Paul Magnette
Invitée du PS de Paul Magnette pour cette nouvelle étape de refondation, la sociologue Dominique Méda a galvanisé les socialistes, invités à se réapproprier le travail, confisqué injustement, selon eux, par la droite libérale. © BELGA

«Ne pas devenir le Coca Light de la droite»: entre recentrage et valeurs de gauche, le fragile équilibre de la refondation du PS sous Paul Magnette

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Tout à sa refondation, le PS de Paul Magnette opère un recentrage, abandonnant discrètement certaines des thématiques les plus chères de la gauche.

Ces 5 et 6 septembre, à Mons, le PS a fait ce qu’il a toujours fait comme ça, tandis que son président s’employait à faire croire que tout était neuf comme jamais.

Les cadres du parti, qui ont maintenu Paul Magnette après la double défaite électorale de 2024, n’y croient toujours pas beaucoup, et ce n’est pas neuf. Mais les sondages ne sont pas trop mauvais et c’est relativement nouveau.

C’est tout l’enjeu d’aujourd’hui pour Paul Magnette. Il doit conjuguer l’éternité socialiste au futur. Il joue, dans ce processus moyennement innovant de refondation qu’il a lancé pour empêcher son parti de se révolter, une survie politique que même des sondages pas trop mauvais ne lui offriront pas, tant les attentes ont été déçues, et tant elles restent élevées. Seule une victoire aux élections législatives, régionales et européennes de 2029 lui offrira un avenir propre. Et l’élection présidentielle de 2027 ne sera peut-être pas la formalité qu’il pensait, et qu’il pense toujours être. Il n’est pas du tout exclu qu’elle soit un peu sale, et ça, ça serait très nouveau.

Ce qui était très traditionnel, à Mons, le premier week-end de septembre, ce sont ces «rencontres de rentrée», au théâtre du Manège, et ces haleines conséquentes du samedi matin, au lancement de «Demain sans tabou» au Palais des congrès de Mons. Le vendredi soir plus festif que studieux autour de la Grand-Place, la journée de samedi plus déclamatoire que dînatoire dans le nouveau quartier des Grands Prés, et, pour passer de l’un à l’autre, le piéton devait traverser la majesté de la gare Calatrava, tout cela rendait sans doute un hommage au concepteur de ces traditions socialistes automnales, Elio Di Rupo.

L’ex-président et ancien bourgmestre avait couplé la rentrée politique à une espèce de fête du personnel. Son successeur au boulevard de l’Empereur a prolongé ce couplage. En 2023, le PS avait déjà tenu son université d’été à Mons. Et d’ailleurs, Elio Di Rupo, toujours spitant, volète en 2025 de groupe en groupe, pendant la pause de midi. Ce samedi 5 septembre, il est heureux de croiser des gens qui lui disent à haute voix qu’elle est très belle, la gare, et aussi, dirait-on, d’entendre des gens, parfois les mêmes, lui souffler à mi-voix que c’est n’importe quoi, cette refondation. A nous, il a juste rappelé que le Palais des congrès de Mons avait été dessiné par l’architecte Daniel Libeskind, et que ce dernier avait aussi conçu le master plan pour la réaffectation de Ground Zero, à New York. Et que la station Ground Zero, dessinée elle aussi par Calatrava, «elle a coûté plus de trois milliards, hein, cette station…», s’amuse le grand homme, aujourd’hui député européen, qui ne s’est même pas présenté aux élections communales, avant de spiter vers un autre groupe à qui il voudra donner davantage qu’un vaporeux haussement de sourcils.

L’aile droite du PS en constitution pourrait s’exprimer lors de la présidentielle et s’exprimera, à coup sûr, si les sondages sont mauvais.

L’aile droite du PS

Ce qui était assez neuf, en revanche, c’est que ce n’est plus Elio Di Rupo qui donne le ton au PS, ni non plus à Mons, et que dans la nouvelle architecture socialiste, le bourgmestre de Mons n’est plus le tenant du titre, mais le challenger. Ce qui est neuf, c’est aussi qu’Elio Di Rupo et Nicolas Martin (l’actuel bourgmestre de Mons), qui ne se fréquentent plus guère, font tous deux désormais presque officiellement partie des déçus du magnétisme. C’est en effet Nicolas Martin qui, au lendemain des élections, a tenu les propos les plus fermes sur la ligne, qu’il jugeait trop à gauche, imprimée par un Paul Magnette dont il fut pourtant un fervent soutien, qu’il encouragea et qui l’aida à succéder à Elio Di Rupo à Mons et à Bruxelles. Avec Thomas Dermine et Déborah Géradon, il a été chargé par son président de renouer les liens du parti avec le monde entrepreneurial. L’idée du président, par cette triple désignation, était de consolider sa position en intégrant les contestataires, officiels ou officieux. Celle des triples désignés est de consolider leur position en y intégrant d’autres contestataires, officieux et officiels. De cette aile droite du PS en constitution gronde une sourde sédition. Elle pourrait s’exprimer, c’est encore en discussion, lors de la présidentielle interne de 2027. Elle s’exprimera, à coup sûr, si les sondages sont mauvais.

Mais ce qui est traditionnel, au PS, c’est que le président tente de gérer les contestataires en tentant de les contenter, et les journées de vendredi et samedi l’ont encore démontré. Avec Thomas Dermine, le successeur qu’il a dû se choisir à Charleroi, Paul Magnette se prévaut d’une saine répartition des rôles –il lui demande de spécialement s’attaquer au président du MR. Mais c’est surtout parce que Thomas Dermine le souhaite qu’il tente de s’imposer comme le socialiste le plus agressif envers Georges-Louis Bouchez. A Nicolas Martin, il offre ce qu’il veut, y compris le rôle d’hôte des rencontres de rentrée. Aux autres qui ne sont pas ou plus sur sa ligne, Déborah Géradon, Ahmed Laaouej, Christie Morreale, il a cédé une autonomie presque infinie, qu’ils ont à peine dû conquérir.

Le tri des thématiques sur lesquelles le PS appuiera à l’avenir témoigne du recentrage opéré par Paul Magnette. © BELGA

Rien dans le coin gauche

Ce qui est neuf, au PS, c’est que le président tente surtout d’apaiser la contestation sur sa droite. Les prédécesseurs de Paul Magnette, et Paul Magnette lui-même jusqu’aux défaites de 2024, avaient dû calmer les subversifs à gauche, dans le monde du travail mais pas seulement, depuis Georges Debunne jusqu’à Thierry Bodson pour la FGTB. Guy Spitaels avait eu son Ernest Glinne; Philippe Busquin et Elio Di Rupo leur Philippe Moureaux; Elio Di Rupo son Paul Magnette. Paul Magnette, lui, n’a pas de challenger dans le coin gauche. C’est pour cela que la refondation sans tabou qu’il impose avec l’aisance d’un photographe qui dirait «soyez spontané» à son modèle, enfouit surtout une partie de l’impensé de gauche du Parti socialiste.

Cette refondation ne convainc pas même ceux qui la pilotent.

Ainsi, ce qui a été traditionnel, lors de la journée de rentrée du samedi du Parti socialiste, c’est que l’invitée d’honneur, la sociologue française Dominique Méda, a été fortement applaudie. Elle a expliqué combien le travail avait été confisqué à la gauche par la droite, dont le libéralisme, pourtant, aurait détruit l’industrie européenne, et cela ne pouvait pas déplaire à une assemblée de 500 ou 600 socialistes. Et tous les intervenants, dans le question time qui a suivi, réclamèrent un ancrage encore plus fort dans le monde du travail. Jusqu’à cet entrepreneur louviérois, qui a véritablement triomphé en appelant la gauche à «ne surtout pas devenir le Coca Light de la droite». C’est pour cela que Paul Magnette raconte partout, avec la fermeté d’un vendeur de voitures d’occasion dépressif, qu’il est hors de question que le PS se déleste de ses valeurs et de son histoire au fil de sa refondation.

Mais ce qui est neuf, pourtant, c’est que cette refondation, qui ne convainc pas même ceux qui la pilotent mais qui a entamé le samedi 5 septembre sa deuxième phase, a déjà opéré le recentrage réclamé par l’aile droite du parti, par les grands médias francophones et par certains des adversaires du PS, à droite, au centre et même à gauche. Dans l’après-midi, les militants ont en effet dû choisir, parmi douze thématiques possibles, les cinq que les socialistes devront, une fois la refondation accomplie, répéter, grossièrement résumées, en permanence en campagne, parce que, a dit Paul Magnette le vendredi, ceux qui ont gagné les élections en 2024 l’ont fait parce qu’ils avaient trois ou quatre thèmes qu’ils ont répétés, grossièrement résumés, en permanence en campagne. Les cinq thèmes choisis –l’enseignement, le climat, les services publics, le pouvoir d’achat et le travail, dans l’ordre croissant de l’enthousiasme militant– ne déparent pas dans la phraséologie socialiste. De même, les sept thématiques éconduites ne sont pas en contradiction avec les engagements historiques de la gauche, hormis une, qui associait la laïcité et les migrations dans une jonction que seule, jusqu’à ce jour, la droite nouait.

Les absentes

Mais c’est surtout aux propositions absentes que l’on peut constater l’ampleur de l’élagage. Celles que Paul Magnette, en dernier ressort, a choisi, verticalement, de ne pas mobiliser. A moins de croire que parmi les «16.000 contributions» de l’opération «Sans tabou», avec ses centaines de rencontres et ces dizaines de débats, aucun socialiste encarté ou sympathisant n’aurait eu l’idée de faire remonter horizontalement des propositions sur les salaires, la santé, la fiscalité, la culture, la sécurité sociale en général et les pensions en particulier, ou sur les inégalités, qui autrefois, jusqu’il y a peu, étaient au cœur des préoccupations, et du programme, du Parti socialiste.

Même Thomas Dermine, au moment du vote, a pris la parole pour expliquer qu’il regrettait que la santé n’apparaisse pas parmi les douze priorités suggérées, «c’est pourquoi j’ai voté pour le travail, car le travail, c’est la santé», a-t-il raconté à une salle, qui, grâce à ou à cause de lui, s’apercevait de cette étrange absence. Et sur Facebook, Ludivine Dedonder a même fait plus fort, puisqu’elle a, elle, affirmé mensongèrement avoir voté pour «mettre la santé au cœur de nos combats». Et ces deux-là sont, pensent encore certains, des proches de l’actuel président.

Un président qui, donc, doit réussir à recentrer son parti sans que ses militants et certains de ses cadres, qui participent aux activités de la refondation, ne le remarquent et s’énervent, mais qui doit rendre ce recentrage observable par tous les autres, ceux qui ne sont plus là et ceux qui n’y ont jamais été. Et ça aussi, c’est assez nouveau, au PS.

 

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