Conner Rousseau et Franck Vandenbroucke essayent-ils de recentrer Vooruit à l’issue de l’Arizona ? © BELGA

La note interne de Vooruit pour défendre le budget de l’Arizona: «Il s’agit là d’assumer nos responsabilités et de prendre des mesures difficiles»

Sylvain Anciaux

Après dix mois, trois accords gouvernementaux et un paquet de grèves initiées par le monde syndical, Vooruit, seul parti de gauche au sein de l’Arizona, doit défendre le budget fédéral.

Quand un parti politique doit prendre des mesures impopulaires, il invoque toujours «le sens des responsabilités». Vooruit n’a pas dérogé à la règle lorsqu’il est «monté» dans le train de l’Arizona en février dernier, en brandissant une liste de douze arguments qui justifiaient l’adhésion d’un parti de gauche à un gouvernement bien à droite. Après l’accord budgétaire pluriannuel adopté lundi dernier, les socialistes flamands remettent le couvert. Dans une note interne que Le Vif s’est procurée, Vooruit établit quatre grandes lignes de défense pour justifier un accord budgétaire pourtant plus au centre que le gouvernement qui l’a adopté.

«Ecoutez, en politique, il faut prendre ses responsabilités, peut-on lire dans l’intro de la note. Et tout le monde sait désormais que Vooruit est un parti responsable. En ces temps troublés, ce pays a besoin d’un gouvernement. Avec tout ce qui se passe aujourd’hui dans le monde, il aurait été irresponsable de ne pas conclure d’accord maintenant.» Et donc, les socialistes flamands exposent quatre mesures sur lesquelles ils orienteront leur communication jusqu’au prochain accord, qu’il faudra à nouveau ardemment défendre, rose au poing.

Pouvoir d’achat : promesse non tenue sur l’indexation

En cherchant à se faire identifier comme «le parti du pouvoir d’achat», Vooruit entame directement sur l’indexation des salaires. En s’engageant avec l’Arizona, les socialistes avaient promis que les salaires et avantages sociaux continueraient à augmenter avec le coût de la vie. «Là-dessus, Vooruit a du lâcher du terrain, comme sur la hausse de la TVA sur certains produits», analyse le politologue de la VUB, Dave Sinardet.

Alors, sans trop parler de la fin de l’indexation au-dessus des 4.000 euros, Vooruit se félicite de rendre l’électricité moins chère. Mais depuis la semaine dernière, évoquer la baisse des accises sur l’électricité n’a pas vraiment de sens si l’on ne parle pas de la hausse des accises sur le gaz. Et Vooruit s’en sort comme il peut. «Il s’agit là d’assumer nos responsabilités et de prendre des mesures difficiles, mais nous le faisons afin d’inciter les gens à passer à l’énergie durable.» Par ailleurs, les socialistes rappellent (timidement) que les salaires les plus bas augmenteront de 50 euros et les travailleurs de nuit conserveront une prime.

Soins de santé : Vandenbroucke lâche ses atouts

Après s’être présenté comme le parti du pouvoir d’achat, Vooruit aimerait également être le parti de la santé. L’implacable présence de Frank Vandenbroucke autour de la table depuis le premier jour en est d’ailleurs le totem. Alors, les socialistes flamands rappellent que le budget de l’Arizona prévoit 1,5 milliard d’euros en plus dans les soins de santé dès 2026, pour un total de quatre milliards. Mais un «mais» se détache graphiquement dans la note, pour garantir ce système de santé, le parti approuve le passage du tiers payant (ce que paie le patient) à deux euros par boîte de médicaments sur ordonnance. Et puis, Vooruit se félicite que la norme de croissance soit préservée… Du moins jusqu’en 2028, où elle passera de 3 à 2,5%. C’était moins que prévu dans l’accord de gouvernement, mais le parti n’avait pas fait de promesse sur ce point.

Et surtout, point central de la politique de santé de l’Arizona, le retour au travail des malades de longue durée est revendiqué par Vooruit. «Une partie de ces personnes pourrait reprendre le travail beaucoup plus rapidement qu’aujourd’hui. Frank (Vandenbroucke) s’efforce depuis longtemps d’aider les gens à retrouver un emploi, et ce avec succès. Ces dernières années, il a ainsi aidé 100.000 personnes à reprendre le travail, au moins à temps partiel. […] Frank va donc poursuivre et intensifier ses efforts, en rappelant à chacun ses responsabilités. En premier lieu aux employeurs, qui devront payer plus longtemps en cas d’absence d’un employé, mais aussi aux médecins, aux travailleurs eux-mêmes, aux mutuelles et aux services régionaux de l’emploi et à leurs partenaires. Chacun doit faire sa part.» Cette mesure, pas vraiment de gauche, était un atout vite joué de la part du parti, revendiqué de gauche, constate Dave Sinardet. «Dans les négociations, c’est comme si Vooruit avait toujours fait cette concession. Dès l’été, Frank Vandenbroucke a « donné » cette réforme des malades de longue durée», alors que la tradition de la négociation budgétaire veut que chaque parti garde théoriquement ses concessions pour le dernier moment. Mais celle-ci, «Frank» l’a revendiquée d’emblée.

Epaules les plus larges : de timides victoires

A propos d’atout, c’est sur la contribution des épaules les plus larges que Vooruit pourrait abattre ses cartes, et faire taire les critiques internes. Curieusement, c’est le point le plus brièvement expliqué dans les sept pages de notes internes. Doublement de la taxe sur les comptes-titres, augmentation des contributions sur les banques, intensification de la lutte contre la fraude fiscale et sociale avec la création d’un parquet national financier, augmentation des contributions sur les sociétés de management… Autant d’atouts qui feraient pâlir les libéraux s’ils étaient répétés dans la presse. Vooruit n’en fait pourtant que quelques maigres lignes d’argumentation, et regrette en fin de chapitre de ne pas avoir eu l’appui des autres partis du gouvernement pour une taxe contre les millionnaires.

«Face aux militants syndicalistes, il est clair que ce budget ne sera pas évident à défendre, prévoit Dave Sinardet. Il faut peut-être que Vooruit pense à aller chercher des électeurs plus au centre.»

Réforme des pensions : des trophées à brandir

Enfin, sur les pensions, autre thème majeur, «Vooruit a fait en sorte que la première année pendant laquelle vous commencez à travailler compte comme une année complète pour le calcul de votre pension», est-il écrit en gras et souligné dans la note. Tout comme l’intégration au calcul de la pension des périodes assimilées. Ce sont probablement des trophées que les socialistes flamands chercheront à brandir à tout prix, dans une réforme qualifiée par les syndicats comme digne «d’une société au bord de l’effondrement».

Des trophées, justement, Vooruit n’en ressort pas beaucoup du budget 2026-2029 de l’Arizona. «Pourtant, l’accord de gouvernement était très à droite, et celui-ci est plus au centre, avec plus de nouvelles recettes, rappelle Dave Sinardet. Si Vooruit veut concourir pour des électeurs centristes, ils peuvent en effet tabler sur le sens des responsabilités, mais il ne sera pas facile de convaincre des nouveaux électeurs pour autant.»

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