Jean-Luc Crucke, ex-PRL et MR, passé aux Engagés après sa fracassante démission de ministre wallon, est l’invité de notre rubrique Partir un jour, consacrée aux personnalités qui ont changé de parti. © GETTY/BELGA

Jean-Luc Crucke revient sur son passage du MR aux Engagés: «Moi, je n’ai pas changé, c’est le MR qui a changé. C’est son droit»

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Jean-Luc Crucke, ex-PRL et MR, passé aux Engagés après sa fracassante démission de ministre wallon, est l’invité de notre rubrique Partir un jour, consacrée aux personnalités qui ont changé de parti.

L’homme du Hainaut occidental avait le goût du western wallon. Plutôt brute que truand, il est aujourd’hui le bon de la bande. Jean-Luc Crucke était dans l’opposition régionale, considéré alternativement comme un bulldozer ou un pitbull. Ce qu’il fut au départ avec une bonhomie peu soupçonnée, jusqu’en 2017, alors que son parti actuel était écarté du pouvoir régional et que son précédent parti y était sempiternellement associé. Depuis lors, il a souvent été dans la majorité –et comme actuel ministre fédéral de la Mobilité, du Climat et de la Transition environnementale, il est le débonnaire qui arrondit les angles dans une coalition où ses deux partis, l’ancien et le nouveau, se tirent dessus plus vite que leur ombre.

A 62 ans, il dit lui-même qu’il a «gagné en maturité», que le cancer, bien sûr, l’a bouleversé: «Cette période m’a permis de prendre le temps de réfléchir, de lire, de rencontrer beaucoup de gens. La semaine dernière, Bart De Wever m’a dit en kern « mais comment fais-tu pour rester calme comme ça »… Ce n’est pas parce que je vois un type s’exciter que je vais m’exciter. Je n’avais, c’est vrai, pas la réputation d’être quelqu’un d’une douceur remarquable», s’amuse-t-il. Aux plus forts moments des querelles internes entre les clans Michel et Reynders –il faisait partie du second–, Jean-Luc Crucke figurait parmi les plus violents protagonistes. De nos jours, il le regretterait presque: «Je n’ai plus de temps à perdre à ça; si on était tous intelligents, ça se saurait… La vie est une continuité de leçons.»  

Pourtant, lui dont le départ du MR se fit dans un fracassant incendie, assure n’avoir pas changé. S’il a mûri personnellement, s’il s’est affiné idéologiquement, ce gourmand de vin, de vie, d’Orval et de marche dans son Pays des Collines, refuse d’admettre que son changement de parti s’accompagnait d’un changement de perspective. Il n’est pas, insiste-t-il, passé à gauche en passant du MR aux Engagés, il ne s’est même pas recentré en contribuant à l’installation électorale et politique de ce «mouvement qui rassemble centre-droit, centre-gauche et centre-vert; j’ai demandé au parti ce qu’il pensait de la formule, tout le monde est parfaitement d’accord.»

L’idée qu’il ne défend plus«Il n’y en a aucune, j’ai toujours défendu un libéralisme social, et je suis parti du MR quand ça n’a plus été possible.»

Pour l’ancien outlaw flingueur devenu gentil tonton, c’est son ancien parti qui n’est plus ce qu’il était. «Je suis resté fidèle à mes idées. Je suis un libéral; mes valeurs, je ne les ai pas changées. Je ne suis pas un conservateur, ce qu’on appelle « la droite populaire », j’ai refusé ce virage conservateur. La droitisation du MR ne correspond pas à mes valeurs libérales. Moi, je n’ai pas changé, c’est le MR qui a changé. C’est son droit. Je ne l’ai jamais contesté à Georges-Louis Bouchez, c’est le droit du président d’amener le MR là. Mais ce fait de systématiquement opposer les gens les uns aux autres… J’ai un jour dit à Georges-Louis qu’il avait des élans de Trump… Ces élans, c’est quoi? C’est diviser la société, soit tu es bon, soit tu es mauvais, soit tu es un ami, soit un ennemi. Eh bien pour moi, la politique, c’est rassembler, pas diviser», expose-t-il. La fracture se fit fin 2021, alors que le ministre wallon du Budget qu’il était fort fièrement subit, de la part de son parti, une forme de désaveu autour de son décret dit sur «l’impôt juste». La séquence fait partie de l’histoire politique contemporaine.

L’idée qu’il conserve«Je n’en ai abandonné aucune, donc je les ai toutes gardées…»

Il démissionne, son président de parti le remplace par Adrien Dolimont, et annonce que Jean-Luc Crucke sera, jusqu’à la fin de sa carrière professionnelle, juge à la Cour constitutionnelle. Quelques mois plus tard, celui-ci décide finalement de ne pas aller y siéger, «on m’a laissé beaucoup trop de temps pour réfléchir», rigole-t-il. Il lance les cercles libéraux, écologiques et sociaux pour «Clés», et discute avec de nombreuses personnalités d’une recomposition du paysage partisan. «Attention, quand je suis parti, je suis parti tout seul, je n’ai voulu débaucher personne», assure-t-il. Il rencontre plein de gens, mais il voit surtout Maxime Prévot, qu’il connaissait si bien qu’en 2017, il avait envisagé de l’inviter à rejoindre le MR, et avec qui il avait monté, comme ministre des Sports, un projet commun. «On travaillait ensemble sur un dossier lorsque j’ai démissionné. C’est un des trucs qui m’ont fait le plus mal, un dossier qui devait faire de Namur la capitale du vélo, avec un terrain appartenant à la Défense pour construire un vélodrome. On boucle ça avec Ludivine Dedonder, qui est également une amie, autour d’un pôle industriel innovant consacré au cycle. Une des premières choses faites quand je suis parti fut de casser le projet de Prévot et Crucke, évidemment…  On avait des industriels wallons, flamands, français, tout était là, mais comme c’était tagué Maxime Prévot-Jean-Luc Crucke, il fallait tout foutre par terre. Une énorme connerie!» Il devient alors évident pour tous les deux que le réformateur en partance intégrera le mouvement engagé en croissance.

La pire vacherie«Dire de moi que je n’ai aucune colonne vertébrale idéologique. C’est précisément le contraire.»

Il a alors derrière lui 35 ans de militance libérale, née d’une rencontre avec Jean Gol, pourtant pas le dernier à asséner des petites phrases aujourd’hui attribuables à la «droite populaire», et qui avait notamment recruté Roger Nols –«Je n’ai pas dit que j’aimais tout ce que Jean Gol faisait. Mais Jean Gol était profondément libéral, et ça m’énerve quand Georges-Louis se présente comme son fils spirituel.» Des amitiés indéfectibles de son clan, celui des «reyndersiens», Jean-Luc Crucke ne perd rien, il estime même y gagner en densité amicale. «Tu abandonnes 30 ans d’une vie dans laquelle il y a de la camaraderie, de la solidarité, des amis, oui. Mais je n’ai perdu aucun ami. J’en ai gardé beaucoup, j’en vois encore plein. Moins souvent, mais quand on se voit, on est encore plus heureux de se voir», philosophe-t-il. Mais on y revient, aucun d’eux ne l’a suivi lorsqu’il en est revenu. «Je ne vais pas juger les autres, j’ai gardé beaucoup d’amis au MR. Evidemment, il y en a qui ont essayé de me retenir, des gens qu’on appelle des « barons » ou des « poids lourds », qui étaient des amis et qui le sont restés. Y compris ceux qui me disaient que j’avais raison quand j’allais à l’affrontement contre Georges-Louis en Conseil du MR, qui n’ont jamais osé dire quoi que ce soit, et qui n’osent toujours pas. Non, je ne juge pas…», dit-il, et il ne juge pas exactement de la même manière qu’il n’a pas changé.

La personne qui l’a fait changer«Il y en a deux: Georges-Louis Bouchez d’un côté, Maxime Prévot de l’autre.»

Il a peut-être perdu quelques anciens camarades dans le mouvement, «mais je jure que si c’est le cas, je ne l’ai pas remarqué». Il n’a en toute hypothèse pas perdu les copains qu’il s’était faits dans les autres partis: «Partout, au PS, chez Ecolo, partout, énumère-t-il, elles sont rares les personnes avec qui j’ai travaillé et que j’ai croisées et avec qui il y a de l’inimitié.» Son départ du MR a même pu parfois l’apaiser. Avec Georges-Louis Bouchez pour commencer, dont les dernières années de joint membership avaient été tumultueuses: «Eh bien, ça peut paraître paradoxal, mais je dirais même qu’on se respecte plus maintenant qu’auparavant. Il n’a pas le même projet de société, ça je ne lui reprocherai jamais…» Même son proverbial antagonisme avec Marie-Christine Marghem, son ancienne concurrente interne en Wallonie picarde, a perdu de son acuité: «Elle est devenue bourgmestre de Tournai, moi ministre. On s’est vus, on s’est dit qu’on n’avait pas besoin de se taper dessus, et que notre région pouvait y gagner. Ce n’est pas une question de concurrence, mais de maturité. Il n’y a aucune raison de passer sa vie à se disputer, même si Paul-Olivier Delannois (NDLR: ex-bourgmestre PS de Tournai) et Ludivine Dedonder (NDLR: la femme de ce dernier) resteront des amis

Mais la maturation a, apparemment, encore quelques limites. De ses années de conflits intestins, et de ses mois de lutte contre le cancer, Jean-Luc Crucke a conservé la mémoire des actes et des absences d’action de deux libéraux.  «Il y a deux types à qui je n’adresserai plus jamais la parole de ma vie.» Ils le savent. Nous aussi. Mais les lecteurs ne peuvent pas le savoir. Juste le deviner. Sinon, ça ne serait pas très mature.

29/10/1962

Naissance à Renaix, dont son oncle (socialiste) sera bourgmestre. Il rencontre Jean Gol lors de ses études de droit, et entre pour lui au PRL. Il est président des Jeunes réformateurs libéraux en 1990.

10/01/2022

En conflit avec son président de parti, Jean-Luc Crucke démissionne de son poste de ministre wallon du Budget. Le MR annonce qu’il sera bientôt désigné juge à la Cour constitutionnelle et le remplace par Adrien Dolimont.

8/06/2022

Parlementaire libéral depuis 2004, Jean-Luc Crucke choisit finalement de ne pas siéger à la Cour constitutionnelle. Il ne quitte pas encore le MR mais souhaite participer à une «recomposition du paysage politique».

9/02/2023

Rejoint Les Engagés, dont il devient vice-président. Il sera la tête de liste fédérale dans la circonscription du Hainaut du nouveau mouvement, successeur du CDH.

3/02/2025

Prête serment comme ministre fédéral de la Mobilité, du Climat, et de la Transition environnementale dans le gouvernement De Wever.

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