Le gouvernement fédéral de Bart De Wever est parvenu à un accord sur le budget, sous la forme d’un compromis belge plutôt classique, sous forme de patchwork, résultant d’un équilibre politique. Ce n’est pourtant pas ce qui avait été annoncé par le Premier ministre nationaliste, qui refusait de le compromis à la belge. Malgré lui, Bart De Wever a un côté très belge, pour le coup.
Le gouvernement de Bart De Wever a un budget, il passera l’hiver. Il y a même fort à parier que son existence soit pérennisée à plus long terme, puisqu’il vient de démontrer sa capacité à conclure un accord budgétaire particulièrement ardu. On ne saura jamais dans quelle mesure le Premier ministre était disposé à jeter l’éponge, comme il l’avait évoqué début novembre en quémandant étonnamment 50 jours au roi. Une seule chose est certaine, désormais: le scénario s’est écrit différemment et c’est en surprenant pas mal de monde que l’exécutif fédéral a annoncé, le lundi 24 novembre aux aurores, avoir accouché d’un accord. «Un nouveau testament», a-t-il même lâché, pour signifier qu’il s’agissait d’une sorte de second accord de coalition, venant s’adjoindre à celui conclu en début d’année.
Les principales mesures résultant de cet assainissement du budget défendu par Bart De Wever sont connues. Parmi les plus commentées, on notera un gel de l’indexation, en 2026 et en 2028, au-delà de 4.000 euros brut pour les salaires et de 2.000 euros brut pour les allocations, l’instauration surprise d’un parquet national financier et de mesures de lutte contre les fraudes sociale et fiscale, un doublement de la taxe sur les comptes-titres, sans oublier la volonté de retour à l’emploi de 100.000 malades de longue durée sur un total de l’ordre de 526.000, à l’horizon 2029. Cela n’aura échappé à personne: l’Arizona n’a finalement pas touché aux taux de TVA en tant que tels, mais a procédé à quelques adaptations «sans toucher au prix du caddie». Quelques modifications d’accises sont aussi annoncées, dont celles sur le gaz naturel qui augmenteront et celles sur l’électricité qui baisseront.
Budget: Bart De Wever et l’Arizona sauvés
Au petit jeu qui consiste à savoir qui tire son épingle du jeu, on ne pourra s’empêcher d’observer que les principaux intéressés, Bart De Wever et ses ministres, ont potentiellement sauvé leur peau. C’est que face à la difficulté de conclure et à la suite du rendez-vous manqué de la déclaration d’octobre, la menace d’une chute du gouvernement, avec la perspective d’élections anticipées, avait carrément été évoquée, par le Premier ministre lui-même. Après un étonnant passage chez le roi, Noël avait été fixé comme échéance fatidique, finalement devancée d’un mois. Bien que tardive, c’est une forme de réussite en soi.
L’accord budgétaire ressemble à un bon vieux compromis, dans lequel chacun des membres de la coalition peut, dans sa communication, se satisfaire d’avancées, mais reconnaître des concessions. C’est notamment le cas du MR et de Vooruit, considérés à tort ou à raison comme les plus rétifs ces dernières semaines.
«On a assisté à une forme de négociation classique pour un gouvernement de coalition.»
Cette dimension de compromis est aussi ce qui déçoit un peu, sans doute. La coalition fédérale a certes enclenché des réformes à l’impact majeur (allocations de chômage, pensions), mais doit se satisfaire ici d’un budget pluriannuel, certes, mais qui se fonde sur un subtil équilibre politique. «Le fait d’y être arrivé est positif, mais il est dommage d’observer à nouveau ce pointillisme, sans grande réforme enthousiasmante, en mesure de rebattre les cartes. Bart De Wever s’est présenté comme l’homme des grandes réformes, mais ce n’est pas le cas ici», observe l’économiste Etienne de Callataÿ (Orcadia Asset Management).
«Finalement, on a assisté à une forme de négociation classique pour un gouvernement de coalition à la belge. Une séquence de négociations qui a fait apparaître les divergences, suivie d’une séquence de dramatisation intense, pour finalement aboutir à un compromis», analyse aussi Damien Piron, chargé de cours en administration et finances publiques à l’ULiège.
Ce catalogue de mesures éparses, dans le budget conclu par Bart De Wever, ressemble à un refrain connu, y compris dans l’équilibre entre recettes et dépenses. «On parlait d’à peine 10% de nouvelles recettes au moment de l’accord de gouvernement. Or, cette fois, la balance entre les diminutions de dépenses et les nouvelles recettes est plutôt de 60/40, ce qui est aussi plus classique», ajoute Damien Piron.

Gagnantes, les finances publiques?
Même tardif, l’accord survenu lundi permet au gouvernement de finaliser son accord de l’été (réforme des pensions, taxe sur les plus-values, flexibilisation du travail) tout en se dotant d’un assainissement pluriannuel. L’effort vient s’ajouter à la cure de 23 milliards annoncée lors de l’accord de gouvernement en début d’année. Il se chiffrera à 2,15 milliards d’euros l’an prochain, puis 4,05 milliards en 2027, 4,75 milliards en 2028 pour atteindre 9,2 milliards en 2029, année de fin de la législature.
On est relativement éloigné des 16 milliards, voire des 20 milliards d’efforts supplémentaires un temps évoqués par des membres de la coalition. L’assainissement permet de respecter les exigences européennes, donc un déficit qui correspondra à 4,2% du PIB en 2029. A politique inchangée, ce chiffre aurait été de 5,5%. Le résultat, a contrario, demeure éloigné des 3% en principe visés par le gouvernement, mais qui paraissent inatteignables compte tenu des engagements pris dans les dépenses de la défense. Avec son budget, Bart De Wever, une fois encore, se situe dans le registre du compromis, de l’équilibre pragmatique.
«On peut considérer que c’est un round qui fait suite à de premières discussions budgétaires et qui en appelle d’autres, vu les objectifs et les obligations européennes. Le match va se rejouer à intervalles périodiques, raison pour laquelle il est important de porter un regard cumulatif sur ce qui se décide lors des conclaves successifs», cadre encore Damien Piron, confirmant cette idée selon laquelle l’exécutif est rentré dans le rang, mais n’en a pas fini avec les assainissements.
C’est d’autant plus vrai, ajoute-t-il, qu’un exercice budgétaire comporte par définition son lot de conjectures. L’Arizona a même décidé d’une nouvelle ventilation dans le temps de sa réforme fiscale. Certains volets de cette réforme sont avancés d’une année, notamment pour soutenir les plus bas salaires. Mais le gouvernement vient aussi de repousser un milliard d’euros de rehaussement de la quotité exemptée d’impôt prévu en 2029 à 2030, soit à charge du gouvernement suivant. Dans de telles conditions, la réforme pourra-t-elle être parachevée?
Lors de l’accord de gouvernement, l’Arizona avait été épinglée par l’opposition et quantité d’experts sur le caractère très optimiste des effets retour escomptés par une remise à l’emploi massive. Les proportions sont moindres cette fois, mais une part d’incertitude demeure forcément. Il s’agit notamment de la remise au travail des malades de longue durée. Le gouvernement mise sur 1,93 milliard d’euros imputable à cette mesure à l’horizon 2029. «Le budget est fait de choix politiques. Ici, on les identifie. Mais de là à voir tous les effets attendus se concrétiser, il y a une marge», fait remarquer Damien Piron.
Trop optimiste, le budget de De Wever?
Une observation similaire peut être établie dans le registre de la lutte contre la fraude sociale et fiscale (472 millions de recettes en 2029) ou de la création d’un parquet national financier (175 millions). «Je ne sais pas si c’est trop optimiste, mais la mise en œuvre soulève une série de questions.» Recrutement massif, formation des inspecteurs, moyens réels, succès engrangés ou non, teneur des lois et arrêtés d’exécution: des interrogations demeurent sur les recettes futures que pourra apporter ce budget obtenu par Bart De Wever.
Cela peut encore être interprété comme une dimension très classique, en politique belge, d’un accord budgétaire comme celui-ci. Il lui suffit d’être dévoilé pour que différents observateurs et la majeure partie de l’opposition politique, à droite comme à gauche, en tirent une conclusion: c’est la classe moyenne qui va trinquer. L’emploi de la notion de classe moyenne a ses limites, puisque personne ne s’entend sur une définition précise. En sous-texte, on devine en général qu’il s’agit des personnes déjà mises à contribution par ailleurs. Les gens qui bossent et qui cotisent beaucoup, en quelque sorte.
En l’occurrence, une série d’augmentations de taxes et d’accises, en matière énergétique mais aussi dans le secteur Horeca ou du loisir conforte cette idée d’une classe moyenne affectée. Mais surtout, le plafonnement de l’indexation à partir de 4.000 euros brut (soit environ la moitié des salariés) et de 2.000 euros brut d’allocations (soit une bonne part des pensionnés) devrait toucher directement cette fameuse «classe moyenne».
«Depuis l’entrée en fonction du gouvernement, on entend cette idée selon laquelle le travail doit rapporter plus, qu’on le valorisera, etc. Evidemment, les réformes précédentes vont dans cette direction. Mais cette fois, quelques mesures vont plutôt dans l’autre sens», note le politologue Dave Sinardet (VUB et UCLouvain Saint-Louis Bruxelles). C’est comme si la coalition avait dû faire une croix, ne serait-ce qu’un peu, sur son mantra du travailleur récompensé –et ses corollaires du profiteur sanctionné et des dépenses rabotées. On ne fera pas d’assainissement sans mettre la classe moyenne à contribution, donc. Lors de la présentation de ce budget, Bart De Wever ne disait pas autre chose en admettant que chacun les sentira un peu, les effets de cet assainissement. Cela passera aussi par une entaille dans l’indexation automatique des salaires.
«Oui, la classe moyenne est mise à contribution, mais il n’y a pas moyen de ne pas le faire.»
En fait, selon Etienne de Callataÿ, «c’est très simple. Oui, la classe moyenne est mise à contribution, mais il n’y a pas moyen de ne pas le faire. Malheureusement, il n’y a pas suffisamment de gens très riches, que l’on pourrait suffisamment taxer pour ne pouvoir se reposer que sur la contribution des plus nantis.» Voilà, selon l’économiste, l’imparable réalité belge à laquelle a été confrontée le gouvernement fédéral. Cela étant, les grilles de lecture peuvent diverger, selon que l’on interprète la décision comme une préservation de l’essentiel de l’indexation ou comme une attaque en règle contre le mécanisme.
En revanche, estime-t-il, indépendamment des mesures précédemment décidées par l’Arizona, «les personnes moins nanties ont, semble-t-il, été plutôt préservées, ce qui est à mettre au crédit du gouvernement». De façon un peu contre-intuitive peut-être, d’autres mesures pourraient même bénéficier aux personnes moins richement dotées. «Je pense aux quelques augmentations de TVA, qui seront reportées dans l’indice et qui seront davantage supportées par les employeurs que par les travailleurs. Les moins fortunés ne sont pas nécessairement les plus concernés par les secteurs touchés, comme l’Horeca, mais verront l’indexation de leur allocation ou de leur salaire augmenter à terme.»

Face au budget De Wever, le catalogue des mécontents
Pour le reste, et c’est encore la marque de fabrique d’un budget tout ce qu’il y a de plus classique en Belgique, l’accord a donné lieu à une série d’expressions de mécontentement.
Pour la petite histoire, on notera que la droite (extrême) flamande voit dans l’augmentation des accises sur le gaz naturel une mesure «antiflamande», dès lors qu’on se chauffe plus au gaz naturel au nord qu’au sud du pays. Ce serait oublier que les accises sur le mazout grimpent aussi, dans le budget De Wever. Soit. L’Horeca et d’autres secteurs professionnels touchés par les hausses de TVA peuvent légitimement exprimer des craintes. Les entreprises qui ne sont pas en mesure de rémunérer plus confortablement leurs salariés sont aussi celles qui devront assumer la totalité de l’indexation en 2026 et 2028. Le secteur de l’e-commerce voit d’un bon œil l’instauration d’une taxe de deux euros sur les colis venant de l’extérieur de l’Union européenne, mais exprime d’autres réserves. Le secteur des assurances regrette quelques hausses de taxes. Les investisseurs et entrepreneurs y trouvent aussi à redire.
Une partie de la gauche déplore que les épaules vraiment les plus larges soient épargnées. Une partie de la droite dénonce l’instauration de taxes nouvelles. Les applaudissements mitigés et les remontrances proviennent d’un peu partout, ce qui fait de cet accord budgétaire décroché au bout de la nuit un spécimen classiquement belge.