Sébastien Lecornu doit rencontrer les représentants des partis de gauche, excepté LFI, et du RN mercredi à Matignon.

France: pourquoi le nouveau Premier ministre Sébastien Lecornu est «sur un siège éjectable», avec le PS prêt à pousser sur le bouton

A peine nommé à Matignon, Sébastien Lecornu joue sa survie politique. Le nouveau Premier ministre français doit convaincre les socialistes de ne pas voter la censure du gouvernement sur le budget 2026, tout en ménageant la majorité et les Républicains, alors que le spectre d’une nouvelle dissolution de l’Assemblée est loin d’être écarté.

Moins d’une semaine après sa nomination, la course contre la montre continue pour Sébastien Lecornu. La principale mission du nouveau Premier ministre français: éviter une censure de la part de l’opposition dans les semaines à venir. Il va ainsi multiplier les consultations ces prochains jours, avec les partenaires sociaux et les partis politiques. Mercredi 17 septembre, il recevra notamment les représentants des principaux partis de gauche hors LFI (PS, EELV, PCF, Place Publique) et du Rassemblement national à la veille d’une nouvelle journée de mobilisation à l’appel des organisations syndicales, avec des manifestations et des grèves attendues aux quatre coins du pays pour protester contre le projet de budget 2026. Autant de rendez-vous cruciaux dans un climat politique brûlant.

Le PS a «une carte maître en main»

«Sébastien Lecornu est un Premier ministre complètement sur un siège éjectable. Celui qui pourrait appuyer sur le bouton, ou non, c’est Olivier Faure, le premier secrétaire du parti socialiste», résume le constitutionnaliste Benjamin Morel (Université Paris II Panthéon-Assas), pour qui les socialistes «ont les clés» pour la suite des événements. Ce qui peut sembler improbable alors que le groupe socialiste et apparentés ne compte «que» 62 députés, ce qui en fait la quatrième force en présence à l’Assemblée nationale, derrière le Rassemblement national, Ensemble pour la République (la majorité présidentielle) et La France insoumise, son ex-partenaire au sein du Nouveau front populaire. «Les gouvernements Barnier et Bayrou reposaient sur deux roues de secours: les socialistes et le RN», développe Benjamin Morel. 

«Ce gouvernement sera censuré, probablement dans quelques semaines ou dans quelques mois.»

Marine Le Pen

«Il suffisait qu’un des deux groupes ne vote pas la censure pour que le gouvernement soit sauvé. Ici, le Rassemblement national veut très clairement pousser à la censure et donc à la dissolution de l’Assemblée nationale, car c’est le seul parti, quand vous regardez les enquêtes d’opinion, qui peut espérer une majorité. Reste donc le PS et ses alliés: si 25 députés votent une censure, il n’y a plus de gouvernement. Ils ont une carte maître en main.» Sébastien Lecornu doit ainsi les convaincre de lui faire confiance sur le budget 2026, premier dossier d’envergure que le gouvernement –pas encore nommé– doit présenter d’ici mi-octobre au Parlement. LFI voire le RN pourraient déposer à cette occasion une motion de censure. «Ce gouvernement sera censuré, probablement dans quelques semaines ou dans quelques mois», a d’ailleurs prédit Marine Le Pen lors d’un meeting de son parti dimanche 14 septembre. LFI, de son côté, a déjà menacé de déposer une motion de censure dès le début octobre, dans le cas où le nouveau Premier ministre ne demanderait pas un vote de confiance des députés à l’issue de sa déclaration de politique générale, dont la date n’a pas encore été arrêtée. Autant dire que le temps joue contre le successeur de François Bayrou.

Une taxe sur les très hauts patrimoines?

Ce week-end, Sébastien Lecornu a fait un premier geste pour contenter l’opposition: il a renoncé à la suppression de deux jours fériés, une proposition de François Bayrou vivement contestée dans un contexte social déjà tendu, qui avait accéléré sa chute. «C’est toujours dans les moments de blocage et de tension que notre pays a avancé. Mon état d’esprit est simple: je ne veux ni instabilité ni immobilisme», a justifié le nouveau locataire de Matignon. Il devra néanmoins aller plus loin et donner davantage de garanties aux socialistes. «Si on sent une porte ouverte sérieuse, une vraie rupture de la part de Sébastien Lecornu, on est prêt à aller à une table de dialogue. C’est notre logique», a prévenu Patrick Kanner, patron des sénateurs PS, la semaine passée sur Public Sénat.

Les socialistes ont fait un contre-projet de budget, avec moins d’économies (22 milliards d’euros au lieu de 44), la taxe dite Zucman de 2% sur les patrimoines de plus de 100 millions d’euros (largement rejetée à droite), ou encore certaines hausses d’impôts. Autant de sujets sur lesquels le débat s’annonce animé mercredi à Matignon, à l’instar de la très contestée réforme des retraites, réclamée à nouveau par la secrétaire générale de la CGT Sophie Binet. Surtout que le PS va débarquer en position de force. «Il y a clairement une ligne de crête: les socialistes n’ont plus vraiment peur de la censure, analyse Benjamin Morel. Il y a quelques semaines, le PS pouvait se dire qu’il serait en difficulté en cas de dissolution sans union de la gauche. Mais les dernières enquêtes d’opinion montrent qu’il peut très bien s’en sortir, tandis que LFI est un peu dans les choux et que le centre s’effondre. Le PS n’a donc plus aucun intérêt à prendre un accord moyen ou mauvais.»

Jeu d’équilibriste dangereux

La marge de manœuvre de Sébastien Lecornu est néanmoins restreinte. En plus de tenter de séduire les socialistes en montrant des gages de rupture avec son prédécesseur, il doit aussi ne pas trop frustrer son propre camp et ses alliés des Républicains avec trop de concessions. Un jeu d’équilibriste dangereux, présentant des intérêts jusqu’au sommet de l’Etat. «C’est clairement l’une des dernières cartouches d’Emmanuel Macron. Si Sébastien Lecornu tombe, le président se retrouverait en première ligne», estime Benjamin Morel. «Michel Barnier venait de l’extérieur du camp macroniste et semblait en divergence avec Emmanuel Macron, tandis que François Bayrou avait forcé l’entrée à Matignon: ils faisaient office de fusibles. Ici, le Premier ministre est un proche du chef de l’Etat. En cas de censure, ce serait un désaveu direct pour lui et la pression s’accentuerait pour une dissolution de l’Assemblée nationale, ou même pour qu’il démissionne.» 

Cette dernière possibilité a régulièrement été balayée par Emmanuel Macron. Resterait alors une dissolution, manœuvre politique risquée qui avait débouché sur la perte de la majorité dans l’hémicycle à l’été 2024 pour le camp macroniste. «De nouvelles législatives pourraient aboutir à deux scénarios, selon le politologue. Soit une majorité absolue pour le RN et Jordan Bardella arriverait à Matignon. Soit la France deviendrait encore plus ingouvernable, car il y aurait encore plus de députés RN et pas d’espace pour un gouvernement. Dans les deux cas, Emmanuel Macron se mettrait en danger.» 

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