Theo Francken et Georges-Louis Bouchez ont réussi à susciter des polémiques qui les ont rendus populaires, notamment sur les questions liées à l’immigration, à l’Islam et au voile, et à la limitation des allocations. © BELGA

C’est ici que vous aurez lu pour la première fois ce qui va suivre: voici les prochaines polémiques politiques

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Après la fin du «chômage à vie», les visites domiciliaires ou les prisons à l’étranger où enfermer les sans-papiers, quelles propositions polémiques pourraient bien animer les prochaines campagnes? Le Vif en a identifié quatre, dont l’interdiction du voile dans l’espace public.

Préparez les ciseaux ou les captures d’écran les moins périssables, parce que c’est ici que vous aurez lu pour la première fois ce qui va suivre. D’ici la campagne de 2029 dans le scénario le plus rapide, ou d’ici celle de 2034 en cas d’improbable ralentissement des mécaniques de mise à l’agenda, les quatre propositions qui suivent animeront le débat public au profit de celui qui les aura lancées en premier, pour peu qu’il parvienne à se positionner comme l’initiateur de ces mesures.

Une partie du jeu politique consiste à rendre populaires les idées impensables pour pouvoir les mettre en œuvre.

Comment? En élargissant ce que les politistes appellent la «fenêtre d’Overton», du nom du politologue américain qui l’a dessinée. Son cadre contient l’ensemble des idées discutées dans la conversation publique, des impensables vers les populaires. Une partie du jeu politique consiste, pour les acteurs du débat public, à rendre populaires les idées impensables afin d’arriver en position de pouvoir les mettre en œuvre. Avant, on appelait ces tentatives d’élargissement de la fenêtre d’Overton des « ballons d’essai ». En Belgique francophone et en Flandre, la victoire des partis de droite a été interprétée par plusieurs analystes comme le résultat de l’agrandissement, vers la droite, du châssis des idées en discussion.

Sur l’immigration spécialement, les célèbres 70 points du Vlaams Blok, publiés en 1992 et révisés en 1996 après une condamnation unanime de tous les autres partis siégeant au parlement flamand, sont représentatifs de cette évolution. Fortement médiatisés, ils ont d’abord contribué à l’interdiction du parti en 2004 par la cour d’appel de Gand, et le Vlaams Blok a dû se transformer en Vlaams Belang. Mais ils ont ensuite servi de source d’inspiration aux partis de la droite démocratique, qui ont pu allègrement y puiser au fil de l’évolution des termes du débat. Au point que la «politique migratoire la plus stricte de l’histoire de Belgique» fièrement revendiquée par l’Arizona, et plaisamment réceptionnée par l’opinion publique, peut être considérée, y compris par le Vlaams Belang lui-même, comme une célébration même pas posthume du programme en 70 points.

L’exemple des visites domiciliaires chez les personnes susceptibles d’héberger des migrants ayant reçu un ordre de quitter le territoire, impossibles sous Charles Michel, évidentes sous Bart De Wever, alors que les partis qui composent le gouvernement du second sont moins à droite que ceux qui comptaient dans la coalition du premier, est un similaire hommage à la clairvoyance de Joseph Overton. Theo Francken (N-VA), qui avait qualifié le Vlaams Belang de «canari dans la mine» sur l’immigration, secrétaire d’Etat à l’Asile et la Migration (un département dont la création était un des 70 points impensables en 1996, rentables une décennie plus tard) de Charles Michel, n’avait pas pu les mettre en œuvre en 2018, une fronde interne au MR l’en avait empêché. Anneleen Van Bossuyt (N-VA), ministre de l’Asile et la Migration de Bart De Wever, déposera bientôt ses textes au Parlement, avec le soutien enthousiaste du MR, et leur discussion indisposera surtout l’opposition, qui n’aura rien à gagner et plein de choses à perdre, à s’y opposer.

La mesure est en effet plébiscitée par presque tous les électorats. La «Grande enquête» commandée par la VRT et la RTBF aux universités d’Anvers et de Bruxelles l’a confirmé tout récemment. Respectivement 56% des Bruxellois, 66% des Wallons et 73% des Flamands se disent en effet «plutôt d’accord» ou «tout à fait d’accord» avec l’idée qu’il faille «autoriser la police à entrer de force dans le domicile d’un étranger qui a reçu un ordre de quitter le territoire». Et il n’y a que dans l’électorat écologiste qu’une majorité des sondés wallons de l’enquête s’y opposent: les électeurs du PS et du PTB approuvent aujourd’hui ce que leurs partis avaient durement combattu, comme une partie du MR et tout le CDH, prédécesseur des Engagés, sous la législature suédoise.

La «Grande enquête» mesure ainsi le degré d’acceptation des mesures prises par le gouvernement De Wever, et cette acceptation est élevée parce que les cinq partis associés ont eu l’intelligence de s’approprier des dispositions devenues au fil du temps majoritaires dans les opinions belge et flamande, bref, de s’engouffrer dans la fenêtre ouverte il y a quelques années, souvent par d’autres. La limitation dans le temps des allocations de chômage, l’augmentation des frais administratifs à débourser pour une demande de naturalisation, ou l’incarcération de migrants sans papiers dans une prison à l’étranger (ces deux dernières se trouvant, du reste, parmi les 70 points précités), par exemple, sont fort appréciées dans l’électorat des trois Régions du pays.  

Mais la «Grande enquête» n’a pas encore testé l’acceptabilité des mesures que les élargisseurs de fenêtre d’Overton n’ont pas encore intégrées à un accord de gouvernement, celles qui feront la campagne de 2029 ou celle de 2034.

La fenêtre d’Overton, en Belgique, s’ouvre souvent depuis l’étranger.

Il est relativement aisé de les voir arriver. Soit qu’elles animent déjà les discussions publiques, chez nos voisins, en France ou aux Pays-Bas, ou dans des systèmes politiques très médiatisés chez nous, les Etats-Unis par exemple. La fenêtre d’Overton, en Belgique, s’ouvre souvent depuis l’étranger. Nos controverses et revendications sur l’Islam, l’immigration, les fêtes de Noël, le féminisme, l’audiovisuel public, les transgenres ou l’assistanat ont beaucoup consisté à importer en Belgique des polémiques déjà bien vivantes à l’étranger.

Soit qu’elles aient déjà été formulées. Georges-Louis Bouchez, a tout récemment lancé un débat sur les allocations familiales, qu’il considère comme illégitimes à partir du quatrième enfant. L’idée est parfaite, à l’intersection des thématiques de la migration et de l’assistanat. Elle est promise à un superbe avenir médiatique et politique. Le président du MR est un orfèvre en élargissement de fenêtre d’Overton. Il a commencé à s’élever politiquement avec des ballons d’essai, qui percèrent davantage que les idées qu’il défendait à l’époque, puisque, jeune libéral, il a entamé sa carrière médiatique, donc politique, en prônant le revenu universel à vie, le droit pour les femmes musulmanes de se voiler, la légalisation du cannabis, la globalisation des revenus, la taxation du kérosène ou la sortie du nucléaire.

Il y en a quatre, de mesures, que Le Vif a identifiées, et qui seront portées bientôt par l’un ou l’autre de nos spécialistes en extension de lucarne.

1. La fin du revenu d’intégration à vie

Pourquoi ça ne peut qu’arriver: parce que les différentes prestations sociales ont été limitées dans le temps. Le «chômage à vie» a été supprimé, sous les vivats des électorats, par l’Arizona. Le gouvernement wallon MR-Les Engagés veut, dit sa Déclaration de politique régionale (DPR) «rompre avec la politique actuelle du logement social à vie et de la conservation du logement par des cohabitants n’ayant pas signé le bail». Il ne reste à peu près plus que la pension de retraite et le revenu d’intégration sociale (RIS) qui soient attribués pour toujours. Et comme la première est objectivement difficile à limiter dans le temps si on ne veut pas avoir l’air trop bête, surtout si l’objectif est d’en activer le bénéficiaire…

Pourquoi ça va percer: les enquêtes montrent la très forte acceptabilité électorale de toute disposition durcissant l’accès à ce que l’on peut ranger sous le registre de l’assistanat, y compris donc le revenu d’intégration sociale. Et les électeurs que ces sujets motivent distinguent peu l’allocation de chômage, due à un travailleur qui a versé des cotisations, du RIS, dû à toute personne qui en fait la demande à la seule condition d’en avoir besoin pour vivre.

2. L’interdiction du voile dans l’espace public

Pourquoi ça ne peut qu’arriver: parce que l’ancien Premier ministre français Gabriel Attal a eu assez de flair pour le proposer, du moins pour les mineures de moins de 15 ans, la semaine dernière, et qu’il n’y a pas de raison qu’à Bruxelles, on ne se saisisse pas de cette initiative parisienne. Philippe Knaepen, ancien député régional MR avait lancé le débat en 2015 pour tous les signes convictionnels (voile, kippa, croix), avant de se faire sévèrement reprendre par son président de parti de l’époque, Olivier Chastel.

Pourquoi ça va percer: pas seulement parce qu’Olivier Chastel n’est plus président du MR, mais parce que la «Grande enquête» a confirmé que, sur les questions dites «culturelles», les électorats du MR et de la N-VA sont plus à droite que leur parti. Celui qui relancera cette idée gagnera donc, parmi les siens, un enthousiaste soutien.

3. L’interdiction de la circoncision non médicale

Pourquoi ça ne peut qu’arriver: parce que la nouvelle présidente de la N-VA, Valérie Van Peel, avait déjà déposé une proposition de loi en 2020 visant à interdire le remboursement par la sécurité sociale des circoncisions non médicales, c’est-à-dire surtout les circoncisions rituelles.

Pourquoi ça va percer: pour les mêmes raisons que la mesure précédente. Aucun électeur de 2025 ne reprochera à l’ouvreur de fenêtre d’Overton de l’avoir ouverte plus fort que la N-VA de 2020.  

4. Le retrait du permis de séjour en Belgique à tout étranger qui ne vit que d’allocations

Pourquoi ça ne peut qu’arriver: parce que l’accord de gouvernement fédéral prévoit déjà que «les futurs primo-arrivants devront désormais attendre cinq ans avant d’avoir droit à l’aide sociale», mais que les limitations dans le temps d’une aide sociale, ou de sa privation, ne sont pas dans l’esprit de l’époque.

Pourquoi ça va percer: parce que cette proposition se trouve à l’angle le plus fructueux du cadre d’Overton, entre l’assistanat et l’immigration. Et dans les 70 points de 1992 et 1996.

Alors, on ne parle pas de la peine de mort, pas encore. Mais dites-vous déjà que ces quatre-là, vous les aurez lues ici en premier.

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