14 octobre 2014: la révélation de la présence de Theo Francken à l’anniversaire de Bob Maes, ex-collaborateur du Vlaams Nationaal Verbond (VNV), entraîne des appels instantanés à sa démission venus du PS, du sp.a (Vooruit), du PTB et du FDF (DéFI); malgré le tapage médiatique, aucune motion n’est déposée et l’affaire se tasse en quelques jours.

15 octobre 2014: la fuite de courriels où Francken tient des propos jugés homophobes et dénigre l’Etat belge rallume la fronde; Catherine Fonck (cdH) annonce une motion de défiance, rejointe par Ecolo et DéFI, mais le texte n’aboutit jamais au vote.

21 septembre 2017: l’invitation d’une délégation soudanaise chargée d’identifier des migrants déclenche une salve d’appels à la démission réclamée par Groen/Ecolo, le PS, le cdH et DéFI; les critiques restent verbales, sans procédure formelle.

22 décembre 2017: après les témoignages de migrants soudanais torturés à leur retour, les mêmes partis déposent une motion de méfiance individuelle, la seule du parcours de Francken; elle est rejetée faute de majorité absolue, et le secrétaire d’Etat conserve son siège.

18 mai 2018: la mort de la fillette Mawda lors d’une course-poursuite policière pousse le PTB et Ecolo à exiger la démission du secrétaire d’Etat, mais l’émotion ne débouche pas sur une motion et s’éteint lors de l’enquête judiciaire.

5 juin 2018: en suggérant de contourner l’article 3 de la CEDH pour pratiquer des «push-backs», Francken suscite de nouveaux appels au départ émanant du PS, de DéFI et d’Ecolo, restés sans suite parlementaire.

15 avril 2025: devenu ministre de la Défense, il relaye une image IA le présentant avec un manuel fictif intitulé «La Fin de la Belgique pour les nuls»; le PS et Ecolo demandent son exclusion du gouvernement, mais ni motion ni interpellation n’aboutissent.

21 juillet 2025: son refus public de dire «Vive la Belgique» lors de la fête nationale entraîne une pétition et de nouveaux appels à la démission par Ludivine Dedonder (PS).

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