A tous les niveaux de pouvoir, Les Engagés sont sur le front d’économies affectant des thématiques chères à leurs fidèles comme à leurs nouveaux électeurs. Au point de mettre en péril, déjà, une place à peine retrouvée?
Après avoir cherché à plaire au plus grand nombre, Les Engagés risquent-ils de décevoir tout le monde? Le slogan de campagne du parti annonçait certes «le courage de changer». En cela, le récit médiatique de son ex-président et ministre des Affaires étrangères, Maxime Prévot, reste cohérent. «Quand vous faites de la politique, l’objectif, ce n’est pas d’essayer de préserver votre capital électoral entre deux élections», indiquait-il ce jeudi à Bel RTL, dans un contexte où le gouvernement fédéral cherche toujours dix milliards d’euros d’économies. Il est effectivement clair que le narratif visant à réformer pour mieux rebâtir l’Etat-providence n’apaise pas, loin de là, les nombreux citoyens encaissant de plein fouet les coupes annoncées. «On a pu voir, lors de la dernière manifestation nationale, que la voix de la CSC n’était pas un cran en-dessous de celle de la FGTB», commente Pascal Delwit, politologue à l’ULB.
En 2024, le siphonnage des Engagés
Il y a huit mois, Le Vif pointait les nuages qui s’amoncelaient à l’horizon du ciel bleu turquoise. Les voici incontestablement au-dessus de la tête de leurs électeurs, anciens et surtout nouveaux. Au soir des élections de juin 2024, le sondage à la sortie des urnes du Centre d’étude de la vie politique (Cevipol) de l’ULB avait chiffré les transferts de voix entre partis. Les Engagés avaient alors réussi à siphonner 21% des précédentes voix d’Ecolo, 16% du MR, 10% du PS et 8% du PTB. Il n’étaient en revanche parvenus qu’à conserver 64% des électeurs du cdH en 2019, soit le deuxième moins bon taux de rétention parmi les cinq principaux partis francophones, devant l’hémorragie d’Ecolo. Le renouvellement annoncé du parti a donc partiellement eu lieu, mais avec un succès manifeste aux urnes.
Partiellement, puisque, quoi qu’en dit le parti, l’ancrage dans les milieux chrétiens n’a pas complètement disparu. «Les hôpitaux, la Mutualité chrétienne ont encore une influence dans le parti, observe Pascal Delwit. Et si vous regardez la structure des récentes négociations, les intérêts ont quand même fort été portés sur ceux de l’enseignement libre confessionnel, à savoir celui qui dépend du Segec (NDLR : le Secrétariat général de l’enseignement catholique).» Si le pilier social-chrétien s’est érodé depuis la transformation du parti au début des années 2000, «l’ADN du parti est, lui, resté associé aux enjeux qui lui sont historiquement liés, comme la santé, l’éducation et le non-marchand», analyse Pierre Baudewijns, politologue à l’UCLouvain.
Au fédéral, les électeurs des Engagés pourraient, peut-être, leur accorder une certaine indulgence: bien que vice-Premier ministre, Maxime Prévot ne détient pas les compétences les plus exposées, jusqu’ici, aux critiques, à savoir les Finances, le Budget, l’Economie, la sécurité sociale, la Justice, la Santé… De même, le nombre de partenaires de la coalition Arizona est de nature à disperser les reproches, à sortir le parapluie des compromis. Rien ne dit cependant qu’une telle stratégie fonctionnera. «Le risque, pour Les Engagés, serait qu’à un moment donné se pose cette question: au fond, à quoi servent-ils?, interroge Pascal Delwit. Les trois ministres fédéraux des Engagés ont un profil plutôt lisse, dont on ne voit pas vraiment la patte.»
Des réformes impopulaires
A la Fédération Wallonie-Bruxelles et à la Région, en revanche, leur responsabilité est directement engagée dans une majorité qu’ils ne partagent qu’avec le MR… Et sur des thématiques qu’ils portent depuis des années. Dans le premier cas, la ministre-présidente, Elisabeth Degryse, détient les délicates compétences du Budget, de l’Enseignement supérieur et de la Culture. «Or, la mesure sur le minerval va toucher au premier chef les classes moyennes salariées et non-salariées, soit beaucoup de ceux qui ont voté pour les Engagés. Idem en ce qui concerne l’augmentation de la charge horaire pour les enseignants du supérieur.» Les Engagés ont aussi dû valider, il y a deux semaines, la réforme du tronc commun dans l’enseignement obligatoire, la ministre Valérie Glatigny (MR) détricotant au passage un pacte d’excellence largement incarné par Joëlle Milquet à l’époque cdH.
Du côté du gouvernement wallon, les économies annoncées le 20 octobre dernier sont certes plus ténues. Mais le ministre de la Santé, Yves Coppieters (Les Engagés), a tout de même acté une diminution de 33 millions d’euros des moyens accordé à l’Aviq, l’Agence pour une vie de qualité. Peu connue du grand public, celle-ci chapeaute d’importantes politiques de santé et d’aide aux personnes au sud du pays. L’Aviq devra dès lors «faire mieux avec moins», ce qui ne ressemble pas vraiment à cet autre slogan de campagne: «La santé, c’est LA priorité des Engagés». Comme l’avance Pascal Delwit, «il faudra voir jusqu’à quel point les effets micro, affectant certains secteurs ciblés, se propageront en cercle concentrique, d’ici peut-être six à huit mois». Yves Coppieters, lui, souligne que le recentrage des missions de l’Aviq s’opère en bonne entente avec elle. Et se défend d’avoir, in fine, «touché au non-marchand, à la santé, à l’aide aux personnes, au handicap», comme énoncé à L’Avenir.
«Un certain nombre d’électeurs qui, hier, avaient voté pour Les Engagés, pourraient commencer à ne plus se retrouver dans leur politique.»
Quel que soit le montant de chaque ligne, l’addition reste lourde. Les Engagés seront-ils, bien plus que le MR, sanctionnés pour cela? «Il n’y a pas que Les Engagés qui se positionnent sur les enjeux de l’enseignement, de la santé et du non-marchand, constate Pierre Baudewijns. C’est aussi le cas du PS et d’Ecolo. Vu les mesures annoncées, un certain nombre d’électeurs qui, hier, avaient voté pour Les Engagés, pourraient commencer à ne plus se retrouver dans leur politique.» Et se tourner plus facilement vers un autre parti ? «Avec le renouvellement du parti, les électeurs fidèles ne connaissent plus nécessairement les figures locales, poursuit-il. Les Engagés pourraient être exposés à une forte volatilité électorale. En 2009, le cdH avait pu gagner un certain nombre de voix, notamment auprès des plus jeunes électeurs, qu’il avait ensuite reperdu aux élections de 2014. C’est un électorat très mouvant.»
«Du strict point de vue de la sociologie électorale, une question se pose: le score des Engagés aux dernières élections relève-t-il d’un moment d’opportunité ou d’une adhésion structurelle?, synthétise Pascal Delwit. Il est difficile d’y répondre, mais je pencherais plutôt pour la première option. D’autant qu’il y a un autre élément: du point de vue politologique, la plupart des experts vous diront qu’être centriste n’est pas une identité. Dans leur communication, Les Engagés tiennent à être présenté comme tels.» Pour Pierre Baudewijns, «ce n’est pas nécessairement un mauvais calcul. En se situant au centre lors des élections, ils ont pu capter les voix de ceux qui étaient indécis ou qui souhaitaient un peu plus de pondération, dans un contexte où les partis politiques se sont éloignés du centre de l’échiquier politique, singulièrement depuis 2014.» Toutefois, au regard de leur programme, c’est aujourd’hui un parti de centre-droit, voire même de droite, nuance Pascal Delwit.
Le positionnement des Engagés peut-il s’enraciner durablement sur cette partie de l’axe? «Il me semble revenir à ce qu’on a pu connaître avec le CVP, dans les années Dehaene, conclut Pierre Baudewijns. Les Engagés n’ont toutefois pas le poids politique qu’avait le CVP, ce qui les expose aux positions très dures, à tort ou à raison, de leur partenaire MR.» A l’heure actuelle, Les Engagés essuient donc des critiques à plusieurs étages. De l’électorat plus structurel, dont «l’interland historique du pilier chrétien», comme le qualifie Pascal Delwit. Mais aussi de certaines nouvelles voix, déplorant tantôt un «scotchage» au MR, tantôt des promesses pour l’heure passées sous silence –sur le plan environnemental, par exemple. S’il reste plusieurs années avant les prochaines élections, les journées d’éclaircie turquoise sont a minima passées à l’heure d’hiver.