En plafonnant l’indexation automatique des salaires à 4.000 euros bruts par mois en 2026, le gouvernement définit un seuil au mieux approximatif. La preuve avec les chiffres de Statbel, de Jobat et du Bureau du plan.
Entre les économies de son accord budgétaire et les chiffres derrière ses grandes mesures, le gouvernement fédéral s’applique-t-il une rigueur à géométrie variable? Le 24 novembre dernier, l’Arizona a annoncé 9,2 milliards d’économies d’ici à 2029. Parmi elles: une indexation automatique des salaires plafonnée à 4.000 euros bruts par mois en 2026 et 2028.
Censée générer 883 millions d’euros d’économies, selon des estimations du Bureau fédéral du Plan, la mesure fait l’objet de nombreuses critiques, tant sa mise en œuvre d’ici à janvier paraît complexe. «Les secrétariats sociaux estiment que c’est infaisable, et c’est effectivement de la folie», résume l’économiste Philippe Defeyt. Il reste par ailleurs d’autres inconnues: comment faire le calcul pour les innombrables travailleurs dont le salaire brut, potentiellement proche de la barre des 4.000 euros, varie d’un mois à l’autre? Qu’en sera-t-il pour ceux dont le salaire augmentera, entre deux indexations, au-delà du fameux palier?
Mais la philosophie de la mesure souffre surtout d’une approximation conséquente: le gouvernement fédéral a fixé le seuil de 4.000 euros bruts par mois sans connaître le salaire médian des travailleurs. C’était pourtant bien un argument essentiel de l’accord. «A deux reprises, on appliquera un index plafonné pour les salaires dépassant la médiane, soit 4.000 euros», a commenté Bart De Wever devant la Chambre, le 28 novembre dernier. «Les citoyens continueront à bénéficier d’une indexation forfaitaire jusqu’à 4.000 euros de salaire brut, soit au-delà du salaire médian», renseignent de leur côté Les Engagés. Pour rappel, un salaire brut médian établi à 4.000 euros signifie que 50% des travailleurs gagnent moins que ce montant et 50% gagnent davantage.
Un seuil d’indexation à la grosse louche
Comment le gouvernement a-t-il abouti à un tel chiffre? S’agit-il d’une médiane en équivalent temps plein ou incluant les temps partiels? Les données les plus récentes ouvertement disponibles émanent de l’enquête annuelle de 2022 sur les salaires, menée par Statbel auprès de plus de 184.000 travailleurs. Selon cette dernière, le salaire médian était censé s’élever à 3.728 euros en octobre 2022. Depuis lors, l’inflation est évidemment passée par là et avec elle, une série d’indexations significatives: +11,8% entre octobre 2022 et octobre 2025, estime Philippe Defeyt dans une récente note. En appliquant une telle indexation à la médiane de 2022, le salaire médian actuel s’élèverait dès lors plutôt à 4.167 euros, à supposer que la structure du marché du travail soit restée parfaitement identique.
Sauf qu’il y a un autre problème de taille. Elle-même construite sur un échantillon, l’enquête de Statbel ne tient notamment pas compte (comme elle le précise ici):
– Des salariés actifs dans les entreprises de moins de dix travailleurs (ils étaient 184.530 dans ce cas en 2024, selon les données du SPF Economie);
– Des salariés travaillant dans des secteurs comme l’agriculture, la pêche, les administrations publiques, l’enseignement, les soins de santé et les autres services aux personnes. En 2022, ceux-ci employaient pas moins d’1,6 million de personnes, selon les données de l’ONSS reprises dans la note de Philippe Defeyt;
– Des salariés à temps partiel, ce qui correspond à la situation de plus d’1,1 million de personnes, toujours selon les chiffres de Statbel.
Bref, «le salaire médian de 2022 ignore environ 40% des salariés», évalue Philippe Defeyt. Plus récemment, un autre chiffre a toutefois donné du grain à moudre au seuil défini par l’Arizona: 4.000 euros bruts par mois, c’est exactement le salaire médian annoncé par la plateforme Jobat pour 2025, dans son baromètre annuel. Mais celui-ci n’est pas du tout représentatif du marché du travail. Jobat compile en effet les données au gré des personnes remplissant un formulaire pour comparer leur salaire avec d’autres, soit 43.023 travailleurs en 2025. Parmi eux, 76% sont diplômés de l’enseignement supérieur, 59% sont des hommes et 91% (!) travaillent en Flandre, comme le montrent les données démographiques du baromètre de Jobat. De tels ordres de grandeur sont bien différents des estimations résultant de diverses sources officielles, qu’il faut également prendre avec précaution, vu l’incompatibilité de certaines données:
40% des salariés au-dessus des 4.000 euros bruts par mois
Pour une série de raisons, la majorité ne peut donc pas considérer que le seuil défini correspond au salaire médian. Contacté par Le Vif, le Bureau fédéral du Plan précise avoir réalisé ses calculs sur la base de données administratives pour 2024 qui, elles, reprennent bien l’ensemble des secteurs, mais aussi les salaires des temps partiels. «Sur cette base, on peut considérer que 60% des salariés gagnent moins que 4.000 euros bruts par mois et 40% gagnent davantage, précise-t-il. Le salaire médian se situerait plutôt ici aux environs de 3.800 euros par mois, mais ce chiffre n’est pas corrigé pour des équivalents temps plein.»
En se montrant si peu rigoureux sur l’identification plus précise du salaire médian, c’est donc à la grosse louche, et non à la fine truelle, que le gouvernement fédéral plafonne l’indexation automatique. Ce qui galvaude en bonne partie le sens du palier invoqué.