
Le retour des mines en Wallonie pour les terres rares? «On ne doit plus avoir peur du minier sale, ce n’est plus Germinal»
Georges-Louis Bouchez se dit «extrêmement pour» l’idée de forer les sols wallons afin d’en extraire des matières premières, comme des terres et des métaux rares, afin de se prémunir d’une guerre commerciale chinoise. La Belgique, comme toute l’Europe, a beaucoup de retard.
C’était le 30 septembre 1984, un important chapitre de l’histoire wallonne se fermait en même temps que le Roton, la dernière mine de charbon au sud du pays. Quarante ans plus tard, alors que la Chine et les Etats-Unis se livrent une guerre commerciale qui remet sur la table le spectre d’un protectionnisme incompatible avec le libéralisme mondialisé, la Wallonie pourrait rouvrir ses sols. C’est en tout cas ce qu’a énoncé le président du MR, Georges-Louis Bouchez, ce mercredi sur Bel RTL.
L’impulsion ne vient cependant pas que du Montois, vu que l’Europe a sélectionné 47 nouveaux sites d’exploitation (dont deux en Belgique) de ressources dites «critiques», indispensables pour la vie quotidienne occidentale mais fournies par des puissances étrangères, comme le lithium ou des terres rares. Et pour le 25 mai, les Etats membres devront rendre un plan d’exploration de leur sol afin que le Vieux Continent puisse extraire 10% de ses besoins en matières premières critiques d’ici 2030. Le hic, c’est que «la Belgique n’a aucune idée de ce qu’il y a dans son sol, grimace Eric Pirard, géologue de l’ULiège. Tous les pays européens ont négligé leur sous-sol pendant les 40 ou 50 dernières années.» C’est d’ailleurs face à ce constat que le service Géologique de Belgique (qui devrait être rattaché au ministère de l’Economie plutôt qu’au musée des sciences naturelles, selon Eric Pirard) a publié, en juin dernier, un atlas des matières premières critiques. «L’atlas permet de donner des pistes pour élaborer ce plan d’exploration qui commencera par ce qu’il y a de plus certain, mais on n’est pas prêt de savoir quantifier les ressources», admet son autrice, la géologue au sein du service géologique de Belgique, Sophie Decrée.
«Il n’est jamais trop tard»
Du zinc, du manganèse, du phosphate… La Belgique en regorge, mais l’industrie de la Défense, de la technologie ou de la santé carbure au germinium, au lithium et aux terres rares. Il n’est donc pas impossible que ces matériaux se trouvent dans les sols belges (ou européens), mais «il faut dix ans pour étudier le sol, et puis il faut ensuite que le service géologique défriche une zone et passe la main à une société privée et que celle-ci reçoive un permis d’exploration, annonce Eric Pirard. Cela se fait sur une zone de quelques kilomètres dans laquelle on fore des centaines de trous de 300 mètres. Quand on a une cible d’exploration, il y a environ une chance sur 1.000 d’y trouver un gisement.» Entre la détection et l’extraction des premières unités, «il faut compter quinze à 20 ans si les conditions politiques et administratives sont optimales», estime Sophie Decrée.
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D’autant plus qu’en mars 2024, la ministre wallonne de l’Environnement de l’époque, Céline Tellier (Ecolo), a fait valider un nouveau code wallon du sous-sol encadrant la pratique minière, ce qui n’avait plus été fait depuis des décennies. «Un des enjeux du code, c’est d’établir un plan stratégique avec une banque de données mutualisée par le gouvernement, et d’éviter que les entreprises fassent du « drill, baby, drill », à la Donald Trump.» Ce code interdit par exemple la fracturation hydraulique, technique particulièrement néfaste sur le plan environnemental, instaure un conseil du sous-sol composé paritairement de fonctionnaires régionaux, d’exploitants privés et de représentants divers (comme des représentants de riverains ou du secteur associatif), le tout agrémenté d’un conseil scientifique. Les entreprises de forage seront aussi tenues responsables de l’état du terrain durant sa période d’exploitation (de 30 ans, renouvelable une fois) et ce jusqu’à sa remise en l’état une fois le projet terminé, un fonds commun de garantie sera également à leur charge. Enfin, il établit également un ordre de priorité des ressources concernant les enjeux climatiques et environnementaux. «Bref, on impose une gestion parcimonieuse.»
«Aujourd’hui, nous avons les moyens de faire des mines propres, invisibles et avec des moyens humains réduits. On ne doit plus avoir peur du minier sale, ce n’est plus Germinal.»
Sophie Decrée
Géologue au service géologique de Belgique
Vu comme ça, l’Europe semble accuser un sacré temps de retard, peut-être même irrécupérable face à des concurrents pour qui les considérations environnementales sont aussi friables que du calcaire. «Mais il faut absolument faire de l’exploration, insiste Sophie Decrée. Il n’est jamais trop tard pour commencer, la liste des métaux critiques établie par l’Europe évolue très vite et est revue tous les trois ans. Si on fait un état des lieux complet aujourd’hui, on peut révéler la présence de matériaux qui pourraient s’avérer intéressants dans 20 ans.»
Un autre monde est-il possible?
Voilà pour les considérations pratiques. Néanmoins, l’Europe veut-elle, et a-t-elle intérêt à continuer la course à l’exploitation des ressources afin de satisfaire une économie demanderesse de ressources infinies dans un environnement aux tolérances de plus en plus étroites? «Aujourd’hui, nous avons les moyens de faire des mines propres, invisibles et avec des moyens humains réduits via l’envoi de robots dans le sol plutôt que des hommes, assure Sophie Decrée. On ne doit plus avoir peur du minier sale, ce n’est plus Germinal.»
Au parlement de Wallonie, Ecolo ne voterait pas systématiquement contre un nouveau forage, mais Céline Tellier tient à contraster. «Sur la question de l’autonomie des ressources, l’enjeu n’est pas d’être réactif face au protectionnisme mais proactif. La Belgique est un des leaders mondiaux sur le recyclage des matières premières critiques. Or, il ne suffit pas d’extraire, il faut aussi raffiner, et ça se fait également en Chine pour le moment. En fait, il faut réfléchir à notre modèle industriel. Si nous sommes trop en retard sur les matières premières critiques, utilisons nos ressources autrement.»
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