L’Arizona veut tenter d’instaurer les visites domiciliaires afin d’arrêter des personnes illégales en Belgique. Le gouvernement Michel s’était cassé les dents sur ce projet. Le paysage politique a changé depuis, le monde associatif se dit plus déterminé que jamais pour ne pas laisser passer la mesure.
L’Arizona compte bien instaurer les visites domiciliaires. Il s’agit en réalité d’un vieux projet de la coalition suédoise (MR, N-VA, Open VLD et CD&V) qui n’avait jamais vu le jour suite à une pression populaire énorme et de fortes tensions internes au sein du MR, en 2018. Le texte demeure pour le moment dans les mains de la ministre de la Migration, Anneleen Van Bossuyt (N-VA), qui le soumet à une «procédure technique», au Conseil d’Etat, dont le retour est attendu pour le mois de janvier. Le texte, parvenu au Vif, prévoit d’autoriser la police, en collaboration avec l’Office des Etrangers, de pénétrer dans un domicile afin d’y arrêter administrativement un étranger si celui-ci «pouvant compromettre l’ordre public ou la sécurité nationale (…); fait l’objet d’une mesure exécutoire de refoulement, d’éloignement ou de transfert; (…) ne coopère pas à l’exécution de cette mesure; (..)». Et ce entre cinq heures du matin et 21 heures, et même si la personne visée n’habite pas le domicile visité.
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Le tout à condition d’avoir un mandat d’un juge d’instruction, qui peut aussi être saisi par la ministre de la Migration. C’est sur ce point précis que la mesure diffère de celle soumise par le gouvernement Michel, et c’est aussi la raison qui amincit les espoirs des opposants à la mesure. «Le texte parle de personnes qui sont des dangers pour l’ordre public. Pour l’Office des Etrangers, une personne dangereuse, c’est une personne sous Obligation de Quitter le Territoire (OQT)», assure Sotieta Ngo, directrice du Ciré (Coordination et Initiatives pour Réfugiés et Étrangers), qui qualifie ce projet de loi comme «une violation d’un droit fondamental». L’organisation vient justement de lancer une campagne visant à interpeller les députés par mail pour rejeter le projet de loi. «Parce qu’on ne peut pas appeler ça une visite quand la police frappe à la porte à cinq heures du matin. Au mieux, c’est une perquisition, au pire une rafle ou une arrestation.»
Les partis de l’Arizona mal à l’aise sur les visites domiciliaires
De ces mails envoyés massivement aux députés, le Ciré n’aura reçu aucune réponse d’un membre de la majorité. Sotieta Ngo n’attend pas vraiment le MR se déchirer sur le sujet comme en 2018, bien qu’elle en garde l’espoir, «mais Les Engagés, le CD&V et Vooruit devraient pouvoir s’émouvoir de notre campagne».
Côté francophone, Les Engagés s’en réfèrent aux organismes consultés. «Le gouvernement a sollicité différents avis (Collège des procureurs généraux, juges d’instruction, Myria, commissaires aux droits de l’enfant, Comité P et Conseil d’Etat), assure le député de la commission Migration, Xavier Dubois. Sur la base de ces avis, le projet devra être adapté afin d’assurer que la mesure soit strictement encadrée, juridiquement balisée et ciblée.» Sotieta Ngo lui répond que l’arsenal législatif existant permet déjà d’arrêter des personnes dangereuses.
Les Engagés, comme les autres formations du gouvernement, ont par ailleurs fait preuve d’un certain malaise lorsque, dans plusieurs communes (comme à Bruxelles récemment), des motions s’opposant aux visites domiciliaires furent votées. Seul le MR a voté contre, alors que Vooruit et Les Engagés s’étaient abstenus ou n’avaient pas voté.
Le monde associatif et la société civile aussi déterminés qu’en 2018
En 2018, la mobilisation citoyenne contre le projet de visites domiciliaires avait mis le feu aux poudres, puis consolidé les élus locaux contre le texte proposé par l’administration Francken. A l’époque, environ 300 migrants étaient hébergés chaque jour par des Belges à l’appel de la plateforme citoyenne, contre une centaine aujourd’hui. Cette même plateforme «a relancé la machine et beaucoup de monde a déjà réagi», assure son porte-parole, Mehdi Kassou. «En 2018, les réactions, y compris d’élus locaux parfois libéraux, étaient ancrées dans un tissu associatif local fort, complète Youri Lou Vertongen, politologue au Centre de Recherche en Science Politique (CReSPo) à l’Université Saint-Louis. La dynamique d’hébergement avait permis de politiser les actions contre les visites domiciliaires. L’attention politico-médiatique n’est plus à la valorisation de ces actions de solidarité.»
«A chaque grève, à chaque mobilisation populaire, on était présent. Le secteur associatif a amplifié sa force par rapport à la Vivaldi, même si les moyens baissent.»
Mais la migration n’est plus l’unique grande cause du gouvernement comme c’était le cas sous la Suédoise. Et côté opposition, la gauche et ceux qui s’en réclament bataillent aussi sur le pouvoir d’achat, les pensions, les droits sociaux… Youri Lou Vertongen n’exclut pas que que le moment soit monopolisé par les enjeux de précarité actuels ou, à Bruxelles, par la crise du gouvernement régional qui entrave la construction de mouvements sociaux (notamment initiés par des organisations qui voient leurs finances fondre au fil du blocage politique). «Les mouvement sociaux montent en puissance notamment quand une structure politique le permet.»
Le secteur associatif, lui, promet de faire front contre vents et marées grâce à une solidarité qui, peut-être, s’est créée dans un cortège compact et dressé contre l’Arizona, le 14 octobre dernier dans les rues de Bruxelles. «On a été surpris par l’activité qu’a suscité notre campagne, respire Sotieta Ngo. On a été contacté par des structures avec qui l’on n’a pas l’habitude de travailler, des organisations qui ne font pas de plaidoyer, qui se positionnent peu politiquement. Là aussi, il y a un émoi qui se crée. (…) A chaque grève, à chaque mobilisation populaire, on était présent dans le bloc santé, ou dans le bloc socio-culturel. Le secteur associatif a amplifié sa force par rapport à la Vivaldi, même si les moyens baissent, et qu’on craint en manquer pour répondre aux besoins de notre public.»
Après la hausse du prix de la nationalité, les durcissements du regroupement familial et du droit d’asile, l’arrivée du débat sur les visites domiciliaires pourrait être l’élément de trop pour les observateurs de la question migratoire, prévoit Andrea Rea, sociologue et fondateur du Groupe de recherche sur les Relations Ethniques, les Migrations et l’Egalité (Germe). «Quand le débat politique viendra, la mobilisation politique sera là. Et la pression va se faire sur Les Engagés, mais aussi au niveau local. En 2018, c’est la convergence du secteur associatif et des communes hospitalières (NDLR: et donc contre les visites domiciliaires) qui a fait la différence. Je ne crois pas que l’on soit à un stade où c’est plié d’avance.»