Rappelé illico en commission après son accord de l’été, Bart De Wever a dû reporter ses vacances pour le présenter à la Chambre aux députés fédéraux francophones et flamands. Et aussi éviter de répondre aux questions sur le budget…
Tous ceux qui sont là sont étonnés de ne pas être en vacances, alors ils se disent «bonjour, tu n’es pas en vacances?» comme on croiserait un collègue à Ramatuelle en lui demandant «tiens tu n’es pas au travail? Ah ah ah».
L’opposition a sommé Bart De Wever de venir au Parlement débattre de son accord du 21 juillet, qu’il appelle «accord de l’été». Quatre nuits plus tôt, il l’a bouclé en kern après de longues négociations, et trois jours plus tôt il a refusé de dire «vive la Belgique» lors de la Fête nationale –et l’opposition n’était pas d’accord. Tout le monde espérait partir en vacances, mais le PTB a réclamé un échange de vues, les autres fractions de l’opposition aussi. Il a lieu le 24 juillet, à 10 heures, en commission de l’Intérieur et ceux qui sont présents sont ceux qui ne sont pas en vacances, d’où l’étonnement liminaire. En fait, il y a même beaucoup de monde, des journalistes aussi, et le président de la Chambre, Peter De Roover (N-VA), avec cet air d’être chez lui qu’il a très vite pris lorsqu’il a accédé au perchoir. D’ailleurs, un peu plus tard, quand Denis Ducarme arrive, et que la parole lui est donnée, le député MR dit qu’il est très heureux de cette séance surprise, mais il s’interroge tout de même un peu: «Nous, on est toujours frais, toujours en forme, c’est étonnant de voir un groupe d’extrême gauche réclamer une séance après la dernière plénière et hop! tout le monde accepte. Et puis, des accords au kern, il y en a toutes les semaines… Non, monsieur le Premier ministre?» «Malheureusement, oui…», répond De Wever, et ça fait rire les gens.
«Mais, poursuit Denis Ducarme, on n’a pas les textes, on n’a rien, les débats ont du sens si on échange sur les projets de loi, sur des textes… Avez-vous eu le temps de les rédiger, monsieur le Premier ministre?» «Malheureusement, non», répond ce dernier, avant de lui spécifier que sa question «[…] est une très bonne question. Oui, ça serait mieux de se revoir avec tous les textes des projets de loi, et on se reverra. Mais soyons honnêtes, Monsieur Ducarme, qui prendrait un seul jour de vacances s’il pouvait avoir la chance d’être ici avec vous en commission en plein mois de juillet?», et cela fait rire les gens plus encore. Alors Denis Ducarme se félicite de la réforme fiscale à 4,4 milliards d’euros que son parti a obtenue à force d’insistance, sans signaler que sous la précédente législature, son parti a refusé une réforme fiscale à six milliards d’euros à force d’obstination. Le Carolorégien trouve que c’est le meilleur accord depuis le début de la législature, mais cela heurte la «fausse modestie» du Premier ministre: «J’espérais que vous diriez le meilleur accord depuis le début du siècle. Je n’ai évoqué que les quatre grands chantiers de réforme –le marché du travail, les pensions, la fiscalité et les soins de santé– mais il y a aussi d’autres choses dans cet accord de l’été… On va en effet interdire les organisations extrémistes. Les partis sont exemptés, hein. Les cultes aussi. Pas de souci pour le PTB, vous avez une double exemption», lance-t-il alors à sa cheffe de groupe Sofie Merckx, et ça fait rire les gens qui ne sont pas du PTB.
«Je fais ce que je peux. C’est la faute du PS si les caisses sont vides.»
Faute de latin, erreur de nom
Comme Denis Ducarme, qui trouve que le gouvernement Michel dont il était ministre avait obtenu de plus signifiants accords, le député Open VLD Steven Coenegrachts estime que cet accord du 21 juillet est typiquement belge et rappelle que le gouvernement Michel, dont son parti était membre, avait procédé à de plus imposantes réformes des pensions, puisque celle de Daniel Bacquelaine portait sur 2,1% du PIB contre 1,8% pour celle de Jan Jambon, et que le gouvernement De Croo que son parti soutenait avait laissé un déficit de 2,7% du PIB tandis que celui programmé après l’accord du 21 juillet par l’Arizona sera de 5,6% en 2030. Bart De Wever lui rétorque qu’il est vrai que lorsque le VLD choisit de gouverner avec la N-VA, les réformes sont toujours très bien, à se demander pourquoi le VLD préfère souvent gouverner avec la gauche, ce qui fait rire ceux qui ne sont pas de gauche et pas de l’Open VLD.
Avant Denis Ducarme, Bart De Wever avait expliqué les quatre piliers de son accord et il avait donné la parole aux députés, chacun pouvait s’exprimer, du plus grand groupe parlementaire (la N-VA) au plus petit (l’Open VLD), et il s’était déjà réjoui de répondre à leurs questions nombreuses et, espérait-il, pertinentes.
Le premier à prendre la parole est Axel Ronse, un homme libre qui est aussi chef de groupe du parti de Bart De Wever, la N-VA. Sans complaisance aucune, il constate que dans ce pays, la dette et les déficits étaient très élevés, que l’on courait à la catastrophe en 2029 si l’on continuait comme cela –ça l’est encore plus depuis l’accord de l’été, mais ça, il ne le dira pas. Impitoyable d’indépendance, il déclare ensuite que le travail abattu par Bart De Wever en quelques mois est véritablement extraordinaire. Frôlant l’insolence, il conclut son intervention en faisant croire qu’il avait eu le chat de Bart De Wever –Maximus Pulcher– au téléphone, que celui-ci avait souhaité à son Premier ministre et maître de bien se reposer pendant les vacances, et qu’il lui offrait, pour celles-ci, une boussole, parce que son maître avait une vision et savait où aller; et puis qu’en néerlandais, boussole se dit kompass et qu’en plus de sa vision, son maître a de la compassion pour les plus faibles. La dissociation entre Axel Ronse et l’animal domestique de Bart De Wever fut si saisissante que Bart De Wever remercie le chat mais corrige le latin d’Axel Ronse, qui a mal décliné Maximus Textoris Pulcher (Textoris est un génitif), et ça fait rire les gens qui ne maîtrisent pas leurs déclinaisons latines.
Un peu plus partisane, la cheffe de groupe Vlaams Belang remarque ensuite que l’été est la saison des accords typiquement belges, mais aussi des insectes nuisibles. Puis le député socialiste Khalil Aouasti signale qu’avec le bonus pension de quatre ans, l’objectif de ce gouvernement est de faire travailler les gens non pas jusqu’à 67 ans mais jusqu’à 71 ans, et quand Bart De Wever lui répond, il lui dit que c’est la faute du PS si l’unité de la Belgique est si malmenée et l’appelle Monsieur Ousti, sous-entend que Khalil Aouasti ne connaît pas les trois langues nationales, alors la députée socialiste Lydia Mutyebele le corrige –le Premier ministre– en lui faisant remarquer que c’est «Aouasti» et pas «Ousti», tout en demandant à qui profitera le plus la réforme fiscale. «Je fais ce que je peux», lui répond Bart De Wever, et ça fait rire les gens qui trouvent ça drôle, et puis, il dit que «c’est la faute du PS si les caisses sont vides, Madame Mutyebele. Est-ce bien comme cela? (NDLR: sous-entendu son nom). Oui, je fais ce que je peux, je vais répondre sur le fond. Ah non, il ne me reste presque plus beaucoup de temps.»
«Je ne sais pas pourquoi les francophones autour de la table disent toujours terug naar werk en flamand…»
Une histoire psychologique
S’il lui reste peu de temps, c’est parce qu’il a dû répondre aussi à Sofie Merckx, la cheffe de groupe du PTB qui ne s’inquiétait pas de l’interdiction des cultes ou des partis mais plutôt du «mépris que l’on vous connaît, pour tous les Belges mais aussi du mépris pour la presse, que vous avez convoquée à 4 heures du matin». «Ça, c’est vrai», répond le Premier ministre, et ça fait rire les gens qui ne sont pas journalistes. Elle veut savoir où il va dénicher les sept milliards nécessaires pour retrouver une trajectoire budgétaire tenable: «OK, vous économisez un million dans les soins de santé», dit-elle, et fièrement Bart De Wever la corrige, «un milliard, Madame Merckx, un milliard!».
Mais en réalité, Madame Merckx s’est surtout moquée des Engagés, qui se vantait d’être le parti de la santé mais qui a validé ce million, «non, un milliard, Madame Merckx», redit Bart De Wever, d’économies dans les soins de santé, et là, ça embête Jean-François Gatelier, bourgmestre, médecin et député fédéral des Engagés. «Nous croyons, nous les Engagés, qu’il faut plus que des slogans», entame-t-il. Et à partir de là, il ne prononce plus que des slogans: «Il faut agir, il faut construire»; «nous l’avons dit, nous l’avons fait»; «ce n’est pas un désengagement, c’est un contrat de confiance», et ainsi de suite. Il conclut par «vive la Belgique!». Et tout le monde, mais vraiment tout le monde, rigole, sauf Bart De Wever qui fait «prrrr», et son collègue Engagé Ismaël Nuino poursuit dans le refus des slogans en disant qu’il fallait «en finir avec le populisme et qu’il fallait parler vrai: ce gouvernement s’appuie sur une valeur, c’est le travail, c’est grâce au travail de chacun que la Belgique s’en sortira, et moi, je ne peux pas comprendre qu’une maman qui se lève à 6 heures pour conduire ses enfants à l’école puis aller travailler considère le travail comme une punition».
Sur les économies dans les soins de santé, «un milliard, Madame Merckx», et le retour au travail des malades de longue durée, «oui, dit Bart De Wever, on va faire faire un effort à tout le monde, aux mutuelles notamment», et alors il s’interroge: «Je ne sais pas pourquoi, mais quand on parle du retour au travail des malades de longue durée, les francophones autour de la table disent toujours terug naar werk en flamand. Il y a certainement quelque chose de psychologique derrière ça. Et nous, en flamand, on dit toujours « les congés payés » en français», pour bien montrer son absence radicale et définitive de mépris, et ça fait rire les gens qui ne sont pas francophones.
Il ajoute que les exclus du chômage non plus ne seront pas oubliés, puisque les CPAS les guideront à travers des PIIS, ces projets individualisés d’intégration sociale, qui seront renforcés. «Le PIIS, comment on dit en néerlandais? Allez, j’oublie toujours…», se demande encore Bart De Wever.
C’est GPMI, pour Geïndividualiseerd project voor maatschappelijke integratie, mais le Premier ne semble pas avoir l’intention de souvent le dire en néerlandais dans les prochaines années. Il y a certainement quelque chose de psychologique derrière ça.