Le très contesté dossier de la réforme des pensions et la mobilisation autour du cordon sanitaire sont, pour le PS et pour Paul Magnette, des occasions de montrer que leur opposition n’est pas que défensive.
S’il y a bien une chose qui énerve les socialistes francophones, depuis qu’ils ont perdu les élections et qu’ils sont dans l’opposition, c’est en fait deux choses. D’abord, qu’on leur rappelle qu’ils ont perdu les élections et qu’ils sont dans l’opposition. Ensuite, qu’on leur dise qu’ils ne savent que s’opposer sans jamais proposer.
L’impopularité naissante, voire la colère croissante, envers le programme économique des gouvernements wallon, de la Fédération Wallonie-Bruxelles et fédéral, autoriserait le PS, comme les autres partis de l’opposition, à ce relatif silence. Encore le 4 novembre, sur LN24, le patron de la FGTB résumait la récrimination, en syndicaliste occupé à organiser le plus vaste mouvement de grève de ces 50 dernières années en Belgique –avec les trois jours de fin novembre– et après avoir fait défiler, le 14 octobre, la plus grande manifestation de ces 20 dernières années en Belgique: «On est suivi par la population, et j’espère qu’à un moment donné, les trois partis de gauche vont non pas simplement relayer la protestation –ça, c’est notre métier– mais essayer de traduire cela en propositions concrètes –ça, c’est leur métier», disait Thierry Bodson. En somme, selon cette critique très répandue, les opposants expliquent très bien que les gouvernements font ce qu’il ne faut pas faire, mais ils ne montrent pas ce qu’il faudrait faire s’ils étaient au gouvernement.
Pourtant, protestent les socialistes comme les autres partis, ce métier, le leur, ils le font. Les politiques alternatives, ils les proposent. Les grands mouvements, ils les écoutent, assurent-ils. Le bureau du PS du lundi 3 novembre, devant une assez modeste chambrée, peut en témoigner, affirmeraient-ils si on le leur avait demandé. Le Vif a reçu la présentation PowerPoint secrète de ce qui a animé les deux petites heures de discussions de rentrée, après une semaine de vacances parlementaires.
Quatre critères seraient intégrés à la prise en compte de la pénibilité.
Présent tragique et futur souhaitable
Bien dans son rôle d’opposition qui s’oppose, la cheffe de groupe socialiste au parlement de Wallonie, Christie Morreale, a d’abord analysé les résultats des conclaves budgétaires en Région wallonne et en Fédération Wallonie-Bruxelles. A Namur, siège du gouvernement wallon, les ministres sudistes, a lancé la Liégeoise, «font croire que les économies imposées aux citoyens et à la classe moyenne sont indispensables, mais elles ne servent qu’à payer des réformes fiscales coûteuses MAIS AUSSI inefficaces et inéquitables», lit-on sur les slides consacrés à la Région wallonne.
Martin Casier, le chef de groupe au parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles était excusé. Christie Morreale a donc dit pour lui qu’à Bruxelles, siège de l’exécutif de la Fédération Wallonie-Bruxelles, les éminences francophones multipliaient les «attaques sur le pouvoir d’achat des familles» par «des taxes déguisées», les «attaques sur l’enseignement» avec un «impact sur la pénurie et la qualité des apprentissages», et les «attaques sur la culture» car «Les Engagés s’inscrivent dans la logique du MR avec une nouvelle étape d’économies imposées aux artistes et au monde de la culture». L’opposition, à ces niveaux de pouvoir, est donc aussi intransigeante qu’on le dit lorsqu’elle explique que les gouvernements font ce qu’il ne faut pas faire. Le PS y dépeint un présent tragique, mais n’a pas encore dessiné son futur souhaitable.
Au fédéral, en revanche, les socialistes souhaitent désormais incarner plus franchement une force de proposition, alors que le conclave budgétaire de l’Arizona est, cette semaine, suspendu à un fil incertain.
C’est pourquoi la députée fédérale en charge de ces matières, Ludivine Dedonder, a présenté la nouvelle proposition de réforme des retraites du Parti socialiste, au bureau de lundi. Cette réforme introduirait le caractère pénible des métiers exercés, et valoriserait la pénibilité sur deux dimensions. En temps, puisque les travailleurs concernés pourraient terminer leur carrière plus tôt, et en argent, puisque ces pensionnés seraient mieux rétribués que ceux qui ont cotisé le même nombre d’années sous le régime ordinaire, et que ce qu’ils percevraient sous le régime actuel.
Voici donc avec quoi les socialistes feront campagne en cette matière brûlante, et sur laquelle le gouvernement Arizona fait face à une importante contestation: les économies annoncées par l’introduction du malus, principalement, effraient. En portant ces dispositions nouvelles, le PS veut s’imposer en alternative. «L’alternative est possible, il s’agit d’un choix de société! C’est le nôtre», conclut d’ailleurs le document, toujours secret. Un plan com, bien entendu, était programmé, Le Vif l’a un peu éventé.
Quatre critères seraient intégrés à la prise en compte de la pénibilité: les contraintes physiques au travail (charges lourdes, postures pénibles, etc.), l’organisation du travail pesante (travail de nuit, à la chaîne, etc.), les risques de sécurité élevés (exposition à des produits toxiques, au bruit, etc.) et la charge mentale et émotionnelle.
Ces quatre critères avaient déjà été dégagés sous le gouvernement Michel lorsque, pour atténuer la dureté de la pension à points, le ministre des Pensions, Daniel Bacquelaine (MR), avait voulu autoriser les travailleurs exerçant des métiers pénibles à anticiper leur fin de carrière. Les protestations de l’époque avaient eu la peau de la pension à points et, avec elle, de son adoucissement par la pénibilité. Certains disent même qu’elles avaient eu la peau du gouvernement Michel, mais c’est une autre histoire.
Dans la proposition portée par Ludivine Dedonder, pas de pension à points, donc, et pas de malus non plus, évidemment. Mais bien ces quatre dimensions de la pénibilité, dont un «comité scientifique» réunissant les plus fins experts calculerait «les seuils d’exposition, la valorisation de la pénibilité nécessaire pour compenser les différences d’espérance de vie, l’application des critères de pénibilité aux métiers». Régulièrement, ce comité scientifique rendrait des avis censés inspirer les partenaires sociaux, qui, eux, détermineraient ces seuils d’exposition, ainsi que les métiers concernés et les coefficients de majoration. Comme dans le cas d’un accord interprofessionnel, «à défaut d’accord entre les partenaires sociaux, ces éléments seront directement mis en œuvre sur la base des avis et propositions du conseil scientifique», précise la note présentée au bureau du PS.

Les critères de pénibilité pourront être considérés cumulativement, ce qui augmentera d’autant le coefficient de majoration défini par les partenaires sociaux ou, faute d’accord, par le gouvernement. «Par exemple, si les partenaires sociaux déterminent que chaque critère donne un coefficient de 5%, une année de travail avec un critère vaudra 1,05 année, avec deux critères vaudra 1,10 année, avec trois critères vaudra 1,15 année, avec quatre critères vaudra 1,20 année.» Et puisque la pénibilité a des conséquences sur le temps de carrière du travailleur, aussi bien que sur l’argent qu’il gagne, «le coefficient vaudra pour la condition de carrière pour l’accès à la pension mais aussi pour le calcul de la pension».
Avec la réforme socialiste, les conditions d’accès à la pension anticipée changeraient. Un travailleur qui doit normalement se prévaloir de 42 ans de travail effectif pour pouvoir partir à la retraite à 65 ans plutôt qu’à 67 ans pourrait le faire après 35 années d’un travail quadruplement pénible, soit cinq ans plus tôt, puisque chaque année cotisée, alors, vaudrait pour 1,20 année. Avec un seul critère de pénibilité, ce travailleur pourrait partir après 40 annuités, multipliées par 1,05 grâce au coefficient de majoration.
En outre, les socialistes proposent d’intégrer le coefficient de majoration du travailleur au calcul, pour «neutraliser» cette perte de pension. Ainsi, une infirmière qui aurait commencé sa carrière à 22 ans, carrière pendant laquelle elle aurait gagné en moyenne 4.000 euros par mois, «avec l’Arizona, elle ne pourra prendre sa pension qu’à 64 ans et percevra 2.240 euros mensuels, sans tenir compte du risque de malus». Si la réforme socialiste est mise en œuvre, «avec trois critères de pénibilité, elle pourrait prendre sa pension à 60 ans et percevra 2.230 euros par mois».
«Depuis 40 ans, la droite martèle que les pensions sont impayables. La catastrophe n’a pas eu lieu!»
Pénibilité et payabilité
Après celle de la pénibilité se pose la question de la payabilité. Important débat, quand on veut incarner une opposition crédible.
Là, le Parti socialiste invite à «déconstruire le mythe»: «Depuis 40 ans, la droite martèle que les pensions légales sont devenues impayables. En 2000, ils nous disaient que ce serait la catastrophe en 2010 car les enfants du baby-boom auraient atteint 65 ans. Cette catastrophe n’a pas eu lieu! La droite nous sert toujours la même soupe: ils définancent la sécurité sociale (tax shift, flexijobs, fin des cotisations sociales au-delà de 270.000 euros…), ensuite, ils prétendent que le système est intenable», a posé Ludivine Dedonder, avant de rappeler que le coût des pensions, en Belgique, était dans la moyenne européenne. Et que l’augmentation prévue d’ici à 2040 n’allait pas au-delà d’un point de pour cent du PIB. En revanche, a-t-elle encore expliqué, «la non-prise en compte de la pénibilité coute très cher». En effet, «deux tiers des malades de longue durée ont plus de 50 ans» et «70% souffrent de troubles musculosquelettiques ou de santé mentale», ce qui fait dire à la Tournaisienne qu’il y a «un transfert des pensions vers la maladie». «Au lieu de bénéficier d’une pension de retraite, bien méritée, les travailleurs âgés qui ont exercé un métier pénible sont poussés vers la maladie. Les mesures de l’Arizona vont aggraver la situation», augurent, comme certains spécialistes, Ludivine Dedonder et les socialistes, dans l’opposition, avec elle.
L’intégration de ces critères de pénibilité au calcul des pensions, dès lors, résulterait d’un «choix politique», et même d’un «choix de société», que l’Arizona se refuse à poser, celui de «reconnaître et récompenser les efforts des travailleurs». Le groupe socialiste à la Chambre déposera bientôt la proposition de loi portant cette réforme, afin de forcer les autres partis, y compris ceux de la majorité, à se positionner sur la question. On connaît déjà leur réponse, évidemment. Et ils demanderont certainement pourquoi les socialistes n’avaient pas promu ces solutions lorsque, sous le gouvernement De Croo et l’autorité de Karine Lalieux, ils exerçaient la compétence des pensions.
Rassembler 70% d’antifascistes proclamés
Mais, pour le PS, il s’agit aussi, et surtout, de montrer que son opposition n’est pas que défensive. Il souhaite rassembler autour de propositions concrètes, donc. Mais aussi composer autour d’une position, celle de l’opposition à ce que Paul Magnette dit considérer comme un danger pour la démocratie: l’extrême droitisation du débat public. Il a lancé un appel qui doit le rendre central, face à un MR dont la stratégie, assumée, de radicalisation, vise à consolider 30% de l’électorat en se faisant détester par les 70% restants. Paul Magnette, lui, a intérêt au contraire. C’est pourquoi plusieurs dizaines de personnes ont été invitées par le président socialiste, ce samedi matin 8 novembre, au Square, au Mont des Arts, à Bruxelles. Les présidents des partis démocratiques en seront, ainsi que d’augustes représentants de ce qu’on appelle la société civile: syndicats,mutuelles, organisations de jeunesse, acteurs de l’éducation permanente, de l’associatif, des universités, etc. Même le président du parti concerné, celui des 30% qui énervent les 70%, a été invité par le président qui espère rameuter les 70% qu’énervent le président des 30%. Sa présence serait amusante, son absence, signifiante.
Dans le meilleur des mondes socialistes, cette levée d’indignés aiderait le Carolorégien à le repositionner à l’épicentre de cette vague d’opposition à un illibéralisme allégué.