Pensions, réforme fiscale, Défense, justice, climat, etc.: Bart De Wever veut faire avancer une gigantesque série de dossiers avant le 21 juillet. Blocages en vue?
«Quand on est pape, on ne brosse pas la messe de Noël», ont déjà plusieurs fois répété les présidents des partis avec qui il a négocié son Arizona, Georges-Louis Bouchez et Maxime Prévot, et il assistera donc normalement au Te Deum et au défilé militaire, sous peine de provoquer un incendie politique national. Le premier 21 juillet de Bart De Wever sera une fête nationale comme les autres, en tout cas pour tous les autres. Lui, Premier ministre d’une Belgique qu’il doit, dit-il, sauver, sera scruté par tout le Royaume. Portera-t-il un signe qui tranche, un de ses petits gadgets signifiants dont il aime agrémenter ses apparitions, ou prépare-t-il des mots qui feront date comme il en a la benoîte habitude? Se contentera-t-il d’une parlante mimique? Il y a encore là un suspense, dont ne doutons pas que l’Anversois sait déjà comment il sortira.
Mais pour le reste, en attendant son premier 21 juillet, le Premier travaille comme les derniers, ceux-là même dont il dépréciait le travail ces dernières années. Il a placé un gros entonnoir sur le chemin de son gouvernement, dont il va remplir le gros bout, il est déjà entré dedans avec tous ses collègues, et dont le petit bout donne sur le 21 juillet. Bart De Wever doit faire passer en kern un paquet de mesures qui se négocieront, comme toujours en Belgique, et donc aussi sous sa gouverne, pendant des heures, entre ses vice-Premiers et lui, avec éventuellement le ministre fonctionnel concerné, et avec souvent l’intervention, de l’extérieur, de présidents de partis soucieux de marquer des points ou d’éviter de laisser les autres en marquer.
Ce futur accord du 21 juillet de Bart De Wever suivra son accord de Pâques, lui-même produit de son accord de gouvernement, eux-mêmes précurseurs des accords de juin sur les plus-values et le programme d’investissements militaires.
Et encore l’accord sur les plus-values n’a-t-il pas été validé du premier coup lors du Conseil des ministres du vendredi 4 juillet, celui qui avait suivi l’accord de principe validé par le kern au petit matin du 30 juin. En effet, Vooruit y avait couplé l’achat de onze F-35 supplémentaires, ce qui fut donc autorisé. Mais les Engagés y couplèrent également leur revendication de mieux compenser les conséquences, pour les CPAS, de la limitation des allocations de chômage dans le temps. Il faudra donc, dans les prochains jours, régler définitivement ce nœud pour vraiment pouvoir entrer dans le gros de l’entonnoir de l’avant-vacances.
Le premier 21 juillet de Bart De Wever, un Premier pas comme les autres, sera donc à peu près comme ceux des autres. Mais il est précédé d’annonces encore plus intenables. L’embouchure de son entonnoir est encore plus remplie que celle d’Alexander De Croo aux heures les plus vivaldesques d’une méthode que la N-VA, unanime, qualifiait alternativement de bordélique et de stérile.
C’est dû à un calendrier politique qui n’est pas modifiable, même par Bart De Wever: pour agir toute l’année dans la plénitude de ses moyens, le gouvernement doit faire voter le budget de l’Etat avant la fin de l’année. Avant cela, le Premier ministre, le deuxième mardi d’octobre, doit recevoir la confiance du Parlement, confiance consécutive à l’obtention, par le gouvernement, d’un accord sur les grandes lignes du budget. Ces grandes lignes sont tracées en début de législature par l’accord de gouvernement.
Mais chaque année, avant la pause des vacances, il faut au moins que des décisions de principe sur des textes soient prises afin que celles-ci soient traduites techniquement, puis validées administrativement pour pouvoir être, en octobre, intégrées au discours sur l’Etat de l’Union du Premier ministre, puis dans la loi budgétaire à voter avant la fin de l’année.
Avant son premier 21 juillet, Bart De Wever doit donc préparer le budget 2026. Mais il doit aussi faire adopter, dans une loi fourre-tout dite «de dispositions diverses», toute une série de mesures pas encore envoyées au Parlement, et pour lesquelles un accord ne s’est pas toujours dégagé, mais qui sont déjà largement annoncées.
Tout le monde en retard
C’est ce qui rend le caractère, disons, au hasard, apparemment bordélique et potentiellement stérile, du prochain et premier accord estival de l’Arizona. La méthode de Bart De Wever, qui a mis du temps pour mettre sa coalition en place, ce qui a mis tout le monde en retard pour 2025, et est en train de déjà compromettre 2026, semble encore en rodage.
C’est pourquoi chaque ministre ou presque arrive avec des textes qu’il veut voir avancer. Et pourquoi chaque président de parti de la coalition souhaite conditionner les textes des autres avec des avancées des siens. Et c’est pourquoi pour son premier 21 juillet, on a cette impression que Bart De Wever a jeté un rubik’s cube dans son entonnoir.
Ses ministres les plus emblématiques, en particulier, ont dans cette mêlée du 21 juillet un rôle spécialement central.
Le ministre de la Défense Theo Francken, d’abord, ne doit en effet pas seulement s’occuper du défilé militaire. Il est parvenu à enfin présenter son plan stratégique pour la Défense au conseil des ministres, même si l’achat de onze nouveaux F-35 reste encore en suspens tant que le dernier carat de la taxation des plus-values n’est pas entériné par l’aile droite de l’Arizona. Mais ses collègues n’ont toujours pas trouvé où aller chercher les 3,4 milliards annuels nécessaires. Ni pour 2025, où la Belgique devra probablement, dans l’empressement juilletiste, se résoudre à s’endetter et à choisir quelques participations de l’Etat à vendre dans l’urgence. Ni pour 2026, où il faudra dès cet été déjà prévoir les moyens structurels indispensables pour atteindre les 2% du PIB consacrés à la Défense, et trouver ailleurs les 1,5% de PIB dépensés ailleurs mais convertibles, selon la nouvelle clé de l’Otan, en dépenses de Défense et de sécurité.
Le ministre des Pensions et des Finances Jan Jambon, ensuite, a reçu les plus gros départements de tout le gouvernement fédéral, et est le membre du kern qui va le plus suer ces prochaines semaines. Il doit en effet faire voter avant la fin de l’année le gros de sa réforme des pensions, qui mettra en œuvre le système des bonus et des malus qui doit s’appliquer dès le 1er janvier 2026, et souhaite pour cela faire passer, dans le prochain accord du 21 juillet, ses avant-projets en première lecture. Les conséquences d’un échec ne seraient pas que politiques pour Jan Jambon, elles seraient budgétaires pour tout le gouvernement puisque la réforme des pensions doit faire économiser 2,3 milliards d’euros d’ici 2029 aux finances publiques. Un retard dans son adoption ridiculiserait encore davantage les ambitions arizoniennes en matière de comptes publics. Or, dans la coalition, les partis du centre et de gauche seront, c’est déjà garanti, encore plus scrupuleux sur la répartition de ces efforts qu’ils ne le sont sur la limitation dans le temps des allocations de chômage.
Et tout le monde veut marquer
Et Jan Jambon devait également présenter cet été les premiers jalons d’une réforme fiscale qui, avec la nouvelle taxe sur les plus-values, ne devait donner sa pleine amplitude que lors de la dernière année de la législature. Mais dans la coalition, les partis de droite et du centre sont, c’est déjà officiel, encore plus offensifs sur les échéances fiscales qu’ils n’ont été défensifs sur les plus-values. Le MR a réclamé une accélération de l’échéancier, et veut que la hausse de la quotité exemptée à l’impôt des personnes physiques soit appliquée dès le 1er janvier. Le CD&V aussi. Mais la hausse de cette quotité provoquera une énorme baisse des recettes de l’Etat, de l’ordre de 3,5 milliards d’euros annuels, et c’est pourquoi l’Arizona l’avait repoussée en fin de législature, avant même que la hausse des dépenses de Défense, de l’ordre de 3,4 milliards d’euros annuels, ait été imposée dès 2025.
Ces astronomiques implications budgétaires, doublées de conséquences importantes pour les autres niveaux de pouvoir, qui perçoivent une partie de l’impôt des personnes physiques, interdisent une concrétisation dans les jours qui viennent. Si personne, d’ici au 21 juillet, ne trouve miraculeusement un autre chemin, non tracé par l’accord de gouvernement, pour substantiellement alléger la pression fiscale sans endommager gravement la trajectoire budgétaire, les cinq partis, sur ce point, devront se contenter d’envoyer un lourd signal symbolique, qui ne compliquera pas trop le travail du ministre des Finances, Jan Jambon, et qui n’humiliera pas encore plus celui du ministre du Budget, Vincent Van Peteghem.
Mais même cela n’est pas certain. Parce que même si, entre eux, les ministres s’entendent bien, et que les vice-Premiers sont plutôt copains, chacun devra marquer des points. Mais que tout le monde n’est pas disposé à les laisser marquer, même par les copains. Parce que pour faire passer un rubik’s cube dans un entonnoir, il faut que tout le monde y mette du sien.
Déjà, les Engagés conditionnent la limitation du chômage dans le temps à un refinancement des CPAS, mais ils veulent aussi faire valider le Plan énergie climat que porte Jean-Luc Crucke. Et le MR souhaite faire aboutir la fusion des zones de police bruxelloises dessinée par Bernard Quintin. Et le CD&V désire faire accepter le plan contre la surpopulation carcérale pensé par Annelies Verlinden. Et Vooruit, qui déjà conditionne l’achat de F35 à la taxe sur les plus-values, pense faire passer aussi les projets de Frank Vandenbroucke sur les soins de Santé, projets dont tout le monde, au sein de la coalition, a déjà dit qu’il n’en voulait pas: la première fête nationale de Bart De Wever comme Premier ministre sera encore plus belge que nature.
Avant le 21 juillet, Bart De Wever doit faire adopter une série de mesures pour lesquelles un accord ne s’est pas toujours dégagé, mais qui sont déjà largement annoncées.