En séance plénière, comme ailleurs en politique belge, les débats sont de moins en moins transparents. © BELGA

Pourquoi la Chambre ne publie plus la liste des députés absents: «On parle tout de même de gens rémunérés avec de l’argent public»

Sylvain Anciaux

Les absences des députés ne sont plus inscrites dans les comptes-rendus de la Chambre depuis mars 2020. C’est peut-être un détail pour vous, mais pour la démocratie, ça veut dire beaucoup.

Les députés fédéraux sont partis en vacances sans même recevoir leur bulletin. Après un an d’activité à la Chambre, Le Vif voulait analyser qui a bossé et qui a glandé, en se plongeant dans les 62 comptes-rendus intégraux des séances plénières, qui recensent les présences et les absences lors des votes.

Qui sont censés recenser.

Car la rubrique «excusés» a disparu du compte-rendu. Le calcul reste théoriquement possible, mais fastidieux et laborieux (il s’agirait d’analyser chaque vote nominatif sur chaque amendement, or chaque séance en compte plusieurs dizaines, et les calculs risqueraient d’être faussés puisque des députés votent parfois à la place de ceux qui se sont absentés à la cafétaria).

Le trouble jeu du Parlement

Pourtant, ce comptage existe bel et bien, les députés reçoivent ponctuellement un petit résumé de leur activité des derniers mois. Sésame ô combien important puisque les élus ont tout intérêt à justifier 80% de présence aux votes s’ils ne veulent pas voir leur indemnité (salaire) réduite. «On a arrêté de publier les excusés sur les comptes-rendus depuis la crise sanitaire, répondent les services de la Chambre. A l’époque, il devait y avoir un siège entre chaque député et les plénières ne pouvaient se tenir entièrement en présentiel. Dans ces conditions, c’était impossible de déterminer qui était présent ou non.» Les parlements wallons et de la Fédération Wallonie-Bruxelles ont quant à eux pourtant repris l’exercice des présences après la crise sanitaire.

Cela dit, d’autres pistes ont été étudiées. «Il avait été envisagé d’enregistrer les entrées et sorties en séance de commission, par exemple, avec le badge parlementaire, se souvient l’ex-présidente de la Chambre, Eliane Tillieux (PS). L’expérience s’est révélée négative car les députés passent d’une commission à l’autre en fonction des textes à l’examen, des questions parlementaires, etc.»

Un pouvoir exécutif bientôt tout-puissant

Tout cela ne relève-t-il pas du détail? «C’est très important de savoir qui est au parlement ou non, et surtout qu’il y ait un contrôle de la justification, alerte la constitutionnaliste et professeur à l’UMons, Anne-Emmanuelle Bourgaux. Les électeurs doivent être en mesure de savoir qui est en plénière, on parle tout de même de gens rémunérés avec de l’argent public

Mais tout cela, développe-t-elle, n’est pas qu’une question de contrôle du citoyen envers un élu suspect par défaut. Il en va de la santé de la démocratie. «Depuis le Covid, l’exécutif prend de plus en plus de place, et cela nuit à la transparence.» C’est plutôt logique. Dans une assemblée législative, les débats sont publics et les choix sont déterminés par les votes. Alors qu’un pouvoir exécutif, lui, fonctionne au compromis, «et c’est beaucoup plus dur d’avoir un compromis sur la place publique». L’accord du 21 juillet (a.k.a «l’accord de l’été») en est l’exemple le plus criant. Bart De Wever et son équipe sortent d’un kern le 21 juillet, balancent une conférence de presse entre trois et quatre heures du matin, et filent en vacances quasiment dans la foulée. Les décisions politiques qui façonneront les prochaines années sont communiquées à la volée, aucun texte officiel n’est communiqué, et l’accord est décrypté grâce à des fuites dans la presse.

«La transparence est pourtant ce qui nous lie aux élus, plus encore dans un pays où il n’y a pas de référendum, rappelle Anne-Emmanuelle Bourgaux. L’article 47 de la Constitution garantit la publicité des séances à la Chambre. En 1830, une nouvelle législation était la somme d’une volonté de l’exécutif, d’un contrôle du parlement ainsi que d’une opinion publique éclairée.» Aujourd’hui, les gouvernements ne se justifient plus et s’appuient sur les parlements.

A cela s’ajoute le poids des partis et de leurs présidents, dont ces derniers n’ont aucun compte à rendre aux électeurs. «Troisièmement, il y a la complexité institutionnelle de notre pays qui éloigne l’électeur des institutions. Aujourd’hui, si ma facture d’électricité augmente, je ne sais pas si je dois en vouloir à la commune, à la région, ou au fédéral, ou à aucun des trois.» Enfin, la constitutionnaliste note également un déclin des libertés politiques classiques, comme la liberté d’expression, de la presse, ou d’association, toutes intimement liées à la transparence. «Et on le voit avec le second mandat de Trump, les choses peuvent aller très vite. Il faut rester vigilant.»

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