La désignation d’un nouveau bouwmeester est déjà actée à Bruxelles. Mais la crise politique et l’absence de gouvernement font que les choses ne se passent pas comme prévu.

Sans bouwmeester, Bruxelles perdra une pièce majeure pour son urbanisme: pourquoi certains s’en réjouissent

Sylvain Anciaux

Le mandat du maître architecte bruxellois, appelé bouwmeester, arrive à échéance. Le gouvernement bruxellois pourrait le prolonger ou le remplacer, mais plusieurs partis sont sceptiques quant à la lauréate, et même quant à la fonction elle-même.

Le gouvernement bruxellois actuel a beau être en affaires courantes depuis quatorze mois, ce n’est pas pour autant qu’il est exempt de tensions. Notamment celles portant sur la désignation à venir d’un bouwmeester. Soit en quelque sorte du grand sage de l’architecture bruxelloise chargé d’émettre un avis (non contraignant) aux autorités (ou à des acteurs privés) sur la cohérence architecturale des projets de construction dans la ville-Région. Pour tout projet excédant les 5.000 mètres carrés, son avis devient obligatoire. Sauf que le bouwmeester actuel, l’architecte Kristiaan Borret et son équipe, rendra compas et rapporteur ce 31 août. Son successeur, Lisa De Visscher, a déjà été trouvée (à l’issue d’un marché public) mais suscite, au sein du gouvernement bruxellois, une certaine appréhension chez certains partis –principalement le PS et DéFI–, portant non pas sur la personne mais sur sa fonction.

D’abord, parce que le rôle du bouwmeester manque de clarté, confondu avec celui d’urban.brussels ou de perspective.brussels. Aussi, parce que le double mandat de Kristiaan Borret aura marqué une perte d’influence pour les bureaux d’architecture francophones. Enfin, et cette remarque émane davantage de l’associatif que du politique, parce que l’avis du bouwmeester fait reculer le contrôle démocratique des citoyens sur les projets urbanistiques à travers les enquêtes publiques. «Il arrive qu’il n’y ait plus rien à négocier en commission de concertation (NDLR: l’organe communal chargé de rendre des avis sur des projets urbanistiques) car l’équilibre a été trouvé avec le bouwmeester au préalable», souligne Claire Scohier, chargée de projets chez Inter-Environnement Bruxelles.

L’association s’étonne, par exemple, que ni son versant flamand (le Bral), ni aucune association n’aient été inclus au jury de sélection malgré des candidatures alors que le conséquent promoteur immobilier, Atenor, y avait sa place. «Il y a un problème d’opacité et de technicisation des projets urbains, complète la directrice de l’Arau (Atelier de Recherche et d’Action Urbaines), Marion Alecian. Le rôle de bouwmeester est trop focalisé sur l’architecture, pas assez sur la ville et l’environnement. On plaide plutôt pour un renforcement de l’administration et de ses compétences dans l’analyse et l’instruction des projets, ce qui doit aller de pair avec une dépolitisation de ses directions.»

Bouwmeester, un poste qui varie en fonction des villes

Sauf que ce n’est pas ce vers quoi le monde politique bruxellois s’oriente. Concrètement, DéFI est le seul parti au pouvoir qui plaide pour une assimilation de la fonction à l’administration. «Ailleurs en Europe, le bouwmeester est un architecte reconnu, compare le ministre Bernard Clerfayt. A Bruxelles, il redouble le travail de l’administration. On lui donne la seule mission de la qualité architecturale des projets, mais il en assure plein d’autres.» Vu l’absence probable du parti amarante au prochain gouvernement bruxellois, peu de risque que sa position soit entendue. Les autres partis, MR et Vooruit en tête, sont favorables à une réforme de l’administration, mais pas du poste de bouwmeester. Cela devra attendre un gouvernement bruxellois de plein exercice.

«On accuse le bouwmeester d’avoir imposé sa vision sur Bruxelles (NDLR: les projets de démolition ont, par exemple, fait l’objet d’un avis défavorable de manière générale), mais sa vision est surtout de stimuler la compétition par l’organisation de concours d’architecture ou l’élaboration de cahiers de charges», défend le cabinet Persoons qui cherche à convaincre ses collègues de gouvernement à l’aide d’analyses juridiques et de courriers d’avocats. Dans une lettre ouverte, le bouwmeester sortant, Kristiaan Borret, a rappelé que son rôle consiste à «s’assurer qu’une discussion collective sur la qualité des projets ait lieu. La discussion et la concertation sont donc au cœur de notre travail». Et de rappeler que son pouvoir est limité concernant la désignation de bureaux d’architectes dont il est accusé de favoriser les néerlandophones.

Le 28 août prochain, le gouvernement bruxellois en affaires courantes se réunira et devra faire un choix. Soit instaurer la nouvelle bouwmeester dans les fonctions actuelles, soit réformer son travail avec urban.brussels, soit ne pas nommer la lauréate et laisser le poste vacant. Un retard de 60 jours serait alors automatiquement infligé aux demandes de permis mais, surtout, les promoteurs lésés pourraient engager la responsabilité de la Région en justice. «La dernière solution serait de nommer la bouwmeester avant de revoir son contrat d’application», espère le cabinet Vervoort. Le G30 (les 30 plus gros bureaux d’architectes du pays) mène actuellement une campagne auprès des ministres bruxellois pour que ces derniers désignent officiellement Lisa De Visscher comme bouwmeester. Un chemin plus simple pour réformer le cadre de son travail serait de modifier le Code Bruxellois de l’Aménagement du Territoire (le Cobat) qui, là encore, nécessite un gouvernement de plein exercice.

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