Theo Francken (N-VA) et Anneleen Van Bossuyt (N-VA) photographiés lors d'une séance plénière de la Chambre au Parlement fédéral à Bruxelles, le jeudi 16 janvier 2025. © BELGA

Stricte mais silencieuse: la stratégie gagnante de la ministre de la migration pour faire passer 11 mesures en 8 mois

C’est un record inégalé. En huit mois et quinze jours, la ministre de l’Asile et la Migration a fait passer onze mesures qui durcissent les conditions d’accueil en Belgique. Si c’est plus que ses quatre prédécesseurs réunis, Anneleen Van Bossuyt arrive pourtant à s’extirper des critiques et polémiques. Ses réformes «les plus strictes que la Belgique ait connues» sont aussi les plus silencieuses.

En huit mois et quinze jours de mandat, Anneleen Van Bossuyt (N-VA), la ministre de l’Asile et la Migration, a posé plus d’actes politiques en son début de mandat que ses quatre derniers prédécesseurs réunis durant la même période. Depuis sa nomination le 3 février 2025 au sein du gouvernement Arizona, Le Vif a épinglé onze mesures importantes prises par la ministre. Là où Theo Francken (N-VA), Maggie De Block (Open VLD), Sammy Mahdi et Nicole de Moor (CD&V) en étaient chacun à deux, voire trois maximum.

Anneleen Van Bossuyt gagne de loin le titre de la ministre de l’Asile et la Migration la plus active en début de législature, mais aussi celui de la plus stricte. «La politique d’asile et de migration la plus stricte jamais mise en place», avait-elle promis lors de sa nomination. Elle a tenu parole.

Si l’hyperactivité et la réforme en profondeur du système d’accueil sont ses leitmotivs, les organisations de défense des droits humains dénoncent plutôt «une passivité sur certains dossiers et un abandon délibéré des infrastructures de gestion de l’accueil.» Le suicide d’un jeune palestinien dans la nuit du 6 au 7 octobre au centre fermé 127 bis est souvent cité en exemple pour illustrer les accusations à l’encontre de la ministre. Les conditions d’enfermement de ce dernier sont jugées « violentes et inhumaines». Diverses associations ont demandé une réaction de la ministre, qui n’a de son côté pas souhaité réagir.

«Des partenaires historiquement de gauche (Vooruit) ou de centre droit (Les Engagés), se sont droitisés sur les thèmes de la migration de manière assumée»

Pour Dave Sinardet, professeur de sciences politiques à la VUB, Anneleen Van Bossuyt a le don de passer sous les radars. Il y voit un changement de stratégie politique de la N-VA. «Theo Francken était peut-être le ministre le plus actif en termes de communication. Il était très clivant dans ses déclarations multiples sur un panel large de mesures hypothétiques, sans pour autant poser des actes politiques concrets. A l’inverse d’Anneleen Van Bossuyt, il n’a pas commencé son mandat en 2014 dans la discrétion. Francken a apporté rapidement de grands projets de réforme avec sa note de politique générale « Asile et Migration » qui a fixé des axes de durcissement dans les retours forcés ou volontaires et dans une campagne de dissuasion des arrivées. Anneleen Van Bossuyt joue davantage sur des décisions spécifiques qui semblent de moindre ampleur quand elles sont isolées, diluées.»

De la cohue à la discrétion

Dave Sinardet identifie donc un changement de stratégie qu’il associe à une réaction «après pacte de Marrakech», dont il estime que la N-VA est sortie plutôt perdante: «Depuis la chute du gouvernement Michel, je crois que la N-VA a compris que ce n’était pas forcément une bonne idée de centrer sa communication politique sur une des déclarations cinglantes en matière d’asile et de migration. C’est ce qu’incarnait parfaitement Theo Francken. Peut-être que ça explique en partie le choix de placer Anneleen Van Bossuyt à ce poste. Elle arrive à moins attirer l’attention, elle est plus discrète. Sans oublier que c’est un investissement pour le futur. La N-VA veut la faire grandir pour enfin avoir une figure forte à Gand et pouvoir contrebalancer la domination de Vooruit dans cette ville. Tout ça fait peut-être partie d’une stratégie long terme, donc aussi électorale.»

De son côté, la ministre se félicite de son bilan. Elle décrit avoir hérité d’un département où le chaos régnait, en se gardant toutefois de citer directement sa prédécesseure Nicole de Moor (CD&V): «Nous n’avions pas de temps à perdre. Nous nous sommes mis immédiatement au travail pour relâcher au plus vite la pression sur notre société. Les résultats de notre politique la plus stricte jamais mise en place montre déjà ses effets: 21% d’entrées en moins pour septembre et des prévisions à 38% pour octobre, alors que ce sont habituellement les mois les plus hauts.»

Onze mesures en huit mois

Selon un listing qui n’est pas exhaustif mais qui épingle les principales réformes, Le Vif estime qu’en mars, trois mesures ont été appliquées: la ministre a mis fin au fonds d’impulsion créé en 2022, qui octroyait des primes aux initiatives d’accueil locales. Lancement en parallèle d’une vaste campagne de dissuasion des arrivées sur les réseaux sociaux. Arrêt du programme de réinstallation des migrants, qui permettait de faire venir des personnes légalement sur le territoire parce que sélectionnées avant leur arrivée.

Deux en mai et juin: suspension des primes de retour pour les demandeurs d’asile moldaves. Renforcement des contrôles ciblés aux frontières de la Belgique, particulièrement dans les trains, vols et bus.

Trois en juillet et août: durcissement des conditions d’accès au regroupement familial. Limitation du droit d’accueil pour les demandeurs d’asile déjà protégés par un autre Etat membre. Avant-projet de loi validé par le gouvernement pour effectuer des visites domiciliaires quand il y a un soupçon d’irrégularité.

Trois en septembre et octobre: élargissement des compétences de Frontex pour effectuer des opérations de retours forcés en avion à Brussels Airport. Fin du financement fédéral du site d’information qui documente les chiffres liés à l’accueil et aux départs. Et dernière mesure en date, suppression de la possibilité d’héberger en urgence des demandeurs d’asile dans des services hôteliers, si manque de place il y avait.

Les prochaines mesures à venir concernent les retours forcés d’afghans en situation irrégulière et l’extension de la durée de détention pour les personnes soumises à une obligation de quitter le territoire. Ou encore la proposition de la ministre d’envoyer des détenus en séjour irrégulier dans des centres fermés au Kosovo.

«Clémence» de l’opinion publique

L’un des atouts d’Anneleen Van Bossuyt est de faire passer ses mesures dans la discrétion, avec peu de remous politique ou médiatique. Pour Dave Sinardet, c’est le signe que l’opinion publique et la sphère politique belge a évolué sur les questions d’accueil: «Le contexte est différent aujourd’hui pour la ministre qu’il ne l’était à l’époque de Theo Francken. En 2014, les partis politiques se situaient moins à droite sur la migration. La suédoise de Charles Michel se déchirait souvent sur les dossiers d’asile. C’est moins le cas avec l’Arizona, où l’on retrouve des partenaires historiquement de gauche (Vooruit) ou de centre droit (Les Engagés) qui se sont droitisés sur les thèmes de la migration de manière assumée. On voit aussi que les priorités et sujets brûlants ne sont plus les mêmes qu’à l’époque. On parle davantage de la réforme du chômage que des conditions d’accueil. Au sein du gouvernement de Charles Michel I (2014-2018), Theo Francken faisait quand même face à une sorte d’opposition de la part du CD&V. Anneleen Van Bossuyt est épargnée par cette divergence idéologique. Preuve en est qu’on a peu parlé de la légalisation des visites domiciliaires présentée dans l’accord de gouvernement. Ce qui était un point de discorde important sous les précédentes législatures.»

Toujours selon le professeur, la ministre bénéficie aussi d’un vent européen favorable, où les discours anti-immigration sont normalisés. Ces dernières années, il y a un changement de trajectoire de l’UE sur les enjeux d’accueil, où la quasi-totalité des Etats membres ont durci leurs conditions d’accueil à quelques exceptions près.

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