Ce mardi a marqué de nouvelles grèves et manifestations qui ne sont pas du goût de l’Arizona. © BELGA

La (nouvelle) stratégie de la N-VA et du MR pour rendre les grèves inutiles: «Un risque d’atomiser les travailleurs les uns contre les autres»

Sylvain Anciaux

La N-VA présente une proposition de loi visant à autoriser le travail intérimaire pendant les grèves. Le MR va dans le même sens, mais les autres partis de l’Arizona émettent des critiques.

L’Arizona a décidément le sens du timing. Après avoir occulté le premier jour d’une grève qui s’étend dans tout le pays en présentant son budget à la surprise générale, le gouvernement fédéral se penche désormais sur un efficace moyen de contourner les prochains mouvements sociaux. Ce mardi, en commission des Affaires sociales, la N-VA présentait, via une proposition prioritaire, un texte de loi permettant aux entreprises d’avoir recours au travail intérimaire lors d’une grève.

«Les syndicats ont raison, les travailleurs ne sont pas respectés dans ce pays», sourit, narquois le député nationaliste Axel Ronse, qui signe le texte. «En cas de grève ou de lock-out (NDLR: une fermeture de l’entreprise par l’employeur en cas de conflit social), un employeur n’a pas le droit de faire appel à des travailleurs intérimaires. A l’heure actuelle, cette interdiction s’applique également aux travailleurs intérimaires déjà mis au travail chez l’utilisateur avant le début de la grève ou du lock-out.» Dans le texte présenté par la N-VA, les travailleurs intérimaires déjà présents dans l’entreprise pourraient continuer à travailler. On pense, par exemple, aux nuées d’étudiants engagés via des sociétés d’intérimaires durant le conflit social chez Delhaize. En Belgique, il y aurait 40.000 travailleurs intérimaires en activité, selon Axel Ronse.

Une déchirure au sein de l’Arizona ?

Le texte présenté en commission est à l’état d’embryon. Il n’a pas encore fait l’objet d’un débat au sein de l’Arizona qui a par ailleurs montré ses divisions sur ce point. Le député Denis Ducarme (MR) salue l’initiative et renvoie à un texte similaire déposé, en mars 2025, sur la «liberté de travailler» pour les travailleurs qui ne prennent pas part aux grèves. Sollicités, Les Engagés ont fait part de leur scepticisme.

«La proposition de loi introduite par la NVA soulève une insécurité juridique sérieuse et touche à un mécanisme qui n’est pas simplement réglementaire mais structurel: la grève constitue le dernier recours et le dernier moyen de pression pour les travailleurs. Si l’on commence à la vider de sa substance, même sans la remettre frontalement en cause, on rompt l’équilibre fragile sur lequel reposent la paix sociale et le dialogue social en Belgique.» De manière plus brève, en commission, la députée Isabelle Hansez (Les Engagés) a demandé des auditions d’experts sur la question, dont la CSC.

«Les règles internationales interdisent le recours a des travailleurs pour briser un mouvement de grève, répond la Secrétaire Générale du syndicat, Marie-Hélène Ska. Les règles en la matière sont particulièrement claires.»

«Monsieur Ronse oublie que ces mêmes Conventions Collectives de Travail sont conclues à l’issue d’un dialogue dans lequel le patronat est également impliqué.»

Côté flamand également, on réserve un accueil timoré à la mesure. Pour le CD&V, il semble «compliqué» de remplacer des salariés grévistes par des intérimaires, alors que Vooruit qualifie la proposition de la N-VA comme «une provocation que nous n’accepterons jamais». Bref, politiquement, l’aile droite de l’Arizona devra batailler pour faire passer la mesure. Elle le fera certainement via les auditions de Federgon, la FEB, l’UCM, du Conseil National du Travail et du SPF Emploi. Le texte devrait revenir en commission au printemps.

Une entaille dans le droit international

Parmi les experts demandés à la Chambre figure Filip Dorssemont, professeur de droit du travail à l’UCLouvain. Et les chances sont faibles que son audition ravisse les oreilles d’Axel Ronse puisque, selon l’expert, la proposition vient s’immiscer dans un processus pourtant protégé par le droit international. «En droit international, qui est le patrimoine des droits fondamentaux, le droit de négocier collectivement est supérieur à une série de dispositions. Cela implique qu’on ne peut pas intervenir de la sorte dans une Convention Collective de Travail. En outre, monsieur Ronse oublie que ces mêmes Conventions Collectives de Travail sont conclues à l’issue d’un dialogue dans lequel le patronat est également impliqué.»

Les choses se corsent alors pour la proposition d’Axel Ronse et son texte. L’étoile montante de la N-VA ignore-t-elle donc le droit international pour comparer le droit de grève au droit du travail ? «Le droit au travail, c’est une obligation pour le gouvernement de mener une politique de plein emploi. C’est autre chose que ce qui est présenté ici», répond Filip Dorssemont. En revanche, le professeur de l’UCLouvain constate une mécanique à l’oeuvre dans le camp gouvernemental. «Plusieurs initiatives tentent de marginaliser les syndicats à travers la réforme du chômage ou en voulant les doter d’une personnalité juridique. (…) Quand le travailleur intérimaire ne travaille pas à cause de la grève, il n’est logiquement pas payé. Et généralement, ce public est moins syndiqué que les travailleurs salariés. Il y a un risque d’atomiser les travailleurs les uns contre les autres.»

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Expertise Partenaire