La N-VA fait planer la menace d’élections anticipées pour faire peur au MR. Elles sont réputées nuisibles pour les partis qui ont refusé tout compromis, et font chuter le gouvernement. Parfois, pourtant, ceux qui ont dit «non» jusqu’au bout ont été récompensés…
Pendant que le gouvernement De Wever travaille, peu, dans la relative discrétion des 50 jours qui séparent le 6 novembre du jour de Noël, les cinq partis qui le soutiennent encore, eux, communiquent. Beaucoup. Et ils se menacent, surtout.
Car en Belgique, dans un gouvernement de coalition, rien de plus lourd qu’une menace d’élections anticipées adressée au parti taxé «de blocage» –ici, le MR– s’il répétait son «non» à Bart De Wever jusqu’à la nouvelle deadline du 25 décembre, date à laquelle ce dernier s’est engagé, faute d’accord pluriannuel sur le budget, à remettre sa démission au roi. Le dimanche 17 novembre, le chef de groupe N-VA à la Chambre, Axel Ronse, étoile montante du parti nationaliste, le faisait savoir: «Si cela ne fonctionne pas, il faudra refermer le livre. Et ce sera à l’électeur de juger», a-t-il déclaré à l’hebdomadaire De Zondag.
La charge comminatoire de cette petite phrase s’insère dans cette certitude belge, qui fait du coupable allégué d’un scrutin anticipé la victime de l’électeur. Et c’est vrai que c’est souvent vrai.
Mais d’abord, il n’est pas certain qu’en cas d’énième échec des négociations budgétaires, la démission, promise, de Bart De Wever sera acceptée par le roi. Il est arrivé que le souverain réserve son acceptation, ce qui offre au démissionnaire un nouveau sursis, et aux négociateurs un énième surcroît de pression. C’est ce que firent Baudouin et Jean-Luc Dehaene en mars 1993, lorsque le «plombier» ne parvenait pas à faire avaler son plan global d’économies au partenaire socialiste. Baudouin refusa la démission que fit mine de lui remettre Dehaene, les socialistes finirent par avaler l’austérité.
Ensuite, il n’est pas garanti non plus qu’en cas d’acceptation de la démission, des élections anticipées soient convoquées. Il est arrivé que le roi accepte la démission du gouvernement sans que des élections, qu’une majorité à la Chambre des représentants doivent convoquer, soient organisées. C’est ce que fit Charles Michel fin 2018, alors qu’il tentait de faire avaler le Pacte sur les migrations des Nations unies à la N-VA. Qui ne finit pas par l’avaler. Mais le scrutin se tint à la date prévue, six mois d’affaires courantes plus tard. Et si le parti qui avait dit «non» perdit les élections, celui qui voulait lui faire dire «oui» les perdit aussi.
Dans sa hotte à deadlines, Bart De Wever dispose ainsi encore de deux épisodes dilatoires possibles, après Noël. Une si le roi refuse sa démission ou la tient en suspens quelques jours, et une autre si le souverain le charge de dénouer la crise sans passer par l’organisation d’élections. Il pourra donc les mobiliser s’il pense qu’un accord est encore malgré tout possible en cas de refus de sa best and final offer de la presque toute dernière chance, ou si tout cela l’amuse, ou s’il a vraiment trop peur d’élections anticipées, ou s’il estime avoir besoin de deux autres rabiots pour affiner sa campagne, et nuire à celle de ses adversaires, spécialement du MR. Les libéraux francophones, c’est prévu, présenteront des listes dans les circonscriptions flamandes.
Enfin, s’il se résout à faire dissoudre le Parlement, Bart De Wever gagnera à se rappeler comment les partis qui avaient dit «non» se sont, dans l’histoire politique contemporaine, retrouvés piégés par des législatives anticipées. Ou bien comment ils en ont profité.
Le coupable allégué d’un scrutin anticipé est souvent la victime de l’électeur.
13 octobre 1985: la victoire des bloqueurs
Le gouvernement Martens V, ou Martens-Gol (1981-1985), associait les familles sociale-chrétienne et libérale. Il était si à droite, baigné de la vague thatchérienne des eighties, qu’il est cité en exemple par certains des promoteurs de l’Arizona pour le courage de ses réformes socioéconomiques, ses quatre sauts d’index, sa dévaluation du franc, ses coupes dans les dépenses publiques, ses politiques de dérégulation et ses lois de pouvoirs spéciaux. PSC et CVP parvenant à bien contenir la contestation syndicale au sein de leur pilier, la cohésion majoritaire est puissante sur les questions économiques. Même si un jeune président libéral bombarde, depuis les médias, le débat public de ballons d’essai, et la majorité de critiques moyennement loyales. C’est Guy Verhofstadt, élu à la présidence du PVV à 29 ans, en 1982. Il trouve que la coalition à laquelle il participe n’est pas assez à droite, et y gagne alors le sulfureux surnom de «Baby Thatcher».
Mais ce n’est pas du nord que le grand «non», qui avancera de deux mois les législatives programmées en décembre, sera proclamé. Ce sont les deux partis francophones, le PSC, ancêtre des Engagés, et le PRL, prédécesseur du MR, qui forceront le gouvernement à sa chute précoce. Et le blocage ne portera pas sur l’économie mais sur la morale. Après le drame du Heysel, Jean Gol, ministre libéral de la Justice, exige la démission de Charles-Ferdinand Nothomb, ministre social-chrétien de l’Intérieur. Nothomb dit «non», alors Jean Gol démissionne mais reste en place le temps de la crise. L’été venu, dans le vacarme glaçant des manquements policiers lors de la funeste finale de la Coupe d’Europe, Jean Gol réclame la démission de Wilfried Martens, pour qu’elle impose celle de Nothomb. Martens dit «oui», mais le roi dit «non». Il refuse la démission du Premier car celle du second ne s’ensuivra pas: Nothomb continue de dire «non». Alors Jean Gol refuse de reprendre un cours gouvernemental normal. Il dit «non» aussi.
Le soir du 13 octobre 1985, les deux partis qui se sont dit «non» depuis six mois progressent, en voix comme en sièges. Le CVP également. Le seul des quatre qui perd, et sévèrement encore, c’est le parti de Baby Thatcher. Mais les quatre formations ne mettent que quelques semaines à se dire «oui». Le 29 novembre, le gouvernement Martens VI fait sa déclaration au Parlement. Pour éviter les interférences médiatiques, Guy Verhofstadt y siège, comme ministre du Budget. Jean Gol et Charles-Ferdinand Nothomb restent, respectivement à la Justice et à l’Intérieur.

13 décembre 1987: la défaite des bloqués
Baby Thatcher prend tant de place dans l’équipe Martens VI qu’elle est autant appelée Martens-Verhofstadt que Martens-Gol. Sous l’impulsion du jeune libéral, la coalition reconduite par l’électeur amplifie l’austérité des années précédentes au fil de nocturnes au château de Val Duchesse, consacrées par le saint du jour, y compris Sylvestre. Au printemps 1986, l’accord dit «de Val Duchesse» prévoit tant d’économies que la colère gagne même les directions de l’enseignement libre, et que les écologistes comme les régionalistes du FDF s’associent à la contestation syndicale. Le front du refus est large, mais ce n’est pas non plus d’un désaccord économique que viendra le «non», mais des Fourons. Et de Nothomb. En 1986, le ministre de l’Intérieur, désavoué par un énième tour du carrousel fouronnais, doit démissionner: le bourgmestre bilingue que Charles-Ferdinand Nothomb croyait avoir convaincu de remplacer José Happart lui dit finalement «non». Son remplaçant ne fait pas mieux et le carrousel, du conseil communal à la tutelle provinciale, du gouvernement au Conseil d’Etat, tourne encore un an et demi. Devant l’impossibilité, pour les francophones et les Flamands, surtout sociaux-chrétiens, de la majorité, de s’accorder, le roi accepte la démission, un temps suspendue, de Wilfried Martens. Au scrutin, avancé de deux ans, du 13 décembre, l’opposition socialiste, surtout wallonne, et régionaliste, surtout flamande, profite de ces tensions communautaires. Le seul parti de la coalition sortante qui n’y perd pas de sièges et d’électeurs, est celui de Baby Thatcher. Mais Martens VIII, au bout des 100 jours réclamés au souverain par le formateur Jean-Luc Dehaene, se fera sans les libéraux, mais avec les socialistes et la Volksunie.
Il est arrivé que le roi réserve son acceptation, ce qui offre aux négociateurs un énième surcroît de pression.
Elections du 13 juin 2010: la victoire de De Wever
Parmi les législatives qui suivront celles de décembre 1987, seules celles du 13 juin 2010 seront anticipées. Elles sont encore dans les mémoires, avec un parti du Premier qui s’effondre, un Premier qui est parti depuis lors, un jeune président libéral offensif qui dit «non» et qui s’effondre, et Bart De Wever qui dit «non» et qui triomphe. Le Premier ministre, c’était Yves Leterme. Il avait dit qu’il fallait cinq minutes de courage politique pour sauver le pays et donc pour scinder l’arrondissement de Bruxelles-Hal-Vilvorde. Il était en cartel avec la N-VA de Bart De Wever, mais Bart De Wever a dit «non». Alors Yves Leterme s’est débarrassé de la N-VA, et il est devenu Premier ministre, mais il n’a pas pu scinder l’arrondissement de Bruxelles-Hal-Vilvorde, pour lequel il négociait, avec les francophones mais sans la N-VA, un projet d’accord. Car un jeune président libéral offensif a dit «non». C’était Alexander De Croo, à l’époque. Alors Yves Leterme avait démissionné, son CD&V s’était ramassé une tatouille, et l’Open VLD d’Alexander De Croo s’était fait dégommer. Bart De Wever en avait profité, son parti était devenu le premier parti du pays dont il voulait la fin, et il l’est toujours resté depuis.
Peut-être ce «non» fort profitable lui a-t-il donné le goût de la démission. Et des élections anticipées.