Féru de citations et heureux de faire des blagues, le Premier ministre Bart De Wever a passé une année à peaufiner sa «vis comica». Voici ses meilleures citations depuis les dernières élections, il y a un an.
L’humour, parfois noir, du nationaliste flamand fait rire, parfois jaune, jusqu’à ses adversaires. Le premier Premier ministre séparatiste de l’histoire du royaume excelle dans la blague qui rassemble les siens et déstabilise les autres, aussi bien que dans la citation qui impressionne les uns comme les autres. Il est probablement le meilleur blagueur de l’histoire de Belgique, même s’il est entré au 16 rue de la Loi en homme triste qui fait rire. Voici comment résumer l’année historique de Bart De Wever en cinq bons mots.
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«Nous avons gagné ces élections»
Prononcé le soir d’une bataille, le 9 juin. Traduit du flamand «Wij hebben deze verkiezingen gewonnen». Ceci, c’est vrai, n’est pas une blague, mais elle a eu davantage de conséquences que les meilleurs traits de l’historien anversois, parce qu’elle l’a propulsé à la tête du pays qu’il voulait détruire.
Bart De Wever a commencé il y a 20 ans avec des feintes sur le string rose d’Elio Di Rupo à la télévision flamande, y a gagné un statut, celui de maître de la conversation publique flamande et depuis il ne s’est jamais arrêté. Sa parole était drôle, à force elle est devenue d’or. Le soir du 9 juin, Bart De Wever peut se permettre de perdre quatre sièges au parlement flamand et un siège au fédéral, de dire qu’il a gagné, et en Belgique, personne n’en rit et tout le monde le croit. Il dit aussi, ce jour-là, tout de suite après, que «la Flandre a plus que jamais choisi l’autonomie». Pourtant, ce pourquoi il peut dire qu’il a gagné ces élections, c’est parce que les plus autonomistes que lui, ceux du Vlaams Belang, n’ont pas dépassé, comme les sondages le promettaient, sa N-VA. A son homologue Tom Van Grieken, dans Het Conclaaf, une téléréalité politique flamande où Bart De Wever fit des ravages par sa proverbiale drôlerie, il avait conclu une tirade qui stupéfia la Flandre par «et donc la chance que vous formiez un gouvernement avec moi est quasiment nulle». Le «quasiment» était en français, mais tous ses compatriotes l’ont compris: l’indépendantiste flamand dit qu’il a gagné les élections, mais l’indépendance de la Flandre devra patienter jusqu’à un prochain adage ou une proche citation.
«Roma Victrix»
Prononcé le soir d’une bataille, le 14 octobre. Traduit du latin, «Rome a gagné». Contre qui? Contre les barbares, bien entendu, ceux, disait Bart De Wever, «de Moscou», soit le PVDA, qui avait fait de Jos D’Haese un candidat bourgmestre d’Anvers aussi crédible qu’une attestation de victoire délivrée par Bart De Wever lui-même, l’homme qui a perdu 20.000 voix de préférence par rapport à 2018 mais qui peut dire qu’il a gagné parce que des communistes n’ont pas convaincu 50% des Anversois. Recouronné empereur de la métropole, Bart De Wever amène son fils en accessoire, qui porte un sceptre à l’antique, commandé pour l’occasion, où il est écrit SPQA pour «Le Sénat et peuple d’Anvers», et la jeune Els van Doesburg (35 ans) en héritière du trône. Ce 14 octobre, il y a déjà longtemps que Bart De Wever est censé avoir bouclé les négociations fédérales. Ce n’est pas encore le cas, la campagne pour les communales d’octobre a perturbé les discussions. Mais ce n’est rien, il a encore dit qu’il avait gagné, donc il a gagné.
Bart De Wever est tellement fort qu’il n’a même pas besoin de le dire en latin pour avoir cet air supérieur.
«Arrête ton sketch»
Prononcé à longueur de négociations, jusqu’au 31 janvier. Traduit du montois, «arrête ton sketch». Le président du MR Georges-Louis Bouchez a tant compliqué les négociations fédérales qu’on attribue à Bart De Wever une citation invérifiablement apocryphe, «Cinq ans avec lui, je ne pourrai jamais», murmurée un soir de fracas. Le Montois, il est vrai, a l’humour moins ironique et la pulsion plus chaude que le Premier. Il a usé pendant sept mois d’un gimmick, «arrête ton sketch», adressé aux négociateurs avec qui il n’était pas d’accord. Et comme l’Anversois a l’humour inclusif, il a imprimé la punchline sur des tee-shirts, offerts en toute fin de formation aux autres présidents de parti. Ses citations sont faites pour être imprimées, y compris sur du textile. Mais comme l’Anversois sait aussi se servir de l’inclusion pour exclure, il a un jour, en séance plénière de la Chambre, adjuré l’opposition «d’arrêter son sketch», et ainsi fait rire sa majorité.
«Sine labor nihil»
Prononcé lors du vote de la confiance, le 6 février. Traduit du latin, «rien sans travail». Bart De Wever a son petit aigle en plastique sur son pupitre pendant les 40 heures de débat sur la confiance à son gouvernement, début février. A chaque fois qu’il intervient, il fait comme si son petit aigle en plastique opinait. Surtout quand il coiffe des chiffres mauvais ou inexistants, comme ceux sur la perspective pour les salariés de mieux gagner leur vie, de lettres érudites, comme avec «sine labor nihil», donc. Au Parlement, il a gagné parce que ses adversaires aussi veulent parler la même langue que lui, celle qui le rend si brillant sur la forme et au fond si drôle. Ce jour-là, à la Chambre, le chef de groupe PS, Pierre-Yves Dermagne, s’y essaie. Bart De Wever lui répond sous le regard protecteur de son petit aigle en plastique: «Mon français n’est pas assez bon, je le sais et j’y travaille. Heureusement, il est déjà mieux que votre latin.» Paf!
«Malheureusement, vous êtes là»
Prononcé en commission à la Chambre, le 1er avril. En français dans le texte, parce que le principal ressort comique de Bart De Wever Premier est le tragique, et que l’emploi du français ajoute de l’ostentatoire à son visible déplaisir. A la Chambre et dans ses rares interviews aux médias francophones, il nous fait rire parce qu’il nous fait croire qu’il ne voulait pas se trouver là où tous les autres veulent être, lui y compris. Parlementaire depuis 20 ans, il n’a jamais participé à des débats d’une institution qu’il méprise. Mais le Premier qu’il est, surjouant le devoir, doit répondre aux questions des députés obligés. Il le fait chaque semaine, en plénière au moins, en commission parfois et c’est encore plus drôle. Le 1er avril, il se trompe de salle de commission, arrive en retard, pose sa petite serviette brune, soupire, s’assied et dit: «Excusez-moi pour les cinq minutes de retard, j’étais dans une autre salle, tout seul. Je croyais que c’était un poisson d’avril. Malheureusement, vous êtes là.» Les gens qu’il humilie rient, ses assistants aussi, les journalistes encore plus, lui, même pas. Bart De Wever est tellement fort qu’il n’a même pas besoin de le dire en latin pour avoir cet air supérieur.