Marc Raisière, CEO de Belfius. La banque ne prêtera plus à la Région bruxelloise en 2026, vu les invertitudes qui planent sur la capitale. © Monasse Thierry/ANDBZ/ABACA

Les banques se méfient désormais de Bruxelles: la pression financière peut-elle décoincer les négociations gouvernementales?

Clément Boileau
Clément Boileau Journaliste

Belfius a retiré sa ligne de crédit à la capitale, et il est probable que les autres grandes banques suivent. De quoi inciter les négociateurs à accélérer la formation d’un gouvernement… à moins qu’il ne soit déjà trop tard. Analyse avec l’économiste Bruno Colmant.

Les négociations gouvernementales à Bruxelles sont au point mort après que le MR et le PS n’ont pas réussi à s’entendre, énième épisode d’une crise qui dure depuis les élections de juin 2024. Un échec pour le président du MR Georges-Louis Bouchez, qui avait pris l’initiative depuis quelques semaines. Ces derniers jours, ce dernier a même agité le spectre d’un «shutdown» dès avril 2026, lequel menacerait les fonctionnaires.

Pression financière

Au-delà de la posture politique du président libéral, l’argument économique est sans doute le levier principal qui pourrait inciter les négociateurs à revenir autour de la table. Surtout depuis que Belfius, l’une des quatre grandes banques –et la seule à être détenue à 100% par l’Etat–, a annoncé qu’elle mettrait fin à sa ligne de crédit de 500 millions d’euros auprès de la Région à partir de 2026. Si la banque ne s’est pas appesantie sur les raisons précises de ce retrait, personne n’est dupe; Bruxelles n’a ni gouvernement de plein exercice, ni budget, et des finances au plus mal, avec une dette publique pesant autour de quinze milliards d’euros. Et cette semaine, il était question qu’ING retire à son tour sa ligne de crédit, avant que la banque ne démente.

Reste que pour l’économiste Bruno Colmant, le retrait de Belfius est déjà, en soi, un signal «catastrophique», ce dernier pointant que le choix de Belfius n’est pas, loin de là, une pure décision politique. «Les grandes banques sont soumises à des règles prudentielles quasiment identiques (concentration des risques, concentration de débiteurs, régulées par BCE, etc.): qu’elles soient détenues par l’Etat ou non les critères sont les mêmes…»

«Quand les banques se retirent, elles ne reviennent pas facilement.»

Dans ces conditions, juge-t-il, le retrait de Belfius fait peser plus de risques sur les autres partenaires bancaires de la Région. En vérité, «cela change tout», fait remarquer l’économiste qui précise que, «quand les banques se retirent, elles ne reviennent pas facilement».

En bref, il faudra apporter des garanties, ce qui est naturellement impossible avec un gouvernement en affaires courantes. Dans ce cas, cela va-t-il hâter les négociations pour éviter la catastrophe?  Par le passé, cela s’est vu. Notamment «lors de la crise gouvernementale avant formation Di Rupo (NDLR: 2011), le risque de crédit sur la dette belge augmentait sur les marchés financiers, cela a contribué à accélérer la formation d’un gouvernement», se remémore Bruno Colmant pour qui la pression financière peut effectivement servir de «catalyseur». «Mais là c’est encore plus grave: en termes de négociations ils ne sont nulle part. Il faut sans doute d’autres personnes pour négocier, avec des gens compétents en finances, qui connaissent un peu les chiffres pour voir ce qu’on peut faire. Pour l’instant, demander aux politique d’extraire des projections budgétaires quand ils sont incapables de se parler… ça ne va pas le faire.»

Tutelle… financière?

La situation est telle que la mise sous tutelle de la Région est de plus en plus évoquée. Ce qui s’avérerait pour le moins fâcheux d’un point de vue constitutionnel. Et, «politiquement, c’est la négation de la Région bruxelloise», rebondit Bruno Colmant, qui voit toutefois dans cette pression bancaire se dégager une voie intermédiaire pour sauvegarder les finances de la Région. «Il est évident que dans un autre monde, une telle tutelle rassurerait les banques. C’est pour cela que la solution intermédiaire serait que la Région d’une manière ou l’autre n’emprunte pas en son nom mais au nom de l’Etat belge, qui emprunterait à ses propres conditions, pour ensuite transférer à la Région (NDLR: endettement compris). C’est une tutelle financière, certes, puisque la dépendance de la Région ne serait pas par rapport aux banques mais par rapport au fédéral. A voir, c’est sans doute la voie à suivre. Reste que quoi que vous fassiez, cette histoire est un échec total

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