Entre autres économies budgétaires, la suppression de l’agrément des filières présentant un taux d’insertion à l’emploi «nul» risque, par ricochet, de peser financièrement sur une quarantaine de Centres d’insertion socioprofessionnelle (Cisp). Cinq, voire plus, pourraient fermer.
Poliment, les représentants des Cisp, les centres wallons d’insertion socioprofessionnelle accompagnant plus de 14.000 demandeurs d’emploi, sont venus devant le parlement de Wallonie le 12 novembre pour plaider leur cause, alors que le secteur est visé par des coupes budgétaires multiples. Ils ont rencontré quelques parlementaires et le ministre-président, Adrien Dolimont (MR), nous revient-il, mais pas le ministre de tutelle, Pierre-Yves Jeholet (MR), à qui ils reprochent une politique menée sans concertation –sinon quelques échanges, épars, avec son cabinet, sans réelle influence sur les mesures qui les visent.
A court terme, c’est le nouveau décret touchant les Cisp, qui passe en seconde lecture ce 20 novembre au parlement de Wallonie, qui suscite de vives craintes, d’autant que le secteur n’a pu prendre connaissance des modalités exactes que ces dernières semaines. Et encore, pas directement, souffle-t-on au sein des centres, sonnés par les économies déjà annoncées par la coalition Azur, qui a raboté le budget de 2% et ne prévoit pas de l’indexer de sitôt.
Petite mesure, gros effet
Outre les réductions budgétaires déjà énoncées, c’est une «petite» mesure qui crispe, et pas qu’un peu. Elle prévoit en effet de retirer leur agrément aux filières présentant un taux d’insertion à l’emploi et en formation qualifiante nul (ne sont pas prises en compte les filières données en milieu carcéral et celles relatives à l’alphabétisation et au français langue étrangère).
Logique, en apparence… Le problème: financièrement, cela pourrait entraîner la fermeture d’au moins cinq centres — voire plus — et en fragiliser directement 44 autres (sur un total de 155), selon des chiffres qui circulent au sein du secteur.
Au-delà de la seule question budgétaire globale, le raisonnement qui a conduit à prendre cette mesure suscite une incompréhension totale. «Choisir en particulier une seule année de référence (NDLR: 2024) pour la suppression des filières n’est absolument pas représentatif des résultats d’insertion obtenus par ladite filière. Pour une série de raisons, parfois hors du contrôle des Cisp, les résultats obtenus fluctuent d’une année à l’autre. Sur la base de l’analyse des rapports d’activité 2023, les suppressions des filières sont différentes de celles qui seraient touchées en prenant compte des données 2024», plaide l’Interfédé, l’asbl qui coordonne les centres, dans un avis d’initiative transmis au gouvernement et consulté par Le Vif.
Plus ironique encore, «certaines filières (une dizaine), avec l’accord du Service public de Wallonie, n’ont, quant à elles, pas été organisées en 2024. Et se retrouvent donc forcément concernées par le critère de zéro mise à l’emploi ou poursuite en formation qualifiante (sauf celles qui rentrent dans le cadre des exemptions)», lit-on. «Le fait de n’avoir pas été organisées en 2024 ne présage pourtant pas de la qualité de la filière. Certains centres font le choix de n’organiser certaines filières de formation qu’une année sur deux, conformément aux possibilités qui leur sont laissées dans le cadre réglementaire en vigueur et aussi en regard de la capacité du centre à s’adapter rapidement aux besoins du territoire. D’autres filières encore n’ont pas été organisées en 2024 pour des raisons spécifiques (difficultés de recrutement de formateurs, questions organisationnelles…)».
Contradiction
Autre point fâcheux: «Parmi les filières potentiellement concernées par une suppression, certains parcours de formation étaient toujours en cours à la fin de l’année 2024. Ce qui signifie que les stagiaires n’ont pas terminé leur formation au cours de 2024 et n’auraient donc pas pu intégrer une formation qualifiante ou débuter un emploi cette même année. Il serait donc particulièrement absurde et arbitraire de les arrêter sur base de ce critère», font valoir les représentants des Cisp.
«Cette politique est en totale contradiction avec l’objectif poursuivi par le gouvernement wallon d’accroître le taux d’emploi en Wallonie et de soutenir l’engagement de publics éloignés de l’emploi par les entreprises. Sans formation et accompagnement adéquats, ces publics ne répondront pas aux exigences des employeurs et ne trouveront pas leur place sur le marché du travail dans un emploi durable et de qualité, même avec une aide à l’emploi», ponctue enfin le secteur dans son avis, qui demande notamment le retrait pur et simple de la «petite mesure» contenue dans le décret.
Du côté du gouvernement, on faisait valoir, au moment de clôturer cette édition, que la question n’est pas encore tranchée. Mais, aux dernières nouvelles, le ministre Jeholet semblait peu disposé à reculer. «Une formation où il y a zéro remise à l’emploi, qui ne fait pas avancer le chercheur d’emploi, n’a aucune raison d’être selon le ministre», justifie un porte-parole, tout en rappelant que «le ministre est bien conscient qu’il y a des profils bien plus éloignés de l’emploi que d’autres. Sa philosophie n’est pas de demander que chaque formation amène à un emploi, mais que chaque formation fasse évoluer le chercheur d’emploi vers le travail.»