Sans accord sur le budget, et avec une lourde incertitude sur les réformes pourtant annoncées en juillet, le Premier ministre Bart De Wever se retrouve dépourvu d’autorité comme peu de ses prédécesseurs…
Ainsi se déroulent les grandes journées politiques belges. Souvent, ce qui y commence dans l’entrain patriotique d’une guerre mondiale se conclut dans la confusion embarrassante d’une bagarre générale au bout d’une kermesse de la fricandelle. Le 6 novembre fut donc une grande journée de l’histoire politique récente, commencée dans un fracas grandiose, bouclée dans une discrétion piteuse. Après avoir juré que s’il ne trouvait pas dix milliards d’euros d’effort supplémentaire avant le 6 novembre, il irait chez le roi, après ne les avoir pas trouvés et être allé chez le roi, Bart De Wever a juré ce jour-là, au souverain et à la nation, que s’il ne trouve pas dix milliards d’euros d’effort supplémentaire avant Noël, il retournerait chez le roi pour démissionner.
Cette manière de guerre mondiale de chez nous était partie d’un Conseil national de sécurité, parce que la Belgique était attaquée par une puissance hostile aux procédés hybrides. La veille, des aéroports avaient été fermés, des bases militaires explorées, un opérateur de télécommunications piraté, et donc un Conseil national de sécurité convoqué par Bart De Wever pour le lendemain, le jeudi, de 10 à 12 heures au 16 rue de la Loi. Cet horaire donnait déjà l’assurance que la kermesse de la fricandelle serait bien saucée, et que l’échec, collectif et individuel, qui la conclurait serait bien salé.
En effet, avant que les drones et les hackeurs ne lancent leur gourmande hybridité à l’assaut du pays, en début de semaine, ce moment aurait dû être consacré à la rédaction par Bart De Wever de sa déclaration de politique fédérale, ou, au pire, des derniers ajustements techniques à ses tableaux budgétaires pluriannuels durement négociés. Que le Premier prévoie deux heures pour causer de guerre mondiale avec ses ministres régaliens et avec les principaux responsables de la sécurité du pays, plutôt qu’à faire ce qu’il avait promis de faire une semaine plus tôt, montrait déjà sa certitude qu’il n’y arriverait pas le jeudi 6 novembre. Qu’il raterait, après le deuxième mardi d’octobre et après le troisième, un énième ultimatum qu’il avait lui-même fixé à son gouvernement.
C’est pourquoi, après avoir bouclé son Conseil national de sécurité d’avant-guerre mondiale quelques minutes après midi, il a invité tous les vice-Premiers de l’Arizona à rester pour un petit kern. Celui-ci constatait qu’ils n’arriveraient pas à trouver dix milliards d’euros supplémentaires d’ici à 2030. Avec quinze minutes de retard sur sa deadline de 13 heures, Bart De Wever a alors quitté le 16 rue de la Loi pour contourner en Volvo le parc royal et se rendre au Palais. Et c’était devenu une vérité nationale que la kermesse de la fricandelle allait décliner comme un feu d’artifice graisseux.
A 14h15, la sonnerie de la séance plénière de la Chambre retentit, et à 14h16, le Palais envoie un communiqué disant: «Le Premier ministre a fait part [au roi] de désaccords persistants au sein de son gouvernement sur les questions budgétaires, tout en indiquant que les partenaires de la coalition souhaitaient poursuivre le travail». Et que le roi «demande avec insistance à toutes les parties prenantes de prendre leurs responsabilités et de surmonter leurs divergences, afin de doter le pays au plus vite d’une trajectoire budgétaire claire pour les années à venir. Il en va de l’intérêt des citoyens et des finances publiques, ainsi que de la crédibilité de la Belgique sur la scène européenne et internationale», conclut le cabinet royal.
Le temps que les rédactions le copient-collent, et à la Chambre, on rend un hommage à un ancien parlementaire socialiste flamand disparu. Bart De Wever y est digne et debout comme tous les ministres et tous les députés, et relit pendant l’obit son discours imprimé de frais, puis il installe son trois-pièces sombre et sa cravate bleu ciel à la tribune. «Je viens d’informer le roi qu’aucun accord n’avait pu être trouvé», lance-t-il, à 14h34, dans un soupir.
Pour Bart De Wever, l’échec est patent
C’est ainsi officiel, la Belgique sera sous le régime des douzièmes provisoires, jusqu’à ce qu’un budget soit voté. La réforme des pensions, la taxation des plus-values, la flexibilisation du travail de nuit, qui n’ont pas pu être validées en deuxième lecture par le gouvernement, ne seront pas non plus adoptées par le Parlement avant l’année prochaine. Sauf si le MR accepte de bouger, avant la toute dernière et toute nouvelle deadline, celle de Noël, sur l’assainissement des finances publiques que promeut Bart De Wever. La taxation des plus-values pourra être appliquée, rétroactivement, dès le 1er janvier, même si elle est votée plus tard dans l’année. Mais, parmi les grands symboles de l’accord de l’été, le malus pension et la flexibilisation du marché du travail, eux, sont à coup sûr au frigo pour longtemps.
C’est la dernière monnaie d’échange de Bart De Wever, ces réformes, pour forcer le MR à entrer dans une négociation budgétaire dont les réformateurs, désormais défenseurs acharnés de l’indexation automatique des salaires, ne veulent pas. En attendant, pour Bart De Wever, l’échec est patent.
Le Premier ministre a raté son coup.
Mais, a-t-il conclu après à peine plus de trois minutes d’une terne déclaration aux représentants, «la dernière limite de Noël ne sera pas repoussée. Nous n’avons pas été élus pour représenter nos électeurs, mais tous les citoyens de ce pays. La prospérité de demain commence avec le courage d’aujourd’hui.»
C’est plat, complètement déchargé d’énergie. C’est comme un triste abstème à la fin de kermesse de la fricandelle, qui verrait les avinés rigoler à se bagarrer et à se moquer de lui. Jeudi après-midi, le Premier ministre a soufflé un premier grand bof de trois minutes et demie au visage du Palais de la nation.
Il s’est ensuite montré encore plus affaissé dans son grand bof, en réponse aux questions d’actualité d’une opposition démontée, qui ont suivi sa morne déclaration. «Chers membres de l’opposition et cher Jean-Marie, c’est décevant», a-t-il dit à son ami Jean-Marie Dedecker, élu sur une liste de la N-VA, et aux chefs de groupe de l’opposition. «Croyez bien que personne ne peut être plus déçu que moi, a-t-il expliqué. Les mesures ne sont agréables pour personne, certainement pas pour nos électeurs, mais elles doivent être prises pour assurer l’avenir de tous les citoyens de ce pays », a-t-il fait mine de déplorer. Puis il a appelé les autres partis de la majorité au sérieux avec une grandiloquence de fin de pot de mayonnaise. Il replie ses petits papiers, et il regagne sa place sur le banc du gouvernement, alors qu’il lui restait encore deux minutes et demie des cinq qui lui étaient dévolues pour répondre aux questions orales.
Cet historien réputé pour son intelligence des faits ne peut pas ignorer que même s’il parvient à convaincre le MR de bouger sur l’assainissement avant Noël, son gouvernement aura déjà battu tous les records de faiblesse.
Aucun Premier ministre de plein exercice, en Belgique, n’avait jamais imposé à son pays le régime des douzièmes provisoires. Sauf Elio Di Rupo, au début de 2013, et encore, c’était à cause des élections communales. Et aucune Déclaration de politique fédérale n’aura, si elle a jamais lieu, été si tardive. Elio Di Rupo, lui, l’avait faite à la fin novembre 2012.
Alexander De Croo, à la tête d’une coalition bien plus hétéroclite, avait l’entêtement démoniaque du chien enragé en quête de viande, forçant les partenaires à s’entendre, multipliant les réunions, enchaînant ses vice-Premiers à la table. Charles Michel et Elio Di Rupo non plus ne comptaient pas leurs heures, pas plus que celles de leurs équipes. Bart De Wever, lui, n’a réuni en deux mois de crise qu’une petite poignée de kerns, tous ont été écourtés, aucun vice-Premier n’a dû passer son week-end à Bruxelles, pas plus qu’une nuit non plus, et les «groupes techniques» censés se réunir entre les kerns pour préciser les textes sur lesquels travaillaient si peu les négociateurs ont surtout servi à faire gagner quelques lignes aux journalistes chargés d’écrire quelque chose sur rien. Parce que Bart De Wever, lui, s’adonne à la tétralogie du bof, ces quatre soupirs à la suite qui l’empêchent de forcer les partenaires à aboutir s’ils n’en ressentent pas l’intérêt.
Bof, parce que son caractère n’est pas volcanique, et qu’il cultive des skills de stoïcien morne, lui.
Bof, parce qu’il n’a pas spécialement envie de faire carrière au 16 rue de la Loi, lui.
Bof, parce que son parti n’a pas vraiment envie de sauver le pays, et lui non plus.
Et bof, parce que tout ça ne lui donne pas l’énergie d’allonger les réunions de travail. Ni même de les convoquer: jamais dans l’histoire récente un Premier ministre n’avait organisé si peu de kerns à l’approche d’aussi nombreuses deadlines.