Les députés MR, pourtant très en pointe sur ces questions, ne semblent pas favorables à l’idée d’interdire le voile dans l’espace public, lancée par Gabriel Attal notamment.
Le MR doit une partie de sa grande victoire du 9 juin 2024 à la faculté de son président, Georges-Louis Bouchez, de porter des propositions polémiques mais populaires dans le débat public. Les communicants appellent la fenêtre d’Overton l’ensemble des idées considérées comme plus ou moins acceptables par l’opinion publique d’une société donnée. Eh bien, Georges-Louis Bouchez, en Belgique francophone, a élargi la fenêtre d’Overton, en mobilisant l’opinion sur des thématiques comme l’immigration, la place de l’islam ou les allocations versées aux personnes inactives. Bien en prit au Montois, d’élargir cette lucarne, et heureux sont, désormais, les réformateurs. Ils ont gagné les élections, sont dans tous les gouvernements ou presque, et peuvent mettre en œuvre des idées qui, il y a quelques années encore, semblaient impensables ou radicales. L’étape suivante pour le MR, désormais, est de se trouver de nouveaux coins sur lesquels tirer afin d’agrandir le cadre des idées admissibles.
Proposer d’interdire le voile dans l’espace public, par exemple, en serait un. Il y aurait de gros débats. Et beaucoup d’électeurs seraient pour.
C’est pourquoi cette idée est déjà dans l’air du temps.
En France, le macroniste Gabriel Attal, qui fut l’invité d’honneur du 1er-Mai réformateur à Charleroi, souhaite interdire aux jeunes filles de moins de 15 ans de porter le voile dans la rue. Et le MR pourra se prévaloir d’un précurseur puisqu’en 2015 Philippe Knaepen (député wallon et bourgmestre de Pont-à-Celles) avait voulu susciter la réflexion en se déclarant favorable au bannissement de tous les signes convictionnels dans l’espace public. A l’époque la fenêtre était encore étroite, et son parti l’avait forcé à rapidement se dédire.
Le Vif a interrogé cinq ténors libéraux, tous députés fédéraux, sur la pertinence de cette proposition. Et le moins que l’on puisse écrire est qu’ils ne sont pas encore prêts à se lancer.
La revendication de Gabriel Attal, qui place une limite d’âge à l’interdiction, ne fait pas l’unanimité. «Quoi, il propose ça, Attal? Bon, ok… », souffle Benoît Piedboeuf, chef de groupe MR à la Chambre. «Pour les moins de quinze ans? A creuser…», dit sa collègue Florence Reuter, circonspecte elle aussi, tout comme Denis Ducarme, qui tient tout de même pour «inquiétant, en effet, de voir des jeunes filles prépubères déjà soumises, sans qu’elles en aient conscience elles-mêmes, à un certain nombre de rites».
Mais aucun des cinq députés fédéraux sollicités ne s’est montré le moins du monde favorable à l’interdiction.
«Notre vision, c’est l’interdiction du voile dans le domaine de l’administration publique. Dans l’espace public, évidemment non, c’est une liberté individuelle. Maintenant, il y a une différence entre le voile et le niqab ou la burqa qui dissimulent totalement la personne qui est en dessous. Je ne suis en rien opposé aux signes convictionnels dans l’espace public. Mais pas dans le domaine ou les services publics», dit Benoît Piedboeuf.
«En tant que libérale j’ai quand même un peu de mal à dire aux gens ce qu’ils peuvent faire quand ils se promènent en rue. Ils font ce qu’ils veulent. Après, au niveau de la neutralité de l’Etat, dans les institutions publiques, là, par contre… Si vous me demandez, à titre personnel, en tant que femme, le port du voile me pose un problème de manière générale, parce que cela reste pour moi un signe de soumission à l’homme. Mais ça, c’est moi, toute seule, en tant que Florence Reuter, femme. Maintenant est-ce que ça doit être régi par une loi d’interdire le port du voile? Il est vrai que cela me pose aussi un problème que ça soit porté par les enfants. Mais moi j’ai toujours du mal à l’idée de légiférer sur tout et n’importe quoi, parce que c’est ça aujourd’hui, et demain c’est quoi? On va jusqu’où? Moi, j’ai vraiment peur avec cet interventionnisme-là. Et les parents dans tout ça, ils font quoi? Non, je suis très mitigée», pense Florence Reuter, toujours en train de réfléchir au ballon d’essai lancé par Gabriel Attal.
Le Bruxellois Youssef Handichi est plus catégorique: «Non, l’espace public, par définition, est public, ouvert à tout un chacun. Il y a pas mal de lois qui sont là pour définir comment on se comporte, comment on vit en société, on a des règles. Mais l’espace public vient beaucoup plus tôt, en maternelle, en primaire, tout cela définit notre vie en société, notre modèle à nous. Alors, je suis très mal à l’aise, pour être poli avec des interdictions comme ça. Je suis complètement contre. Il y a un modèle de vie qui est le nôtre, on le connaît, on a un vivre-ensemble qui est parfois mis à mal mais on garde une ligne de vie qui est la nôtre», explique-t-il.
Le Carolo Denis Ducarme y est aussi hostile. «Je suis contre. On parle de l’espace public, là, pas des services publics, cet espace public dans lequel on est libre et dans lequel la liberté de chacun se doit d’être respectée. Je pense que la liberté pour ceux qui veulent manifester leur identité, quelle qu’elle soit, religieuse ou pas, dans l’espace public, doit être préservée. L’interdiction dans la rue, dans un centre commercial? Non! C’est un espace de liberté. Et quand on y est à titre privé, eh bien ça se respecte», ponctue-t-il.
Et puis on croise encore Mathieu Michel, et l’ancien secrétaire d’Etat au numérique d’énoncer une analogie qui démontre combien il baigne toujours dans ses anciennes compétences: «Non, il ne faut pas l’interdire, parce que c’est l’expression d’un choix personnel. Dans l’espace public tu dois pouvoir exprimer tes convictions, pour autant qu’elles ne soient pas heurtantes vis-à-vis des autres. Après, il faut bien distinguer le port du voile et le port de la burqa, qui pose la question de l’identification d’un individu. On ne trouverait pas normal que les gens se baladent avec des masques dans la rue. Et ça vaut pour l’espace public autant que pour l’espace numérique d’ailleurs: dans l’espace public comme dans le numérique, on doit être identifiable.»
Aucun de ces cinq bleus-là ne se sent donc, sur l’hypothèse de l’interdiction du voile islamique dans l’espace public, l’âme d’un élargisseur de fenêtre.