Ce mercredi, lors d’une séance plénière au Parlement portant sur le budget, Mathieu Michel a appuyé sur le bouton de vote de son collègue, Denis Ducarme. © Xose Bouzas

Les députés sont-ils devenus des presse-bouton? «En Italie, on les appelle les pianistes»

Sylvain Anciaux

Le débat en plénière à la Chambre sur le budget 2025 a été marqué par un incident, ce mercredi, lorsque Mathieu Michel a appuyé sur le bouton de vote de Denis Ducarme, absent de son poste. Que risque le député libéral et, surtout, qu’est-ce que cela dit de notre fonctionnement démocratique?

Seul un membre du Parlement a reçu, ce mercredi, les félicitations de ses collègues lors du débat en plénière sur le budget: il s’agit du président, Peter De Roover (N-VA). D’abord pour la récente naissance de son fils, ensuite parce qu’il a eu à gérer des querelles de chiffonniers non sans importance. Le Vif l’écrivait, la présence (ou plutôt l’absence) de nombreux élus des rangs de l’Arizona représentait tout l’enjeu de cette journée aussi technique que tendue, et c’est lors d’un vote sur la présence en nombre suffisant desdits députés précisément que tout s’est enflammé.

Mathieu Michel (MR), craignant que la majorité soit un peu courte, a appuyé sur le bouton de son voisin de Parlement, Denis Ducarme (MR). S’agissant d’un vote nominatif, le siège (vide) de Denis Ducarme apparaît dès lors comme ayant voté, embrasant les débats. Le PS parle d’un «vote fallacieux» et demande au président de la Chambre «de ne pas laisser ces faits impunis». Ce dernier annonce qu’il s’adressera à Mathieu Michel une fois le débat sur le budget clôturé. La formation socialiste ne compte pas en rester là et attend de la Commission fédérale de déontologie de prendre des sanctions.

«Une délégation pour l’exécutif»

«C’est une honte pour notre assemblée», a tonné Peter De Roover qui tentait, bon gré mal gré, de ramener le président du MR Georges-Louis Bouchez au calme alors que celui-ci (qui revenait d’une conférence donnée dès 19h30 à Charleroi) s’écharpait avec les députés de l’opposition. Le Montois arguait par ailleurs que ce vote n’ayant eu aucune conséquence, il n’y avait «aucun sens» d’en faire une polémique. «Toutes les personnes qui étaient présentes au tableau de vote étaient présentes dans l’assemblée», se défend Mathieu Michel. Il en veut pour preuve une vidéo où l’on identifie la présence de Denis Ducarme dans l’hémicycle… mais après que son vote fut exprimé.

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Et au final, une question: les élus sont-ils élus pour débattre ou pour voter? «Dans un système impliquant une majorité et une opposition, il est rare qu’un vote soit discordant de son groupe, constate un ancien mandataire qui a raccroché l’écharpe en 2024. Quand on est un député de la majorité, on ne s’autorise pas de sortir de la ligne, on forme surtout une délégation pour l’exécutif, on le suit et on le soutient.»

C’est le tableau des résultats du vote qui a trahi Mathieu Michel, hier, au Parlement. Son siège (64) mais surtout celui de Denis Ducarme (62) se sont illuminés en vert. © BELGA

C’est un des vieux démons de la politique belge qui hante le Parlement depuis juillet 1864, lorsque l’opposition catholique refusait de participer à des travaux parlementaires à la Chambre, alors tenue par une majorité libérale. «Comme la majorité libérale ne tient qu’à un fil et qu’un député libéral, malade, ne peut assister aux séances, la Chambre n’est pas en nombre au début des travaux pendant six séances successives, retrace le Crisp (Centre de recherche et d’information socio-politiques) dans un des courriers hebdomadaires sur le vote nominatif. Après le décès du parlementaire malade, l’impasse est complète et le gouvernement libéral se voit contraint de procéder à la dissolution de la Chambre.» La toute puissance des partis est en place.

Vers un retour au modèle de 1843?

Ce mode de gouvernance malgré lui forcera alors les députés de la majorité à tout faire pour garder le rapport de force plutôt que d’amender ses projets politiques, quitte à transgresser le règlement. L’exemple de Mathieu Michel n’est pas inédit, et sa défense non plus. «Le 10 décembre 2002, un député se fait prendre la main dans le sac alors qu’il pousse également sur le bouton “oui” d’un membre absent de son groupe, raconte encore le Crisp. En raison du caractère politiquement délicat du vote –il s’agit de la publicité pour le tabac et de la survie du circuit de Francorchamps–, les membres ayant voté non” ne laissent pas passer l’incident. L’un d’entre eux déclare: “Monsieur le Président, en Italie on appelle ces gens des pianistes. Ce sont ceux qui poussent les boutons des absents”. Pour sa défense, le membre visé donne un aperçu des us parlementaires: “Il est de coutume de pouvoir pousser sur le bouton d’un collègue absent s’il se trouve encore dans la salle”.» A la différence de Denis Ducarme qui ne l’était pas.

Pourtant, légalement, le vote reste un droit individuel. Pousser le bouton d’un autre membre est donc condamnable, écrivait Marc Van der Hulst, l’ancien directeur du service juridique de la Chambre, dans son ouvrage intitulé Le Parlement fédéral. Si cette triche n’a pas d’incidence sur le vote, il y a lieu d’en faire un commentaire dans le compte rendu intégral de la séance. Si l’issue du vote eut été différente, alors, le président de la Chambre aurait dû réordonner le vote.

Le risque encouru pour un individu tricheur est donc, il faut le dire, plutôt minime. Une piste de solution serait d’amoindrir le poids des groupes politiques dans le Parlement, en rendant aux députés leur libre arbitre. Comment? En réhabilitant le système de vote en plénière établi en 1843. A l’époque, le vote se faisait par ordre alphabétique (et le premier votant était tiré au hasard afin d’éviter que les premiers à se découvrir soient toujours les mêmes). Ainsi, les députés étant amenés à voter en dernier pouvaient se rallier à leur groupe ou le faire basculer s’ils l’estimaient nécessaire. Ce mode de scrutin s’est éteint avec l’arrivée… des machines à voter.

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