Présidents déchaînés, décisions impopulaires, kern inefficace: l’Arizona de Bart De Wever est en voie de Vivaldisation © BELGA

Présidents déchaînés, décisions impopulaires, kern inefficace: l’Arizona de Bart De Wever est en voie de Vivaldisation

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Le kern commence à bloquer, les présidents à s’engueuler: l’Arizona de Bart De Wever est en voie de Vivaldisation. Et c’est sans doute déjà définitif.

Faire le contraire de ce qu’il promet de faire est-il le destin de tout gouvernement fédéral belge? Toujours, le nouveau Premier ministre explique que ça ne se passera pas comme les dernières fois. Systématiquement, les présidents de parti de la jeune coalition promettent qu’on ne les prendra pas en défaut de solidarité gouvernementale, car les enjeux sont trop cruciaux, il est hors de question de faire passer les intérêts du parti avant celui du pays.

Toujours, les vice-Premiers jurent qu’à la table du kern l’ambiance est excellente, le travail efficace, la camaraderie à son sommet, le sens des responsabilités à son zénith. Il n’y a pas une fois au moins depuis Elio Di Rupo où tout ce petit monde n’a pas dit, dans un chorus aussi harmonieux que périssable, travailler pour deux législatures plutôt que pour une seule. Et il s’en trouve statistiquement toujours un pour dire que ce à quoi il pense, ce sont les prochaines générations et pas du tout les prochaines élections.

Et puis, très vite, tout ça part en sketch, tout le monde s’engueule, plus personne n’est d’accord, ils se trouvent tous trop idéologiques et trop arrogants, le Premier ministre est humilié, son bilan, quel qu’il soit, est oublié, et chacun s’engage dans la campagne électorale qui suit avec l’énergie distinctive du candidat qui veut sauver sa peau en remettant tout le mal du monde sur les épaules des autres.

Le MR avance plus loin contre Bart De Wever que Georges-Louis Bouchez ne le fit contre la Vivaldi.

Le contraire du contraire

Ce qui est spécial avec l’Arizona de Bart De Wever, qui a prêté serment le 3 février, ce n’est donc pas qu’il professe qu’il est là pour remettre de l’ordre après une législature d’errance, ni que ses réformes prendront dix ans à être mises en œuvre et à se faire sentir, ni que ses ministres s’accordent pour se congratuler de l’excellente ambiance qui préside leurs travaux, ni que les présidents de parti ont fait vœu de cohésion et presque de silence. Cela, tous ses prédécesseurs l’ont fait.

Ce qui est spécial, c’est qu’il ne fait que cela.

Ce qui est spécial, dans l’Arizona de Bart De Wever, c’est que tout ce qu’il dit faire, il dit le faire par opposition au gouvernement fédéral précédent. Toute l’action et la communication de l’Arizona répètent que la Vivaldi, c’est fini, chaque prise de parole de Bart De Wever rappelle qu’il n’est pas Alexander De Croo. Et l’Anversois a bien raison tant la Vivaldi a eu très vite mauvaise presse. Les deux partis dominants, la N-VA au nord, le MR au sud, ont fait campagne en en faisant un épouvantail, et les autres grands vainqueurs du 9 juin, Les Engagés, ont probablement profité d’avoir été dans l’opposition à l’exécutif De Croo. Vooruit et le CD&V déprécient leur œuvre précédente plus discrètement que ne le fait le MR, mais aucun des deux ne se vante d’y avoir participé. Bref, les cinq formations de l’Arizona ne disent pas seulement faire mieux que les sept partis d’avant, elles disent faire résolument le contraire.

En matière de désordre, pourtant, jamais la Vivaldi ne s’était trouvée minoritaire, dépourvue de quorum à la Chambre, comme le fut l’Arizona la semaine dernière, mais il faut dire que la majorité d’Alexander De Croo était beaucoup plus large que les quatre sièges de celle de Bart De Wever. Mais jamais dans la Vivaldi un président de parti, ni même un député, n’a hurlé sur le président de la Chambre comme l’a fait Georges-Louis Bouchez sur Peter De Roover (NV-A), et jamais un président n’a ainsi tancé un député fédéral de la majorité, mais il faut dire que Georges-Louis Bouchez n’était pas député fédéral sous la législature précédente.

Ces péripéties de la vie parlementaire, qui ne sont normalement pas vouées à changer le cours des politiques publiques, sont ruineuses pour la réputation de sérieux que Bart De Wever tente de maintenir à coup de citations latines et de grises mines. Car le problème pour l’Arizona est qu’elles accompagnent, ces péripéties, des choix de politique publique qui sont le contraire de ce que l’Arizona dit faire, à savoir le contraire de ce que faisait la Vivaldi. Le contraire du contraire, en effet, ce sont des chiffres beaucoup plus mauvais que ceux dont Bart De Wever raconte depuis cinq ans qu’ils sont les pires d’Europe: les prévisions budgétaires de la Belgique sont moins bonnes avec les mesures annoncées par Bart De Wever qu’à politiques inchangées, c’est-à-dire si des affaires longuement courantes avaient laissé libre cours aux dispositions honnies de l’exécutif De Croo.

C’est ainsi que les débats sur un budget beaucoup plus mauvais que sous la Vivaldi se sont caractérisés par un désordre beaucoup plus grand que sous la Vivaldi.

Présidents déchaînés, décisions impopulaires, kern inefficace: l’Arizona de Bart De Wever est en voie de Vivaldisation © BELGA

Mouvement pendulaire

Hors du cirque parlementaire, les discussions dans le bunker du 16 rue de la Loi sont certes moins flamboyantes, mais elles ne sont pas beaucoup plus efficaces. Le kern s’est réuni sans accord presque toute la nuit du dimanche 22 au lundi 23 juin, alors qu’il était censé enfin valider le plan stratégique pour la défense porté par Theo Francken, aussi impatient de dégager les montants nécessaires aux gigantesques investissements militaires promis et à promettre à l’Otan, que ses collègues y sont réticents.

C’est sur cette question d’importance, d’ailleurs, que les présidents de parti, y compris en Flandre, sont le plus bruyamment intervenus dans le débat public, et il n’aura donc pas fallu six mois pour que Bart De Wever connaisse cette cuisante impression qui fit, très vite aussi, le triste quotidien d’Alexander De Croo. Alors que l’Anversois a publiquement défendu l’alignement sur les requêtes de Donald Trump et l’obligation pour les membres de l’Otan de tendre vers ces lointains 5% du PIB à investir dans la défense, Sammy Mahdi, en hausse de popularité en Flandre, et Conner Rousseau, toujours bien là, se sont épanchés pour dire que «l’argent ne pousse pas sur les arbres» et que les 5% sont une folie. Les présidents francophones de l’Arizona n’ont pas été en reste, Georges-Louis Bouchez ayant très pondérément qualifié cette hypothèse d’hystérique, et Yvan Verougstraete à peine moins. Entre francophones de l’Arizona, c’est même presque reparti comme sous la Vivaldi, puisque le 23 juin Georges-Louis Bouchez a repris, sur Twitter, le vice-Premier et ministre des Affaires étrangères Maxime Prévot, qui avait expliqué que ces 5% ne seront atteignables «ni à court ni à moyen terme», et que si les dépenses de défense augmentaient à ce niveau, de nouvelles taxes étaient inévitables. Mardi 24 juin, le kern a validé l’idée que l’accord de Pâques avait déjà entérinée, celle de passer à 2% du PIB dès cette année, alors que l’OTAN en réclame 5% depuis, et c’est sans doute un signe que les autres partis ont calmé Theo Francken, donc la N-VA, donc Bart De Wever.

Et qui peut croire que le Montois s’était senti visé quand, sur La Première, le 23 juin au matin, Maxime Prévot avait réclamé de ses collègues qu’ils examinent la situation «sans arrogance»?

Le MR, ainsi, se recale dans ses prospères pantoufles vivaldiennes. Il s’est trouvé des impulsions de gauche à critiquer, qu’elles proviennent de leur allié centriste, comme cette hypothèse de nouvelles taxes, ou même du parti du Premier ministre, comme cette nécessité de dépenser davantage pour la défense. Et par ce fait, les libéraux se droitisent dans les mots. Les Engagés, eux, doivent déjà se distinguer de la ligne générale, fort droitière, des gouvernements auxquels ils participent, et par ce fait ils se gauchisent dans les termes. Le mouvement pendulaire est désormais lancé, il n’y a aucune raison qu’il s’arrête avant 2029. Les partis de l’Arizona ont fini de se plaindre des politiques d’avant, désormais ils s’attaquent à celles de maintenant.

Les partis de l’Arizona ont fini de se plaindre des politiques d’avant, désormais ils s’attaquent à celles de maintenant.

Profiter du choc

Le MR avance même plus loin contre Bart De Wever que Georges-Louis Bouchez ne le fit contre la Vivaldi, puisque alors que le MR et l’Open VLD firent liste fédérale commune dans l’arrondissement de Bruxelles, le parti de Georges-Louis Bouchez envisage désormais très explicitement de participer aux élections de 2029 en Flandre, sous la bannière d’un MR Vlaanderen qui serait au moins aussi nuisible à l’Open VLD qu’à la N-VA. Et tandis que Bart De Wever appelle à encore davantage de rigueur budgétaire, le MR exige qu’on mette en œuvre dès 2026 la coûteuse réforme fiscale annoncée pour 2028-2029.

Sur les thématiques socioéconomiques, l’Arizona a déjà fait le mieux qu’elle pouvait, dans tout ce qu’elle a dit qu’elle ferait: la limitation du chômage dans le temps est plébiscitée par les électorats respectifs des cinq formations de la coalition. On sait déjà que l’Arizona remettra beaucoup moins d’ordre que promis dans les finances publiques, et il est déjà établi que les travailleurs ne gagneront pas beaucoup de la «revalorisation du travail» proclamée. Les formations les plus à gauche et les partis les plus à droite vont encore beaucoup se bagarrer sur la taxation des plus-values. Et en santé, Frank Vandenbroucke est bien parti pour reprendre ses vieux habits d’étatiste rigide, et les autres partis commencent déjà à le gigoter sur ce thème. Si bien qu’il ne reste plus guère que les sujets identitaires et la question migratoire sur lesquels le gouvernement peut espérer porter une ligne à la fois cohésive politiquement et populaire électoralement. Et encore, Les Engagés n’y sont sans doute pas prêts.

Comme la Vivaldi, l’Arizona est soumise à un choc extérieur d’envergure mondiale et comme Alexander De Croo, Bart De Wever aura espéré en profiter politiquement longtemps. Pourtant, l’état de grâce, comme l’esprit d’équipe, sont presque déjà terminés pour le second Premier comme ils le furent pour le premier Premier.

 

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