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Le Premier ministre, Bart De Wever, a présenté l’accord budgétaire tôt ce lundi matin. © BELGA

«On voit bien qui va encore raquer»: la classe moyenne est-elle vraiment pénalisée par l’accord budgétaire?

Benjamin Hermann
Benjamin Hermann Journaliste au Vif

L’accord budgétaire du gouvernement fédéral fera payer la classe moyenne, dénonce-t-on dans l’opposition, notamment en raison de l’indexation partielle prévue pour 2026 et 2028. Ce n’est pas tout à fait faux, reconnaît un économiste, mais c’était inévitable.

C’est le traditionnel ballet de commentaires qui s’enclenche au terme de négociations budgétaires. Les partis de la majorité se félicitent de l’accord, qui ne convient totalement à personne mais qui résulte d’un compromis, tout en limitant les impacts sur le portefeuille des citoyens et des entreprises. Dans l’opposition, on établit rapidement la liste des mesures imbuvables qui, précisément, devraient toucher durement au portefeuille des uns et des autres. Et principalement de la classe moyenne, dénonce-t-on.

Le Premier ministre Bart De Wever (N-VA), en tout cas, a immédiatement annoncé la couleur, prévenant qu’on «ne peut pas faire un assainissement et dire en même temps que personne ne va rien sentir». Chacun participe de la sorte à l’effort, avec néanmoins une série de mesures protectrices pour les moins nantis, tempère-t-il.

C’est aussi ce qui se dit dans les rangs des Engagés et du MR. On augmente ponctuellement la TVA, mais on ne touche pas aux taux en tant que tels. On plafonnera l’indexation à deux reprises au cours de la législature, au-dessus de 4.000 euros pour les salaires et de 2.000 euros pour les allocations, ce qui constitue un effort, mais qui épargne les plus basses rémunérations. Cette mesure vise donc la moitié des salaires les plus élevés, disons la classe moyenne supérieure, mais peut aussi bénéficier aux grandes entreprises et aux secteurs qui rémunèrent bien, donc qui ne se portent pas trop mal. Dans le même temps, on fait contribuer les fameuses «épaules les plus larges», notamment au moyen d’un doublement de la taxe sur les comptes-titres.

«Toujours des taxes»

«Tout d’abord, c’est une bonne chose qu’il y ait un budget. Mais on voit bien qui va encore raquer, déplore Alexia Bertrand, cheffe de file de l’Open VLD, dans l’opposition. Quand on calcule, on voit que plus de la moitié de l’effort se situe dans les recettes, les solutions se dirigent toujours vers plus de taxes. La hausse des taxes sur la consommation est présentée comme un tax shift, mais ça n’a rien d’un shift, c’est une augmentation, au regard des chiffres globaux.»

S’il y a un «fil rouge» dans cet accord budgétaire, assure la libérale, «c’est que ce sont les gens qui bossent et ceux qui entreprennent qui vont payer. Quand on augmente la fiscalité sur le gaz, ce qui est une pure opération budgétaire à mon sens, tout en augmentant la TVA sur les take-away et les loisirs, par exemple, il ne faut pas avoir fait astrophysique pour comprendre que ça va impacter tout un chacun, en particulier la classe moyenne. Ceux qui vont de temps en temps au concert ou s’achètent une frite paieront plus cher.»

Parmi les critiques qu’elle formule, la députée Ecolo Sarah Schlitz pointe elle aussi les mesures énergétiques. «On augmente les accises sur le gaz, sans aucune mesure d’accompagnement social, comme si les gens étaient en mesure de changer leur mode de consommation énergétique en un claquement de doigts. Et je rappelle que par ailleurs, une série de primes à l’isolation ont été supprimées. Mais comment vont faire les locataires et les petits propriétaires?» Pour l’écologiste, comme pour d’autres dans l’opposition, «prétendre qu’on évite le saut d’index tout en le plafonnant comme ils l’ont décidé, c’est encore une façon de faire payer cette classe moyenne.»

Est-ce un saut d’index au détriment de la classe moyenne?

Du côté de DéFI, François De Smet se veut nuancé, désignant une série d’avancées, comme le doublement de la taxe sur les comptes-titres ou l’instauration d’un parquet national financier. Mais lui aussi s’inquiète du plafonnement de l’indexation prévu pour 2026 et 2028. «Ils ont un côté prestidigitateurs, ils n’assument pas les mots. Or, il y a un vrai double saut d’index. Le salaire médian, c’est un peu plus de 3.700 euros, donc ça va toucher environ la moitié des travailleurs.»

Pour François De Smet, «le gros manque où on peut s’inquiéter vis-à-vis de la classe moyenne, c’est ce qu’ils ne décident pas. Je ne vois pas de politique industrielle et économique pour dégager de la croissance. On fait des économies, mais que fait-on pour stimuler?»

A gauche de l’échiquier politique, le président du PTB, Raoul Hedebouw, dénonce lui aussi la définition qui est faite des épaules les plus larges, dès lors que le plafonnement de l’indexation s’opérera sur des salaires et des allocations à partir de la moyenne. Pendant ce temps, selon le Liégeois, ce sont les plus grandes fortunes qui sont épargnées.

«Le prix du gaz va augmenter aux portes de l’hiver, l’indexation des salaires sera plafonnée alors que le coût de la vie augmente: un travailleur sur deux est concerné!, a également commenté le président du PS, Paul Magnette. Et avec MR/N-VA/Les Engagés, ce sont toujours les mêmes qui paient: les travailleurs, les classes moyennes et populaires. Des solutions injustes qu’ils persistent pourtant à imposer.» De son côté, le chef de groupe PS à la Chambre, Pierre-Yves Dermagne, estime «qu’il n’est toujours pas question des 500 euros en plus promis aux travailleurs. Que du contraire! Ce budget fait payer les travailleurs, les pensionnés et les familles. Et pendant ce temps, les grands capitaux et les multinationales contribueront à moins de 5% de l’effort total.»

«La classe moyenne préservée»

Là où les partis de la majorité identifient une augmentation du pouvoir d’achat et un juste équilibre par rapport à l’effort à réaliser, la «classe moyenne» est pratiquement sur toutes les lèvres dans l’opposition, même s’il reste bien ardu de définir ses contours avec précision.

«Il n’y a pas de saut d’index sauf pour les parlementaires et les ministres pendant toute la législature. Les citoyens continueront à bénéficier d’une indexation totale jusqu’à 4.000 euros de salaire brut», répond le vice-Premier Maxime Prévot (Les Engagés). Pour ce dernier, «cela permet de préserver au maximum les travailleurs de la classe moyenne et leur pouvoir d’achat.» David Clarinval (MR), souligne pour sa part un accord «global, juste et équilibré qui valorise le travail et la compétitivité des entreprises.»

Alors, cette classe moyenne est-elle vraiment celle qui doit s’apprêter à trinquer? «Ma réponse sera simple, résume l’économiste Etienne de Callataÿ (Orcadia Asset Management). Oui, la classe moyenne est mise à contribution, mais il n’y avait pas moyen de ne pas le faire. Malheureusement, il n’y a pas assez de gens très riches que l’on peut suffisamment taxer pour ne pouvoir se baser que sur la contribution des plus nantis. J’aimerais vivre dans un monde où tout est indexé, mais ce n’est pas tenable.» Sous un angle plus politique, il voit aussi la limitation de l’indexation comme une première entaille dans «cette double anomalie que sont l’indexation automatique des salaires et le fonctionnement de la norme salariale», qui devraient être réformés un jour ou l’autre.

«Des petits morceaux»

«Il était indispensable d’assainir nos finances et donc de consentir des efforts pour éviter le dérapage de notre déficit et préserver notre Etat-providence», comme le souligne David Clarinval (MR). Face aux impératifs budgétaires, le gouvernement n’avait guère d’autre choix que de prendre ce type de mesures, indique Etienne de Callataÿ, qui se veut indulgent. «Intellectuellement, j’aurais préféré une réforme globale plutôt qu’une série de mesures par petits morceaux, comme on en a l’habitude. Je pense à la taxation des comptes-titres, qui est un mauvais impôt parce que trop de gens fort nantis y échappent.» Mais compte tenu des contraintes et des difficultés à accoucher d’un accord, les mesures prises par l’exécutif fédéral sont compréhensibles, selon lui.

«Il y a une mise à contribution des classes moyennes, mais les moins nantis sont plutôt préservés, ce qui est à mettre au crédit du gouvernement. Et cette mise à contribution ne se fait pas directement au travers du fait de travailler, mais par une autre voie. Si on observe cela sur une échelle internationale, on constate que la fiscalité sur le travail est déjà très lourde en Belgique, ce qui est moins le cas de la fiscalité sur la consommation, sur la pollution et les revenus du capital.» De manière générale, selon l’économiste, «le pollueur» reste plutôt épargné en Belgique, de même que le propriétaire immobilier et les personnes bénéficiant de niches fiscales par exemple. «En revanche, certaines formes de détention du capital sont davantage mises à contribution. C’est un équilibre à trouver, face à une situation budgétaire très difficile.»

De façon un peu contre-intuitive peut-être, d’autres mesures pourraient même bénéficier aux personnes moins richement dotées. «Je pense aux quelques augmentations de TVA, qui seront reportées dans l’indice et qui seront davantage supportées par les employeurs que par les travailleurs. Les moins fortunés ne sont pas nécessairement les plus concernés par les secteurs touchés, mais verront l’indexation de leur allocation ou de leur salaire augmenter à terme.»

Qu’est-ce que la classe moyenne?

La «classe moyenne» reste en ensemble particulièrement difficile à définir, l’usage du concept a donc ses limites, indique pour sa part le politologue Dave Sinardet (VUB et UCLouvain Saint-Louis Bruxelles). Pour sa part, il relève une certaine distorsion entre les choix budgétaires et les messages portés par l’Arizona depuis son entrée en fonction: d’un côté, le fait de toujours récompenser le travail, et de l’autre, la promesse de ne pas augmenter la fiscalité.

«Un salaire brut de 4.000 euros, c’est très correct évidemment, mais on va quand même limiter l’indexation de la moitié des travailleurs, ce qui entre un peu en contradiction avec les discours. Cela étant, il faut aussi voir ces mesures en lien avec l’ensemble des autres décisions», comme la réforme des allocations de chômage. Dave Sinardet relève également que, parallèlement à l’avancement d’un an de la réforme fiscale qui permettra d’augmenter le salaire minimum, un pan entier de cette même réforme est postposé à 2030, donc en engageant le gouvernement suivant et en hypothéquant d’une certaine façon sa mise en œuvre.

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