La baisse des cotisations patronales sur les hauts revenus permettrait une hausse de salaire conséquente pour le PDG de Colruyt. Redistribuée, elle représenterait quatre euros brut par an pour les employés. © Hans Lucas via AFP

Comment l’Arizona permet d’augmenter les salaires des PDG tout en bloquant ceux des autres

Sylvain Anciaux

L’Arizona a pour projet d’abaisser le plafond des cotisations patronales sur les plus hauts revenus. La mesure permettra une hausse des plus gros salaires, mais n’aura aucune incidence sur celui du travailleur moyen, dont l’augmentation est interdite jusqu’en 2027.

Il n’y aura pas d’augmentation des salaires en 2025. Ni en 2026, d’ailleurs. Dixit la loi sur la compétitivité (dite «loi de 1996») et le Conseil central de l’économie (CCE). Pour qu’un travailleur bénéficie d’une augmentation de salaire légale, le coût salarial d’un autre employé doit diminuer. En effet, la loi prévoit que le coût moyen par heure ne peut pas augmenter, mais des transferts sont possibles.

Pour les grands patrons, en revanche, c’est différent, comme le révèle l’économiste Olivier Malay (Solvay) dans une note d’analyse publiée par le réseau Econosphères, qui entend ramener les questions économiques à l’intérieur du débat démocratique. Avant l’Arizona, les entreprises payaient des cotisations patronales normales sur les hauts salaires. Depuis le 1er juillet, elles n’en paient plus que sur les 360.000 premiers euros. Ce seuil devrait même descendre à 268.000 euros en 2027. En pratique, le gouvernement diminue donc les cotisations patronales payées sur les très hauts revenus. Cela concernera 2.070 employés, soit 0,04% des travailleurs. Pour l’Etat, il s’agira d’un manque à gagner annuel de 150 millions d’euros, selon les tableaux budgétaires de l’Arizona (soit 72.000 euros par salarié concerné).

Une hausse du salaire de 10 à 15% pour les PDG

A de tels salaires, on parle presque exclusivement de PDG (et des footballeurs pro). Si la plupart optimisent leur régime fiscal en se faisant rémunérer sous statut d’indépendant ou via une société, certains sont bel et bien salariés. «En pratique, quand un PDG démissionne, l’entreprise ouvre un appel à candidatures, et cela aboutit à des enchères salariales. Certains disent qu’il faut améliorer le package pour attirer plus de talents dans nos entreprises», décrit Olivier Malay, qui n’exclut pas non plus un certain lobbying des patrons en place. L’objectif du gouvernement est donc double: attirer les cerveaux tout en évitant qu’ils ne soient rémunéré sous des régimes qui contribuent moins à l’effort collectif.

«La hausse hypothétique des dividendes provenant de l’argent récupéré sur les cotisations ne serait vraiment pas énorme. Donner cet argent au PDG implique une hausse de son salaire de 10 à 15%. Là, il y a une véritable incidence.»

Mais comment les entreprises peuvent-elles augmenter ce package salarial malgré la loi qui bloque les salaires? Car jusqu’ici, la baisse des cotisations patronales s’apparentait plus à un cadeau aux entreprises qu’à une promesse d’augmentation des PDG. «L’entreprise peut faire ce qu’elle veut de cet argent récupéré, précise l’économiste. Elle peut soit augmenter ses bénéfices, soit investir. Mais désormais, elle pourra légalement augmenter la rémunération du PDG puisque le coût du travail diminue grâce à la baisse des cotisations patronales. Je pense qu’un certain nombre de sociétés le feront, particulièrement celles cotées en Bourse où les dividendes versés aux actionnaires sont déjà très élevés. La hausse hypothétique des dividendes provenant de l’argent récupéré sur les cotisations ne serait vraiment pas énorme. Donner cet argent au PDG implique une hausse de son salaire de 10 à 15%. Là, il y a une véritable incidence.»

Un deux poids, deux mesures risqué

Autre question. Si la marge dégagée par la réduction des cotisations patronales permet une augmentation du salaire du PDG, ne permet-elle pas celle de celui des travailleurs également? Dans les faits, cette baisse d’impôts réduira le coût salarial moyen pour les grandes entreprises. «Même pour des PME jusqu’à 200 personnes, les PDG ne sont pas à ces niveaux de salaire, assure Olivier Malay. Vu la taille des entreprises concernées par la mesure, les marges libérées par la baisse des cotisations patronales ne seront jamais redistribuées aux travailleurs, tellement elles seront faibles.»

La note d’Econosphères l’illustre cyniquement. Dans le cas de Colruyt, par exemple, la baisse de cotisations patronales sur les hauts revenus libérerait 113.500 euros à l’entreprise. Partagés entre tous les travailleurs du groupe, cela augmenterait le salaire de… quatre euros bruts par an. «Le gouvernement dit qu’il faut améliorer l’attractivité pour les travailleurs, et j’entends cet argument, conclut Olivier Malay. Dans ce cas, il ne faut pas de deux poids, deux mesures. Il y a plusieurs métiers en pénurie, des métiers difficiles, dans l’Horeca, le travail de nuit, l’enseignement, la logistique ou le transport, où l’on doit aussi attirer des travailleurs. Pourtant, les salaires y sont bloqués. Selon moi, soit on augmente tout le monde, soit personne. Je pense qu’on y gagnerait.»

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