quotas de genre
Vanessa Matz (Les Engagés) le reconnait: plus jeune, elle n’aimait guère les quotas de genre, mais son expérience a fait évoluer son regard sur la question. © BELGA

Le gouvernement veut plus de femmes au sommet des entreprises: «J’étais contre les quotas de genre, mais j’ai évolué»

Benjamin Hermann
Benjamin Hermann Journaliste au Vif

Des quotas de genre devraient être introduits dans les comités de direction des entreprises publiques. Le gouvernement fédéral a validé un avant-projet de loi dans ce but. C’est que ce type de contraintes fonctionne. La ministre Vanessa Matz (Les Engagés) le confie: son propre point de vue a évolué au fil des années.

Les quotas de genre font partie de ces sujets qui font débat, considérés tantôt comme un levier antiméritocratique, en quelque sorte, tantôt comme un mal nécessaire, une sorte de contrainte indispensable pour enfin tendre vers davantage de parité.

Le gouvernement fédéral, dans sa batterie de décisions prises à l’approche de Noël, a validé un avant-projet de loi qui devrait, s’il est approuvé au terme de son parcours, fixer des quotas de genre pour les comités de direction des entreprises publiques autonomes telles que skeyes, Proximus, Infrabel ou bpost. Un tiers des membres au moins de ces instances devront être des femmes. Il s’agit en fait de se conformer à la directive Women on Boards, qui vise précisément à favoriser l’équilibre des genres à la tête des entreprises.

En Belgique, une «loi quotas» date de 2011, mais ne concerne pas encore les comités de direction. Elle englobe plutôt les conseils d’administration des entreprises publiques et des sociétés cotées en bourse, qui doivent comporter au minimum un tiers de membres de chaque genre.

Entre 2008 et 2024, la proportion de femmes au sein des conseils d’administration des entreprises concernées est passée de 9,2% à 37,3%.

En une petite quinzaine d’années, l’instauration de ces quotas n’a certainement pas tout résolu, mais a néanmoins permis des avancées sensibles. En septembre, l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes (IEFH) publiait un bilan de la loi en question. Entre 2008 et 2024, la proportion de femmes au sein des conseils d’administration des entreprises concernées est passée de 9,2% à 37,3%. «La représentation des femmes a donc plus que quadruplé en seize ans dans les conseils d’administration des sociétés cotées en bourse, des entreprises publiques autonomes et de la Loterie nationale», commente l’Institut.

Un bémol cependant: la loi n’a pas vraiment d’impact sur les postes occupés. En 2024, seules neuf des 102 entreprises étudiées avaient une femme à la tête de leur conseil d’administration.

Concernant les comités de direction de ces entreprises, non inclus dans la loi de 2011, l’IEFH indique qu’en 2024, ils étaient «composés de 21,1% de femmes en moyenne. Néanmoins, une tendance positive se dessine avec une progression de 6,3 points de pourcentage en quatre ans». L’introduction de quotas de genre au sein de ces comités de direction devrait vraisemblablement améliorer la parité au fil des années à venir. C’est aussi la conviction de Vanessa Matz (Les Engagés), ministre des Entreprises publiques, qui a confié au Vif sa propre perception des quotas de genre.

Vanessa Matz, les quotas de genre sont régulièrement dépeints comme un «mal nécessaire» pour assurer une meilleure représentation des femmes dans les instances dirigeantes. Partagez-vous ce point de vue?

La signataire principale de ce projet est la ministre de la Justice, Annelies Verlinden (CD&V). Je le cosigne pour la partie «Entreprises publiques». Depuis le début des travaux sur le sujet, nous y sommes volontiers associés. Comme je dis toujours, les quotas ne font rire personne, mais effectivement c’est une sorte de «mal nécessaire» puisqu’il faut passer par là pour atteindre plus de diversité de genre au niveau des comités de direction. C’est donc un projet que je soutiens avec force. Nous anticipons aussi une directive européenne, qui va arriver, et le fait de prendre les devants est un signal positif.

Comme l’a démontré l’IEFH à propos de la loi de 2011 sur les quotas dans les conseils d’administration, cette mesure un peu contraignante produit vraiment des effets…

Oui, ça marche. Je sais que ce n’est pas extrêmement agréable dans le quotidien des entreprises publiques. Elles relèvent de ma compétence, je leur en ai donc déjà parlé à l’avance. Il n’y a pas de réticence de leur part, mais cela bouleverse un peu leur manière de faire. Ce n’est pas qu’il n’y a pas de candidates, mais les femmes demeurent moins en avant sur ces postes que les hommes, alors que les choses se passent très bien dans les conseils d’administration. C’est un pas important, j’ai conscience des bouleversements que cela va entraîner, mais je pense que c’est indispensable étant donné les effets que cela produit. Je considère aussi que les femmes apportent d’autres manières de voir les choses dans les postes à responsabilité: moins conflictuelles, plus pragmatiques. La moitié de l’humanité est composée de femmes, il est indispensable que cela se reflète dans ces instances, singulièrement dans les entreprises publiques.

Sont-elles loin du compte?

Je ne parle que pour bpost et Proximus, pour laquelle ça va représenter un gros changement puisqu’il y a zéro femme à ce stade. Précisons que les entreprises ont un peu de temps pour mettre les choses en place, puisque le projet est passé en première lecture et qu’une série d’avis est encore sollicitée, avant qu’il poursuive son cheminement et entre en vigueur.

Lorsque les quotas sont critiqués, un argument parfois avancé dénonce le fait que des femmes soient sélectionnées pour «faire le nombre», avec ce que cela peut supposer de dégradant. Quel est votre regard sur ce point?

C’est par rapport à cela qu’on parle «mal nécessaire». Quand j’étais plus jeune, lancée dans la vie politique communale, j’ai fait partie du tiers de quotas de femmes, à une époque. J’étais remontée comme un coucou contre cette mesure. La femme que je suis aujourd’hui a évolué dans différentes structures avec des quotas. J’en suis maintenant une défenderesse. Sans cela, notre société n’aurait pas vraiment avancé sur le sujet. Or, dans des périodes de difficultés, lorsque des crises profondes traversent la société, les droits des femmes sont le type de mesures qui ont tendance à être négligées. C’est pourquoi il faut maintenir le cap. L’espoir, c’est toujours que ce soit temporaire (comme c’est le cas pour certains quotas dans les pays nordiques), que la parité finisse par se faire naturellement. On n’y est pas, les menaces sur les droits de femmes sont récurrentes. D’ailleurs, je ne parle plus de «mal» nécessaire.

Pourquoi?

Je l’ai fait, je ne le fais plus. Pourquoi parler de «mal» lorsque les réunions sont plus équilibrées, lorsque les décisions finales sont vraiment différentes? Vraiment, je l’ai pratiqué pendant des années et je l’ai observé. Avec des femmes, les décisions sont plus teintées de pragmatisme, tournées vers le bien commun, moins dans le rapport de force, etc. Vraiment, j’en mesure les effets concrets. Quand on a désigné une femme à la tête du conseil d’administration de bpost, c’était aussi dans cet esprit-là. La mesure avalisée en première lecture vise à donner l’exemple, mais aussi à tenir compte de l’impact sociétal de ces entreprises. A ce titre, j’éprouve beaucoup de confiance envers les femmes pour cela. Cela ne veut pas dire que je ne fais pas confiance aux hommes, mais que j’ai une grande confiance envers les femmes pour avoir cette sensibilité vis-à-vis de l’impact sociétal important de l’exemple.

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