Bart De Wever et Theo Francken, en bon nationalistes flamands, ont multiplié les références à l’union de la Flandre et des Pays-Bas lors du Sommet de l’Otan, à La Haye. © BELGA

«Si je pouvais mourir Néerlandais, je serais plus heureux qu’en tant que Belge»: pourquoi De Wever et les nationalistes flamands sont fascinés par les Pays-Bas 

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Les nationalistes flamands, Bart De Wever en tête, ont toujours été fascinés par les Pays-Bas. Le symbole de la Grande-Néerlande est encore bien vivant dans les milieux flamingants.

Rien de tel qu’une fête nationale pour proclamer son attachement à une autre nation.

Le 21 juillet 2021, alors chef de l’opposition fédérale et président de la N-VA, Bart De Wever avait rappelé son but ultime, parfois méconnu, un objectif en réalité moins indépendantiste que rattachiste. «En 1993, j’étais déjà coorganisateur d’une conférence étudiante du Grand Pays-Bas. Je n’ai jamais abandonné ce rêve: que tous les néerlandophones vivent un jour à nouveau ensemble. […] Les ports d’Anvers et de Rotterdam pourraient fusionner pour devenir la porte d’entrée de l’économie de l’Europe du Nord-Ouest. Cela ressemble à une histoire fantastique […]. Si je pouvais mourir en tant que Néerlandais du Sud, je mourrais plus heureux qu’en tant que Belge », avait-il affirmé à nos collègues de Trends Z.

Quatre ans plus tard presque jour pour jour, nouveau Premier ministre, l’Anversois réitérait ce serment dit «thiois» (dietsche en flamand, dietse en néerlandais) d’émergence d’une Grande-Néerlande, émis à titre d’autant plus privé que l’épouse de Bart De Wever est néerlandaise. «C’est une prise de position que je ne peux plus faire comme Premier ministre. Mais comme homme et comme politicien, je n’ai pas changé d’avis. Je reste convaincu que la séparation des Grands Pays-Bas, au XVIe siècle, est la plus grande catastrophe qui nous soit arrivée», avait-il répété à la radio publique néerlandaise alors qu’il se rendait à La Haye, au sommet de l’Otan. Invité pour l’occasion à un banquet d’Etat, il signait le livre d’or d’un vieux dicton thiois: Hier en aan de overkant, daar en hier is Nederland (Ici et de l’autre côté, là et ici, ce sont les Pays-Bas). Quelques centimètres plus bas, son collègue, camarade et ami Theo Francken inscrivait une citation datée de 1580 de Guillaume d’Orange, dit «le Taciturne», stathouder des Pays-Bas.

Quelques jours plus tard, pour ne pas s’excuser d’avoir refusé de dire «vive la Belgique» le jour de sa fête nationale, le ministre de la Défense concluait ses communiqués, en français et en néerlandais, par une devise en français révérée des Néerlandais: «Je Maintiendrai», devise de la Maison d’Orange-Nassau depuis des siècles et des Pays-Bas depuis 1815, à l’époque de l’autre Guillaume d’Orange, lointain successeur du précédent et surtout souverain honni des futurs Belges, qui firent sécession en 1830. La régularité de ces sorties exclut toute nonchalance de la part des deux plus grandes figures actuelles de l’indépendantisme flamand. Le nationalisme flamand n’est pas toujours indépendantiste, mais très souvent rattachiste, et aussi bien à la N-VA qu’au Vlaams Belang existe un courant thiois. Celui-ci s’inscrit dans une «tradition inventée», comme le disait l’historien britannique Eric Hobsbawm de tous les nationalismes.

Cela fait longtemps que des Flamands mécontents se rêvent en Néerlandais heureux.

Une vieille tradition

Une tradition, parce que ça fait longtemps que des Flamands mécontents se rêvent en Néerlandais heureux. Tout le mouvement flamand a été traversé par cette utopie, jusque dans ses moins glorieuses figures. Le «di» du Verdinaso (Verbond van Dietsche Nationaal Solidaristen-Mouvement des nationaux solidaristes thiois) de Joris van Severen incluait explicitement ce projet de Grande-Néerlande, comme le VNV sous Staf De Clercq et comme beaucoup des plus radicaux éléments collaborationnistes de la Seconde Guerre mondiale, mais pas tous. Ils furent déçus pendant le conflit, car l’occupant nazi refusa toute autonomie aussi bien à la Flandre qu’aux Pays-Bas, et a fortiori à l’hypothétique réunion des deux. Et ils furent vaincus et réprimés après, car ce refus ne freina pas pour autant leur collaboration.

«Historiquement, il y a une tradition thioise dans le mouvement flamand, spécialement dans l’entre-deux-guerres et les années 1930. Mais même à cette époque, et y compris pendant la guerre, les Flamands et les Néerlandais partisans de l’union thioise n’ont jamais entretenu de relations opérationnelles. Il s’est toujours agi de théorie, beaucoup moins de pratique», souligne Bruno De Wever, historien (KUL) du mouvement flamand.

Une vieille invention

Cette tradition est largement inventée puisqu’il y eut, entre les provinces flamandes de la Belgique et des futurs Pays-Bas, autant de fractures sanglantes que de paisibles unions. En 1585, les troupes catholiques d’Alexandre Farnèse prennent Anvers, où sont retranchés des milliers de protestants, alliés à l’Union d’Utrecht des provinces néerlandaises. C’est la fin du siège d’Anvers, et aussi celle d’une certaine idée des «Dix-sept provinces» bourguignonnes. Seuls les catholiques ou ceux qui se convertiront dans les quatre ans seront autorisés à rester dans la cité scaldéenne. Les autres, ceux qui n’ont pas été massacrés, marchands, artisans, humanistes, médecins, fuient. Beaucoup s’installeront à Amsterdam, et seront à l’origine de la puissance maritime et commerciale des Provinces-Unies, protestantes, libérées de la tutelle espagnole, et qui imposeront un blocus sur l’estuaire de l’Escaut, asphyxiant le port d’Anvers au profit d’Amsterdam. Ce sont donc ces espèces d’anciens Belges qui ont fabriqué les Néerlandais, et enrichi les Pays-Bas, en expulsant, partant de la Belgique actuelle, plusieurs centaines de milliers de protestants. Anvers, depuis, se méfie, dit-on, davantage de nos voisins du Nord. C’est là que chaque année étaient organisés les très antagonistes derbys entre Diables Rouges et «Oranje» pendant une grande partie du XXe siècle. «Après sa sortie du 21 juillet 2021, Bart De Wever a expliqué qu’il n’avait jamais reçu autant d’e-mails d’Anversois mécontents», raconte Dave Sinardet, Anversois et politologue à la VUB.

En 1830, ceux qui dans les provinces sécessionnistes se rangent sous la devise «Je Maintiendrai» et s’opposent à l’indépendance belge, sont appelés «orangistes». Ils sont surtout francophones, dont le plus illustre est John Cockerill. Mais en Flandre aussi, où les industriels libéraux, majoritairement francophones, des grandes villes craignent de perdre les débouchés que leur offrait le commerce néerlandais. Mais un des pères fondateurs du mouvement flamand, le poète François Joseph Willems, fut orangiste avant d’être flamingant. «Une des rares connexions de l’orangisme avec le mouvement flamand, parce que la nostalgie du Royaume-Uni des Pays-Bas incluait les provinces francophones», signale Bruno De Wever. Ce n’est donc pas à ces Pays-Bas-là que se réfèrent Bart De Wever et les autres.

Le retour aux Pays-Bas bourguignons, les fameuses «Dix-sept provinces», qui comprenaient aussi le Nord de la France et une partie de la Wallonie, Principauté de Liège exceptée, n’est pas non plus un projet politique très concret. «Ces signaux sont peut-être un cri du cœur, mais c’est aussi une sorte de plaisanterie, une petite provocation pour journalistes attentifs», estime Bruno De Wever, frère du Premier ministre.

«Ils se sont vite rendu compte que les Pays-Bas étaient beaucoup trop progressistes à leur goût.»

Pas sérieux, mais…

«Ces sorties ne sont pas à prendre très au sérieux, appuie Dave Sinardet, qui note une baisse de l’influence relative de la culture néerlandaise en Flandre. En 1970, le fédéralisme crée une communauté néerlandaise comme une communauté française. Aujourd’hui, la Communauté et la Région sont flamandes… Il y a eu des rapprochements, notamment au plan culturel. Quand j’étais petit, nous regardions tous la télévision néerlandaise. Ce n’est plus du tout le cas. La création de VTM a contribué à créer une culture populaire purement flamande.» Dans les années 1980, le débat s’était tenu, au sein du Vlaams Blok, dont un fondateur, Karel Dillen, se déclarait partisan de la Grande-Néerlande. «Mais ils se sont vite rendu compte que les Pays-Bas étaient beaucoup trop progressistes à leur goût», observe le politologue.

Ces sorties ne sont cependant pas que folkloriques ou nostalgiques. «Il y a aussi une volonté de rentrer dans le club de ceux qui ont réussi, les pays les plus modernes d’Europe, sans la Wallonie, donc. Les Néerlandais professent une forme de sentiment de supériorité à l’égard de la Belgique, et les Flamands envers les francophones», observe Pascal Delwit, professeur à l’ULB, qui rappelle qu’en football, le grand ennemi des «Rode Duivels» jusqu’à la fin du siècle dernier, étaient les Pays-Bas, alors qu’aujourd’hui c’est plutôt la France, «on ne verrait sans doute pas Bart De Wever sauter de joie comme Jean-Luc Dehaene le fit en 1994, quand la Belgique a battu les Pays-Bas à la Coupe du monde», s’amuse-t-il. «Ça c’est clair!», note Dave Sinardet, qui rappelle que la première visite d’un nouveau ministre-président flamand se fait désormais à la Catshuis, la résidence officielle du Premier ministre néerlandais. Et qui constate que la bourgmestre d’Anvers, Els van Doesburg, qui a succédé à De Wever et est l’épouse de l’ancien patron du Mouvement populaire flamand Peter De Roover, est flamande, mais aussi de nationalité néerlandaise.

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