Le Vif a interrogé Alexia Bertrand (Open VLD) et François De Smet (DéFI), les deux seuls députés francophones de l’opposition libérale, sur le budget que prépare le gouvernement Arizona. Et ils ne sont pas contents non plus…
Mardi 14 octobre, à la Chambre, Bart De Wever prononcera son premier discours dit sur l’état de l’Union, allocution qui marquera la rentrée parlementaire. Le Premier ministre est censé, à cette occasion, présenter aux élus de la nation le résultat de sa négociation budgétaire, et la majorité à la Chambre est censée lui réitérer sa confiance après un débat long mais convenu avec l’opposition. Cette dernière, en Belgique francophone, penche fort à gauche. Il n’y a que deux députés francophones, à la Chambre, qui ne sont pas membres du PS, du PTB ou d’Ecolo, et il n’est que logique que l’opposition accusera, elle le fait déjà abondamment, l’Arizona d’incliner trop brutalement vers la droite. Au PS, au PTB et chez Ecolo, les visuels Facebook sont déjà prêts. Ils dénonceront à coup sûr des coupes claires dans les soins de santé ainsi que toute autre mesure touchant au sacro-saint budget de la sécurité sociale, du moins dans les départements émergeant toujours du niveau fédéral: les pensions et le chômage. Et les interventions en séance, formatées pour les réseaux sociaux, sont en préproduction.
Pour les allocations familiales, les visuels oppositionnels sont également prêts, mais ils serviront la propagande régionale, spécialement en Wallonie, toujours selon la même ligne. La gauche accusera les gouvernements de droite d’être trop à droite, et chacun se trouvera bien à sa place, du côté adverse de la barricade. La gauche francophone bien à gauche, qui propose de taxer les riches, les droites bien à droite, qui souhaitent trouver de l’argent dans le financement des malades de longue durée, et le centre bien au centre, qui réclame un compromis et qui s’en satisfera: la configuration sied aux uns et aux autres.
A Bart De Wever aussi, normalement, cela plaira, puisque remettre le budget en ordre était sa principale ambition de campagne électorale. C’était même l’unique raison pour laquelle il a dit avoir accepté de devenir Premier ministre. Et la dernière fois que son parti figurait dans une coalition fédérale, entre 2014 et 2018, sous le gouvernement Michel, il suggérait chaque automne de «toucher dans la sécurité sociale», puisque c’était à peu près le dernier levier d’action budgétaire dont dispose le fédéral depuis la sixième réforme de l’Etat.
A l’époque, le parti de Charles Michel bloquait, à chaque rentrée, l’ambition nationaliste. Cet automne, le parti de Georges-Louis Bouchez pointe le manque d’ambition budgétaire du nationaliste, qui avait laissé entendre qu’il envisageait de réduire l’effort demandé, de 16 à dix milliards. «Dix milliards, c’est trop peu», a répliqué, le 5 octobre, le Montois sur VTM, où l’Anversois est pourtant réputé jouer à domicile. Il faut dire que la faible matérialité des effets retour annoncés par l’Arizona, très vite doublée de l’accélération exponentielle des dépenses de Défense, commence à se remarquer, même en Flandre.
Alors rien ne sera plus profitable à Bart De Wever, politiquement, que de présenter un budget qui touche à la sécu, même si ce n’est pas assez pour le Bart De Wever du gouvernement Michel, et même si cela sera insuffisant pour le Georges-Louis Bouchez du gouvernement De Wever, car il a besoin que les gauches socialiste, communiste et écologistes, surtout francophones évidemment, qualifient les prochaines mesures de redressement budgétaire d’antisociales ou de sauvages.
Ce besoin politique d’une trajectoire significativement différente de celle qui lui est promise expose Bart De Wever à deux problèmes. Le premier, c’est qu’un budget de l’Etat, en Belgique, c’est un truc sur lequel le Premier ministre et son gouvernement ont peu de prise objective et immédiate. Le comité de monitoring a récemment estimé le déficit de l’entité I, celui du fédéral et de la sécurité sociale, sans les régions, donc, à 5,8% du PIB si l’Arizona mène les politiques qu’il s’est engagé à mener, et c’est aussi nul que ce que promettait le gouvernement De Croo. Et puis, les dépenses de transfert (vers les régions et communautés, vers l’Union européenne, vers la sécurité sociale) sont longues à réduire, et imposent de difficiles négociations, et ça, c’est un obstacle de fond.
Le second, c’est qu’avoir formulé des engagements budgétaires aussi irréalistes ouvre, à la droite de Bart De Wever, un gros espace, dans lequel le MR, comme sous De Croo, s’engouffre avec gourmandise, et ça, c’est un problème politique.
Mais, dans l’opposition francophone, il y a peu de gens pour profiter de ce filon. Car à la Chambre, tous les opposants à l’Arizona qui parlent français sont de gauche. Tous, sauf deux, qui résistent encore et toujours aux envahisseurs. Ce sont des wolusampétrusiens et c’est peut-être ce qui donne ce côté village gaulois, à Alexia Bertrand (Open VLD) et à François De Smet (DéFI).
Le Vif a demandé à ces deux fringants conseillers communaux de Woluwe-Saint-Pierre la plus cruciale mesure qui ne serait pas de gauche et qui améliorerait substantiellement l’état des finances publiques.
Pour l’Open VLD, une baisse de la norme de croissance
«Vous voulez une mesure qui ne soit pas de gauche? On en a plein!», lance Alexia Bertrand, la cheffe de groupe Open VLD à la Chambre, ancienne secrétaire d’Etat au Budget sous De Croo, et aussi intarissable sur les sources d’économies qu’incriminée par Bart De Wever à chaque fois qu’elle les suggère. Elle en a donc mille. Mais elle nous en donne une quand même. Parce que cette opposante libérale considère que ce gouvernement tire un peu trop vers la gauche. «La norme de croissance du budget des soins de santé est un tabou en Belgique, je sais que les cheveux se dressent sur les têtes quand on l’évoque. J’ai vécu aux Etats-Unis, je connais leur système de santé, et je le déteste. Mais qu’on arrête de faire comme si le nôtre n’était pas en danger si on continue comme ça. La norme de croissance est une invention belgo-belge qui ne se justifie plus, d’ailleurs elle n’empêche pas les problèmes dans les hôpitaux. Ce que font Les Engagés et Vooruit, qui ont obtenu une norme de 3% plus l’inflation d’ici 2030, c’est abîmer notre système: comme l’enseignement, en Belgique, les soins de santé sont un secteur sursubsidié, dont le budget augmente d’au moins deux milliards d’euros par an, et qui doit gagner en efficacité. En parallèle, si on augmente le ticket modérateur d’un euro, on obtient un rendement équivalent à celui de la taxe sur les plus-values. Mais ça reste un tabou, alors que pour moi ce sont des évidences. J’ai honte quand je vais chez mon généraliste et que je le paie quatre euros, confie-t-elle, prête, déjà, à répondre au Premier ministre quand il lui rappellera le bilan du gouvernement De Croo, de l’Open VLD et spécialement d’elle. Sous Maggie De Block, la norme n’était que de 1,5%, je le signale. Le ministre de la Santé, après elle, c’était Frank Vandenbroucke, et ce n’est pas au secrétaire d’Etat au Budget de prendre la plume pour faire la réforme de la Santé à la place du ministre, hein», conclut-elle.
«J’ai honte quand je vais chez mon généraliste et que je le paie quatre euros.»
Pour DéFI, un parquet national financier
«Ça ne m’étonne pas que l’Open VLD trouve l’Arizona trop à gauche», rigole François De Smet, député fédéral et ancien président de DéFI. Parce que cet opposant libéral considère que ce gouvernement tire un peu trop vers la droite, et, en passant, que «l’Open VLD va finir libertarien». Sa proposition, celle d’instituer un parquet national financier sur le modèle français, sera rejetée par la Chambre cette semaine, alors qu’il s’agit, selon lui, «juste d’une idée qui devrait plaire à la droite, puisqu’elle consiste à mieux faire respecter la loi et rapportera indirectement des milliards d’euros, ce qui évitera de faire les poches aux honnêtes gens». «Je m’étonne vraiment de la rigidité face à ce projet de parquet national financier, alors que le procureur du Roi de Bruxelles disait encore il y a quelques jours qu’il y avait de la corruption à beaucoup d’étages. Un parquet national financier, c’est l’outil que peut se donner un Etat pour faire respecter ses propres lois et combattre efficacement la criminalité financière. Or, en Belgique, il y a des acteurs dispersés, qui font qu’il y a des échanges d’infos qui ne se produisent pas, et qui laissent se perpétuer des situations de blanchiment ou de corruption. On a eu suffisamment d’affaires, ces dernières années, pour s’en rendre compte. Pourtant, je sens un vrai malaise politique par rapport à cette idée. Chaque fois que j’évoque la proposition en séance plénière, je vois mon collègue Georges-Louis Bouchez faire non de la tête, et je ne comprends pas pourquoi», se demande-t-il, avant d’ajouter une mise en garde «ni de gauche ni de droite», précise-t-il, sur la dimension communautaire du futur budget, parce que «ce gouvernement fait tout ce qu’il peut pour faire disparaître toute solidarité fédérale, comme l’aide alimentaire et le plan grand froid, en se déchargeant de toute une série de tâches sur le dos des pouvoirs locaux, surtout wallons et bruxellois, et sur le dos des entités fédérées, surtout francophones».
« Certains acteurs politiques dispersés laissent se perpétuer des situations de blanchiment ou de corruption.»