Parmi les mesures que le gouvernement souhaite présenter au parlement avant les vacances figure la réforme du travail, et particulièrement la suppression des primes pour les heures prestées avant minuit. La mesure est contestée, Le Vif la décrypte.
Il n’était «que» 23 heures quand une délégation de la CNE s’est pointée ce jeudi soir devant le domicile d’Yvan Verougstraete afin de «réveiller Les Engagés pour mettre fin aux mesures antisociales de l’Arizona dont le travail de nuit qui va bousiller nos vies privées». Les syndicalistes verts auraient pu déclarer cette action comme une prestation professionnelle –ce qui n’est pas le cas–, ils auraient alors perçu une majoration de leur salaire allant parfois jusqu’à 40%, en fonction de ce qui est défini par la convention collective de travail. Mais plus pour longtemps: l’Arizona compte en effet redéfinir la nuit, qui commencera à minuit (et non plus 20 heures) et finira à cinq heures (au lieu de six heures). Réuni la nuit dernière, le kern a inclus la mesure dans un package qui devrait être présenté au parlement jeudi prochain, confirme le cabinet Clarinval.
Du travail de nuit pour tout le monde
Il faut d’abord savoir que, pour l’heure et depuis 1921, n’importe qui ne peut pas travailler de nuit. Seuls dix pour cent des travailleurs belges sont concernés par une exception dans certains domaines où cela s’avère nécessaire comme la santé, l’aide sociale, le gardiennage. Les plans de l’Arizona consistent à faire tomber l’interdiction afin de stimuler le travail de nuit dans l’ensemble des secteurs, histoire de moderniser le marché du travail.
Comment s’y prendre ? «En supprimant l’interdiction légale (là où elle existe) et en individualisant la relation de travail, dénonce Jean-François Libotte, juriste à la CNE. Actuellement, la loi interdit d’occuper des travailleurs à partir de 20h dans certains secteurs, dans les magasins par exemple, pour protéger leur vie privée et familiale et leur santé. Et là où le travail de nuit est autorisé, les travailleurs qui s’opposeraient à son instauration ou qui voudraient négocier des mesures d’encadrement et de compensation (horaires faisables, primes, volontariat, contrats de travail de qualité, etc.) disposent d’un verrou collectif, via le règlement de travail ou une convention collective.» L’employeur ne serait désormais plus obligé de passer par le règlement de travail ou par une convention collective et pourrait négocier chaque horaire avec son travailleur, compromettant le rapport de force en place.
Des primes seulement pour les anciens
Pour le secteur du commerce et de la distribution, le syndicat prévoit que la suppression des primes versées pour les quatre heures de travail avant minuit, ainsi qu’entre cinq et six heures, coûteront entre 342 et 615 euros brut par mois. On parle donc ici des travailleurs relevant de la commission paritaire auxiliaire pour ouvriers, du commerce alimentaire, du transport et de la logistique, du commerce de détail indépendant, des employés du commerce de détail alimentaire (notamment). «Et parmi les travailleurs de nuit ont qui un emploi du temps coupé, soit deux heures par-ci et puis deux heures par-là, on retrouve une majorité de mamans solo, dénonce le Secrétaire Général de la CNE, Felipe Van Keirsbilck. L’explication derrière cela, c’est que lorsque deux salaires abreuvent un foyer, on peut se permettre de refuser des conditions de travail trop complexes. Quand on est seul, on prend ce qu’il y a.»
Initialement, l’accord de gouvernement prévoit que «les primes existantes pour les prestations de nuit, telles que définies dans les conventions collectives de travail (CCT) de divers secteurs et entreprises, continueront de s’appliquer», ce qui permet notamment à David Clarinval (MR), ministre de l’Emploi, d’affirmer que «personne ne perdra un euro». Tout cela est partiellement vrai. Les primes existantes et déjà en application demeureront, mais il n’en sera pas (nécessairement) de même une fois la mesure entrée en vigueur, soit le 1er janvier 2026. «C’est une manière de faire passer la pilule en cassant la solidarité, estime Jean-François Libotte. Si l’on supprimait les primes des travailleurs déjà en service, dans la logistique ou le commerce alimentaire, tout le monde partirait en grève.»