Le retard dans la confection du budget de l’Arizona Bart De Wever rendrait presque les acteurs de la Vivaldi nostalgiques d’Alexander De Croo

«Ils travaillent moins que nous, vous pouvez l’écrire!»: quand les anciens de la Vivaldi jugent les échecs de l’Arizona et de De Wever sur le budget

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Le retard dans la confection du budget de l’Arizona Bart De Wever rendrait presque les acteurs de la Vivaldi nostalgiques.

On résume. Et on écarquille bien les yeux: sur la trajectoire budgétaire actuelle, sur la sérénité des discussions, et sur le respect du calendrier, l’Arizona fait, pour le moment, moins bien que la Vivaldi dont elle se dépeint pourtant en vertueux contremodèle.

Or, Bart De Wever a fait périr la Vivaldi avec ses mots. Il a fait de ce nom une insulte, si bien qu’aujourd’hui, plus personne, même pas Alexander De Croo, ne se revendique plus de cette coalition. Elle est synonyme, en Flandre surtout mais aussi ailleurs en Belgique, de désordre, d’une part, et de dérapages budgétaires, d’autre part. Le désordre vivaldien se serait manifesté au cours de chaotiques sessions de négociations nocturnes. Le dérapage budgétaire aurait vidé les caisses de l’Etat.

Or, Bart De Wever avait déjà dû attendre huit mois pour constituer un gouvernement dont tous les membres étaient pourtant connus le soir des élections. Il avait dû négocier des accords de Pâques, puis des accords de l’été pour les interpréter et les sublimer au cours de fastidieuses sessions nocturnes. On avait déjà alors parlé de «vivaldisation» de l’Arizona. Et il a dû, au milieu de la nuit du lundi 20 au mardi 21 octobre, encore reporter un accord sur un budget annuel 2026, dont l’ambition, dix milliards d’euros d’effort supplémentaire par rapport à ce qui était prévu dans l’accord de gouvernement, revu à Pâques et le 21 juillet, a déjà été réduite par rapport à ce qui était promis, soit une trajectoire pluriannuelle et vingt milliards d’économies supplémentaires. Parce que Bart De Wever, pour l’instant, a aggravé la trajectoire budgétaire héritée d’une expérience De Croo qu’il n’a cessé de déprécier. Et Bart De Wever présentera son budget et sa déclaration d’octobre, déjà reportés deux fois, avec un retard que seul Elio Di Rupo, autre grand repoussoir de la démonologie flamingante, a dépassé dans l’histoire.

Alexander De Croo, lui, n’a jamais loupé une rentrée parlementaire comme Premier ministre, et a toujours remis ses budgets à temps, même s’il avait, le plus souvent, les cernes pétulants et la voix cassée de celui qui a passé la nuit à s’engueuler méchamment avec les collègues.

Alors, les Vivaldiens, ils se taisent encore, bien sûr, mais ils savourent un peu, mine de rien. Ils sont encore vachement «seumards», il faut dire qu’ils ont tous perdu les élections, et dans de fort historiques largeurs, sauf Vooruit et surtout le MR, qui, eux, sont dans l’Arizona et ne regrettent pas les années De Croo.

Donc les Vivaldistes honoraires préfèrent encore garder l’anonymat pour dire du bien d’eux et du mal de leurs victorieux successeurs. La vraie question, c’est comment ça se fait que ça a marché dans ce bordel latin qu’était la Vivaldi, et pas dans ce nordique monastère que proclame être l’Arizona?

Le Vif la leur a posée.

«Ils consacrent clairement beaucoup moins de temps à négocier, donc le retard est inévitable.»

Est-ce une histoire de méthode?

«De Croo alternait vraiment tous les registres, une fois qu’il arrivait en vue de la deadline, se rappelle un ancien du kern sous la Vivaldi. Il savait séduire, faire des blagues, se montrer complice, puis monter dans les tours pour rien, menacer des pires turpitudes, ou hurler pour une broutille. Je ne crois pas que De Wever soit du genre à taper sur la table si ça n’avance pas, aussi parce que si ça n’avance pas, c’est la preuve que la Belgique ne marche pas…», explique‑t‑il, rappelant que le narratif central d’Alexander De Croo consistait au contraire à démontrer que la Belgique fonctionnait. «Enfin, en théorie hein…» L’absence presque systématique, chez Bart De Wever, de limites temporelles fermes, donc de vraie pression sur les antagonistes, pèse.

Alexander De Croo a manqué plusieurs deadlines, c’est vrai, sur le Covid, sur le nucléaire, sur un des accords de l’été, mais jamais celle du deuxième mardi d’octobre. Bart De Wever, lui, ne s’en fixe jamais vraiment, et donc il n’en respecte aucune. Il en a manqué pendant les négociations gouvernementales, il en a dépassé à Pâques, le 21 juillet, c’était vraiment tout juste, et encore cet automne il a marché l’air de rien sur la ligne d’arrivée que d’autres avaient dessinée. «De Croo a loupé des rendez‑vous sur lesquels il s’est engagé, c’est vrai. Mais quand vous êtes Premier, deux dates sont inratables. In‑ra‑ta‑bles!, et c’est le 21 juillet et le deuxième mardi d’octobre. Alors, ce n’était peut‑être pas mieux avant en matière d’entente, mais nous au moins, nous respections les délais et donc les institutions», plaide un autre glorieux ancien. Un camarade de bunker embraie: «Ils consacrent clairement beaucoup moins de temps à négocier, donc le retard est inévitable. Ils travaillent moins que nous, vous pouvez l’écrire! Ils n’ont même pas encore passé une nuit blanche ni un week‑end ensemble, alors que l’échéance est déjà dépassée d’une semaine… Sur ce budget, ils ont commencé à balancer des lignes rouges à la presse un mois plus tard que nous. Alors que ça, ça se fait fin août‑début septembre, quand il reste plus d’un mois pour attendrir les résistances.»

«Plus Bart De Wever montre que c’est difficile, plus son intérêt est satisfait.»

Est-ce une affaire de logistique?

La chronique politique se régale des petits plats qui passent et des portes qui claquent, ou, sous De Croo, des lunettes oubliées de Sophie Wilmès, de l’ordinateur jeté contre un mur d’un collaborateur de l’IEV venu appuyer Pierre‑Yves Dermagne, ou de très physiques échanges entre Frank Vandenbroucke et David Clarinval, deux vice‑Premiers d’Alexander De Croo qui sont aussi ceux de Bart De Wever. «C’est vrai que la qualité de la table d’Alexander était assez constante», se rappelle un commensal des longues tablées budgétaires. «C’est important parce que ce qui compte surtout, dans ces négociations, ce sont en fait les bilatérales. Et il faut à la fois que ceux qui sont dans la bilatérale soient écoutés, donc il faut que le Premier sache aller chercher le vrai ressort derrière le non, et là, les soft skills, la petite blague, le bon petit dessert, oui, ça joue. Et en attendant, il faut aussi que ceux qui ne sont pas dans la bilatérale ne s’énervent pas trop ou ne s’impatientent pas trop. Par exemple, en mangeant un bon petit truc…», ajoute un autre, plus sucré que salé selon son témoignage exclusif mais anonyme. «Sauf pour Frank Vandenbroucke, qui, lui, veut toujours manger à heures fixes, et qui a donc souvent été servi seul avant tout le monde, précise un collègue, amateur d’infusions de gingembre mais surpris que Le Vif le sache. Ha ouais, ouais, ça aide à tenir, le gingembre…», constate-t‑il.

Bart De Wever a déjà reporté deux fois sa déclaration d’octobre. © BELGA

Est-ce une histoire de particratie?

Chaque négociation impliquant une coalition implique les partis membres de cette coalition. Ils sont donc, en dernier ressort, les responsables de chacun des mots prononcés par le Premier et de chacune des mesures mises en œuvre. Un président est donc susceptible de bloquer une séance parce que ce que propose un Premier, en bilatérale avec un vice‑Premier, ne correspond pas aux intérêts du parti. «Je me rappelle qu’une fois, Sophie avait quitté les négociations, sur le coup de 4 heures du matin, parce qu’elle disait que ce que lui avait dit De Croo en bilatérale ne correspondait pas à ce qu’il disait devant tout le monde, et que la présidence du MR refusait qu’on avance. Et sur la réforme fiscale aussi, six partis étaient d’accord, sauf un, le MR, et donc David Clarinval a bloqué jusqu’au bout», remarque un vice‑Premier d’une formation aujourd’hui dans l’opposition. Dans ce registre‑là, c’est surtout sous la Vivaldi que les blocages partisans avaient été les plus brutaux, beaucoup plus, en tout cas pour le moment, que dans l’Arizona. Ils furent efficaces pour les concernés, puisque les partis vivaldiens les plus directifs sont ceux qui ont gagné les élections suivantes.

Est-ce une question de confiance?

Les fuites vers la presse étaient encore plus ravageuses et systématiques pendant les kerns d’Alexander De Croo que lors de ceux de son prédécesseur. Signe que la confiance entre partis et entre vice‑Premiers était encore plus dégradée hier qu’aujourd’hui. Dans cette séquence budgétaire, c’est du reste Bart De Wever lui‑même qui a fait fuiter, dans Het Laatste Nieuws, les quatre piliers de son assainissement espéré (saut d’index, hausse de la TVA, baisse de la norme de croissance du budget des soins de santé, effort des malades de longue durée), aussitôt refusés par le MR et Vooruit, comme jadis, et puis par Les Engagés. «Cela dit, je suis persuadé que le gros des fuites venait de chez De Croo et de son cabinet, à notre époque», philosophe un vétéran. «Chaque parti a un, maximum deux gros jokers sur une législature. Là, on a l’impression que tous ont déjà grillé le leur. Sauf peut‑être la N‑VA. Mais eux ne les grilleront jamais, car plus De Wever montre que c’est difficile, plus son intérêt est satisfait. Soit il boucle un accord, et La Libre écrira que Bart De Wever est un grand homme d’Etat qui prend ses responsabilités, soit il n’y arrive pas, et Het Laatste Nieuws écrira que Bart De Wever est un grand homme d’Etat mais que la Belgique est dépassée par les faits. Bref, soit il gagne, soit il gagne. Vous aviez écrit ça il y a quelques semaines, non? Le « pile je gagne, face tu perds » de De Wever…», conclut, fort justement, un fidèle abonné.

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