Dans un rapport secret commandé par Ecolo sur ses relations avec la société civile, celle-ci se montre critique vis-à-vis du parti, notamment autour des sujets dits identitaires.
Dans la stricte discrétion du conseil de fédération –le parlement interne d’Ecolo–, cinq rapports secrets ont été présentés aux membres, le 22 mars dernier. Chacun de ces rapports présentait les conclusions de plusieurs chantiers, commandés par les coprésidents Marie Lecocq et Samuel Cogolati à cinq groupes de travail différents: un sur l’interne, un sur la com, un sur le grand public, un sur les autres partis verts en Europe, et un sur les rapports avec la société civile. Le Vif avait publié de larges extraits des deux premiers.
L’analyse «de la défaite d’Ecolo 2019-2024 par la société civile» est la «synthèse de 42 entretiens réalisés avec des porte-voix de la société civile dite « organisée »».
Le «document confidentiel à destination du conseil de fédération d’Ecolo» se subdivise en trois parties. D’abord, ce que cette société civile organisée a perçu du bilan écologiste de la législature écoulée. Ensuite «un état des liens» entre cette dernière et le parti. Enfin, sa vision du dernier programme écologiste et «sur le nouveau chapitre qui s’ouvre».
La société civile étant par essence plurielle, et les organisations (syndicats, mutuelles, ONG, etc.) qui s’y ancrent professant parfois des aspirations diverses, voire contradictoires, certaines des observations consignées par les rapporteurs tirent dans un sens, et d’autres dans un autre. Mais elles sont toutes dignes d’intérêt.
«Ecolo en fait trop sur ces sujets»
Le premier chapitre procède par thématique, sans pouvoir «identifier les victoires et les échecs d’Ecolo durant la dernière législature», précisément en raison de la diversité des positions des 42 interlocuteurs.
En mobilité, deux questions ont émergé: la SNCB, et le plan Good Move, qui a «manqué d’une communication fière et assumée afin d’embarquer tout le monde (et un manque de soutien de la part de la société civile environnementale)». Une forme de primauté accordée au vélo a été également contestée: «Tout faire pour le vélo quand le train est complètement foireux, ça rend les gens dingues», constate un interlocuteur. En outre et en résumé, «pour beaucoup, Ecolo a développé une écologie trop théorique sur la mobilité, déconnectée du terrain et des réalités des gens».
En environnement, beaucoup d’intervenants ont manifesté leur regret qu’Ecolo n’ait pas «su tenir la ligne tout au long de la législature».
Sur les droits humains, «l’écrasante majorité des personnes rencontrées saluent les grandes avancées obtenues sur tout ce qui a trait à la défense des minorités et des LGBTQIA+, une partie s’accorde aussi à dire qu’Ecolo en fait trop sur ces sujets, en particulier en matière de transgenres». Le fait que les verts n’aient pas fait de la crise de l’accueil une question de gouvernement a également été pointé.
En santé, certains des interlocuteurs félicitent le bilan bruxellois d’Alain Maron, ce qui a certainement dû réjouir le concerné.
En social et en économie, la société civile semble considérer que l’on a «trop peu entendu Ecolo sur les enjeux sociaux: « Ils ne savent pas assez prendre en compte l’aide-soignante, la technicienne de surface… »».
En enseignement, la réforme de la réforme du décret paysage, réclamée par la FEF, mais refusée par beaucoup d’autres, est fort critiquée par beaucoup d’intervenants.
Et en énergie, la gestion écologiste du difficile dossier nucléaire est parfois «saluée comme pragmatique» et parfois «critiquée pour son positionnement ambigu».
En conclusion de ce chapitre, les auteurs soumettent plusieurs propositions. Notamment de «favoriser des sujets qui préoccupent les gens au quotidien plutôt que des sujets identitaires (l’accès aux médecins généralistes plutôt que la présence ou non du Père Fouettard sur un marché de Noël)».
«Ecolo est trop faible en kern»
Le second chapitre, qui dessine plus profondément les liens du parti avec la société civile organisée, s’ouvre sur un constat connu: comme les verts, contrairement à d’autres partis, spécialement le PS en Wallonie, ne sont pas ancrés dans un pilier, «Ecolo n’a pas construit de base dédicacée». «Par exemple, pour plusieurs, Ecolo aurait dû profiter de l’absence des Engagés pour tisser des liens avec l’ancien pilier chrétien», regrette le rapport, qui observe un manque de relations structurées. Ceci, toutefois, «peut être apprécié du grand public comme la volonté du parti de vouloir maintenir une forme d’indépendance».
La plupart des personnes interrogées dans ce rapport secret ont considéré problématique la posture écologiste. Les verts seraient «mauvais dans l’attaque et trop gentils», Ecolo serait «trop faible en kern» et devrait «gagner en assurance, oser être cash, punch, mordant sur certains dossiers… quitte à se disputer avec la base».
Beaucoup pointent également des difficultés d’écoute. «Cette phrase a retenu notre attention: « Quand tu n’es pas d’accord avec un Ecolo, il te réexplique« », observent les rédacteurs du rapport secret, qui témoignent de la frustration de beaucoup de responsables d’associations de ne pas avoir été suffisamment écoutés par les écologistes au pouvoir.
L’examen du lien avec le terrain donne lieu à des appréciations contrastées. «Si Ecolo est présent sur le terrain et salué pour le temps consacré aux visites, rencontres…, cela contraste avec d’autres échos selon lesquels les écologistes auraient passé autant voire plus de temps à discuter avec l’élite qu’à venir discuter avec les associations», lit-on dans le rapport. « En plus Ecolo ils ne sont pas drôles du tout. Ils ne font pas rire les gens. Ils ont souvent ce côté trop intello. Sur une autre planète. Hors sol», ajoute une personnalité du monde mutualiste.
Le niveau d’expertise écologiste est lui aussi diversement apprécié par la société civile, qui a pu saluer le profil de «bons élèves» des cabinettards recrutés, tout en déplorant un manque de «compétences humaines» et de «sens des relations». A l’inverse, certains ont pointé «une sensation d’amateurisme». «Autre critique reçue à plusieurs reprises: l’impression qu’Ecolo est de plus en plus dans la culture du « fils de » qu’il faut recaser de législature en législature».
Les questions de gouvernance sont également abordées dans le rapport. «Ce qui revient, et desservirait Ecolo selon de nombreuses personnes rencontrées, c’est le profil trop puritain, qui se traduit par un manque de partage d’infos pour motifs de bonne gouvernance et d’éthique alors que les autres partis le font», signalent les rapporteurs. En résumé, observe un syndicaliste cité, «il faut qu’ils arrêtent de chipoter sur les termes!».
Les propositions soumises en conclusion de ce chapitre vont de l’amélioration des relais avec l’administration à de plus fréquentes descentes sur le terrain.
«Enfermé dans un bloc de gauche avec le PS et le PTB»
Le dernier chapitre du rapport, consacré à la vision du programme 2024 et à la suite à lui donner, s’entame par un constat: «L’écrasante majorité des personnes rencontrées ne comprend pas pourquoi l’environnement ne fut pas davantage au cœur du programme et de la campagne». Les 42 interlocuteurs ont semble-t-il émis le «souhait partagé par les organisations de la société civile d’articuler les trois dimensions: économique, sociale, et environnementale». Plus spécifiquement, «beaucoup, en particulier dans la sphère syndicale, regrettent qu’Ecolo abandonne la sécurité sociale aux socialistes».
Le sous-chapitre sur la communication recoupe des préoccupations déjà énoncées, y compris dans le rapport qui y est spécifiquement consacré. «Les débats proposés par Ecolo se sont concentrés sur des sujets identitaires qui, du point de vue des personnes rencontrées, sont des débats fondamentaux, mais qui ne parlent pas à une majeure partie des citoyens», posent les rapporteurs, citant, sur cet angle, le conseil d’une intervenante: «Ils doivent concentrer leurs messages sur des questions sociales. Les enjeux identitaires doivent se travailler via d’autres tactiques moins visibles, surtout en période de campagne».
«Ceci rejoint un autre élément mis en avant: l’importance de créer des récits de liens avec l’écologie politique et ce en quoi elle est éminemment sociale. Exemple de la LEZ à Bruxelles: pourquoi ne pas communiquer sur le fait que ce sont les enfants de Mohamed qui sont les victimes des gaz à effets de serre», ajoutent les rédacteurs de ce rapport secret. Ils épinglent ensuite plusieurs conseils en communication parmi ceux qui leur furent dispensés: répéter le message «écologie populaire» sans arrêt, «ne pas taper bêtement sur les riches, ce qui donne un ancrage trop à gauche mauvais pour la cause environnementale; communiquer plus sur base de chiffres; être plus présent sur les réseaux sociaux», etc.
Ce qu’il en ressort est que la posture d’Ecolo est «trop souvent donneuse de leçons et déconnectée des réalités socio-économiques». «Pour beaucoup, il manque à Ecolo le côté chaleureux, proche des gens» qu’avait Jean-Michel Javaux, explicitement cité là en exemple. Et puis il y a le fait que «plusieurs personnes rencontrées trouvent Ecolo trop enfermé dans un « bloc de gauche » avec PS et PTB, alors que l’électorat d’Ecolo est plus large», observation présente, elle aussi, dans les autres rapports secrets.
Les conclusions de ce chapitre, qui sont également celles du rapport, reprennent une partie de ces conseils, entre moins communiquer sur la défense des minorités («LGBTQIA+, Gaza…») et «miser sur des personnalités issues de la société civile». C’est une autre manière, là aussi, de dire ce qui a beaucoup été dit sur la défaite écologiste, y compris, comme lors de ce conseil de fédération du 22 mars, de manière «strictement confidentielle».