Ils ont changé de parti, l’ont quitté pour un autre, ou pas, et ils en sont toujours fiers. C’est notre série d’été «Partir un jour». Cette semaine, pour le dernier épisode, focus sur Marie-Christine Marghem, ancienne du PSC, d’où elle est partie avec Gérard Deprez pour fonder le MCC, qu’elle préside aujourd’hui, et intégrer les libéraux du MR.
Hôtel de ville de Tournai, un vendredi d’été, en fin d’après-midi, la bourgmestre revient de vacances.
Un peu plus de 30 ans plus tôt, à l’automne 1994, Marie-Christine Marghem, aujourd’hui présidente du Mouvement des citoyens pour le changement (MCC) et conséquemment grande figure du MR, entrait dans l’auguste bâtiment en jeune conseillère du vieux Parti social chrétien, qui allait fêter un cinquantenaire un peu confus à la fin de l’année 1995. L’avocate picarde voulait «faire de la politique autrement». Elle choisit le PSC aux antiques arrangements entre «familles», démocrate-chrétienne ou conservatrice, ce qui témoigne, dit-elle amusée, «d’une certaine ingénuité», alors que les libéraux du Parti réformateur libéral (PRL) tournaisien l’avaient, quelques jours plus tard, également invitée à participer aux communales d’octobre 1994.
«J’ai toujours été de centre-droit, pose-t-elle. Le PSC de Tournai, du moins son leader Georges Sénéca, n’était pas un homme de gauche. Le PRL tournaisien était de centre-droit. A huit jours d’intervalle, le PSC d’abord, puis le PRL ensuite, m’ont sollicitée. En fait, je suis chrétienne, et cela aussi est très important. Je suis allée au patronage, j’ai participé à des tas de mouvements de jeunesse, j’ai chanté dans une chorale pendant douze ou quinze ans, donc tout cet environnement a favorisé mon choix. Mais, pour vous montrer à quel point je ne suis ni opportuniste ni calculatrice, j’ai choisi le parti chrétien pour la raison que je viens d’évoquer en premier. En deuxième parce qu’ils m’ont sollicitée en premier lieu. Et en trois, parce que la personnalité de Gérard Deprez était déjà inspirante.» Or, ce dernier, à l’époque président du PSC depuis 1981, prépare le cinquantième anniversaire de sa vénérable formation en architecte de la recomposition du paysage politique. Celle-ci s’accomplira à l’explosif plutôt qu’au compas.
L’idée qu’elle ne défend plus: L’opposition à l’adoption par les couples homosexuels. «Je l’ai défendue dans la logique de l’avocate. Mais j’ai évolué, j’ai connu tant d’exemples heureux.»
«Jeune étudiante en droit à l’université de Liège, je me rappelle avoir été frappée en lisant, dans le train vers la Cité ardente, un portrait de Gérard en 1981: il était titré « Gérard Deprez ou l’art d’accommoder les restes ». Il avait voulu le faire avec toutes les tendances du PSC de l’époque, et il a développé cette vision stratégique sur l’ensemble de l’échiquier politique, en portant le rassemblement du centre et du centre-droit dont nous retirons les fruits aujourd’hui», détaille la bourgmestre de Tournai, qui n’est encore qu’une jeune élue dont le bon résultat personnel l’a révélée à ses dirigeants. «A ce moment-là, j’ai 32 ou 33 ans, je viens d’arriver dans le parti, commence-t-elle. Evidemment, j’ai fait un gros score et j’ai été élue dès la première fois, ici, au conseil communal. Le PSC de l’époque gérait très, très bien l’ensemble de la maison. On n’était pas laissé sur le côté: « débrouille-toi », « apprends toute seule », etc. Dès lors, je me suis retrouvée dans l’association des mandataires locaux et un peu à tous les étages du parti, au moment où s’exprimait cette réflexion historique de Gérard Deprez, alors que le PSC fêtait ses 50 ans.»
L’idée qu’elle conserve: «Je suis désolée que le MR ait mis tant de temps à se rendre compte qu’il fallait être pronucléaire.»
Au congrès du cinquantenaire, en décembre 1995, Gérard Deprez a le souhait de céder la présidence à la secrétaire politique du parti, Joëlle Milquet. Il conclut son dernier discours présidentiel avant l’élection interne par un diagnostic –le PSC a besoin d’une nouvelle présidence– et une suggestion de médication –«et pourquoi pas d’une présidente?», interroge-t-il.
A tous les étages du parti que Marie-Christine Marghem vient d’intégrer, c’est «horreur, malheur et cris d’orfraie! On connaît la suite: une réaction interne a mené à ce que Joëlle Milquet ne réussisse pas à obtenir la présidence; Charles-Ferdinand Nothomb l’emportera pour quelques voix. Ce n’est que plus tard qu’elle réussira et transformera le PSC en cdH.» A ce moment-là, Gérard Deprez est parti, Marie-Christine Marghem également. Ils ont fondé le Mouvement des citoyens pour le changement (MCC) en 1998, qui s’est immédiatement arrimé à la fédération PRL-FDF, devenue PRL-FDF-MCC, avant de se transformer, en 2002, en Mouvement réformateur (MR). Après deux années d’engagement social-chrétien, Marie-Christine Marghem quitte donc les futurs Engagés.
Ce sont des moments grisants, des heures passées à chercher un siège, à débattre du futur manifeste –«toujours d’actualité, on était les seuls au MR à encore défendre le nucléaire», rappelle-t-elle d’ailleurs–, à organiser les congrès fondateurs, et à discuter des orientations de la future formation libérale-conservatrice, rue de Naples, à l’ancien siège du PRL, avec des pointures comme Louis Michel, Daniel Ducarme, Didier Reynders, Hervé Hasquin, Antoine Duquesne, ou encore Olivier Maingain; Didier Gosuin, Antoinette Spaak et Bernard Clerfayt pour le FDF. «J’en oublie sans doute, s’excuse-t-elle. Avec eux, d’un coup, vous découvrez absolument tout ce qui se passe dans la maison Belgique.»
La pire vacherie: «Elle a duré quatorze ou quinze ans: sous le prétexte que j’étais chrétienne et du MCC, je ne pouvais être que conseillère communale.»
La rupture, à l’entendre, n’aura été douloureuse que pour ceux qu’elle rejoint. «Mais pas au fédéral, avec les grands noms dont je viens de parler. Non, c’est ici, à Tournai, que ça a été vache», lâche-t-elle. Et un peu plus loin que là, puisque son inimitié avec l’Anvinois Jean-Luc Crucke devient vite proverbiale. Le ministre fédéral des Engagés a pourtant dit du bien d’elle, c’est-à-dire en ne l’insultant pas, dans Le Vif, il y a deux semaines, «J’ai lu ses propos, mais je suis plus modérée sur ce chapitre. Je ne me laisse pas influencer par des paroles chatoyantes dans Le Vif, vous savez.» A Tournai, les libéraux, qui pourtant avaient naguère voulu la recruter, forment une majorité solidement laïque avec le PS, et l’accueillent de façon mitigée dans leurs rangs au conseil communal, dès 1998.
La personne qui l’a fait changer: «Gérard Deprez, évidemment.»
«C’est là où toutes les vacheries ont commencé, une inimitié de quatorze ou quinze ans», précise-t-elle en nous montrant l’affiche de sa première campagne sur une liste libérale, celle des communales d’octobre 2000. «Cette photo est le début de tout ça, rembobine-t-elle. Sous le prétexte que j’étais chrétienne et du MCC, je ne pouvais être que conseillère communale, pas plus. Ça, je l’avais gagné moi-même et personne ne pouvait le contester. J’avais demandé à être troisième sur la liste, en tant que MCC il y avait une logique. D’autant plus que j’avais un précédent score que je pouvais faire valoir, 1.036 voix. Peu de gens au PRL, ici, en avaient engrangé autant. Ce fut un truc invraisemblable, c’est remonté jusqu’à Louis Michel et ça a duré quinze ans. Finalement, je ne peux pas figurer en troisième place, je suis reléguée à la quatrième, à l’arraché parce que Louis Michel s’impose, et là, j’améliore mon score, 1.600 voix et des chiclettes. Je demande à être échevine, mais j’ai vite compris que tout ce que je pouvais être, c’était rien. On me tolérait, mais je ne pouvais rien être. Je deviendrai malgré tout échevine, mais uniquement chargée du budget et des comptes, rien d’autre. Ce fut une législature terrible parce que dans l’union du PS de Christian Massy, avec son chef de cabinet Paul-Olivier Delannois, et le PRL de l’époque, j’avais des ennemis partout, qui essayaient de me faire trébucher, qui se poussaient, etc.»
Mais là, elle est un peu triomphante, dans son bureau de bourgmestre, après sa longue péroraison: «J’avais dit que l’électeur déciderait, et il a décidé», sourit-elle. Elle conclut alors sur un mot pour ses anciens camarades de parti sociaux-chrétiens. Ils sont aujourd’hui ses nouveaux alliés Engagés. «Ceux que j’ai quittés ont été très corrects. Je n’ai rompu avec personne en quittant le PSC, et j’ai toujours eu de bons contacts, et de plus en plus avec le temps, avec Joëlle. Et Gérard a toujours gardé des liens très forts avec l’une comme avec l’autre. Parce que c’est un positionnement politique et pas particratique. De toute façon, j’ai toujours dit à Gérard: vous avez deux filles, une sur le sein gauche, Joëlle Milquet, et l’autre sur le sein droit, Marie-Christine Marghem. Voilà!»
22 mai 1963
Naissance, à Tournai, dans une famille «sociologiquement chrétienne». Etudes de droit à l’ULiège.
9 octobre 1994
Elue conseillère communale de Tournai, sous la bannière du PSC, pour sa première participation électorale. Elle est repérée par le président social-chrétien de l’époque, Gérard Deprez.
7 mars 1998
Première «assemblée libre des citoyens» du MCC, fondé par Gérard Deprez après son exclusion du PSC. Quelques mois plus tard, le MCC conclut un accord de fédération avec le PRL-FDF.
18 mai 2003
Première participation aux élections législatives, sur une liste MR. Elle devient députée fédérale et le restera jusqu’en 2024, tout en exerçant un mandat de ministre fédérale de l’Energie entre 2014 et 2020.
13 octobre 2024
Convainc Les Engagés et Ecolo de renvoyer le PS tournaisien dans l’opposition. Devient bourgmestre de sa commune de naissance, près de 30 ans après son entrée au conseil communal.