Faute de budget, Bart De Wever a reporté sa déclaration d’octobre devant la Chambre. Elio Di Rupo et Charles Michel non plus n’avaient pas pu respecter le traditionnel délai du deuxième mardi d’octobre.
Un Premier ministre ne devrait jamais dire ça. Le lundi 13 octobre, comme on s’y attendait, Bart De Wever a appris à la Belgique que ses ministres et lui n’avaient pas encore pu s’entendre sur la confection du budget 2026. Il lui faut donc reporter sa déclaration de rentrée à la Chambre, prévue le lendemain. Ce report, de quelques jours selon son pronostic, est un échec pour Bart De Wever, bien sûr.
Le Premier ministre d’un gouvernement fluide devrait en effet toujours se présenter devant les députés, le deuxième mardi d’octobre, avec, sous le bras, un accord budgétaire: dans le verbe, un programme législatif pour la session qui s’ouvre, et dans les gestes, un vote de confiance, réitéré chaque année par la majorité après un ou deux jours de débat avec l’opposition.
Cette dernière, évidemment, s’est énervée contre le report, mardi, sur le coup de 14h15. L’opposition l’a attribué cumulativement au proverbial irrespect du Premier nationaliste pour les institutions du royaume, comme l’a fait François De Smet (DéFI), et à sa méthode défaillante, comme l’a fait Sarah Schlitz (Ecolo) parmi d’autres. Une Déclaration de politique fédérale déployant des dispositifs d’une austérité crâne, le jour où plus de 100.000 personnes en colère manifestaient à Bruxelles contre l’austérité, aurait pu paraître inopportune. Et Sofie Merckx (PTB) l’a fait remarquer. Mais c’est surtout parce que cette image d’un exécutif désuni, incapable de s’arranger avant l’état de l’union, dégrade l’impression de leadership de Bart De Wever que ce deuxième mardi d’octobre 2025 est pour lui un couac politique. Il haussera les épaules, bien sûr. Mais qu’il se rassure, s’il le veut: Bart De Wever n’est pas le premier Premier à défaillir. Des couacs, il y en eut, chez ses prédécesseurs, des reports aussi, comme des fautes de goût, depuis l’invention de cette tradition du State of the Union. Tant pis pour Pierre-Yves Dermagne, le chef de groupe PS, qui, ce 14 octobre, a qualifié erronément ce retard «d’inédit».
Jean-Luc Dehaene en premier Premier
Cette invention de la déclaration d’octobre, la Belgique la doit à Charles-Ferdinand Nothomb (PSC), président de la Chambre des représentants pendant le premier gouvernement Dehaene (CVP-PSC-PS-SP, 1991-1995). Même si la déclaration d’octobre commença par se dire en septembre. Escamotant le prescrit constitutionnel qui proclame que «les Chambres se réunissent de plein droit, chaque année, le deuxième mardi d’octobre, à moins qu’elles n’aient été réunies antérieurement par le roi», Charles-Ferdinand Nothomb obtient un accord pour, d’abord, anticiper la rentrée parlementaire à la troisième semaine de septembre. Et surtout, ensuite, pour que le Premier vienne y exposer les conclusions du «conclave budgétaire de l’été», qu’il y fasse une déclaration de politique dite «fédérale», et qu’il demande la confiance.
L’idée de l’époque était de «libérer le Parlement», encore assez strictement bicaméral, «de l’emprise des partis et du gouvernement». Pourtant, ce mercredi 23 septembre 1993, lors du débat sur la confiance à la Chambre (le Sénat suivait le lendemain), l’opposition se plaint déjà que le Parlement n’aura rien à dire sur le Plan global, un énorme assainissement budgétaire avec des baisses de cotisations pour créer de l’emploi, que Jean-Luc Dehaene (CVP), premier Premier inaugurant de la sorte la session parlementaire, avait précisé la veille, et qu’il allait mettre en œuvre avec ses partenaires socialistes, à la grande colère des syndicats. Rien à voir avec l’ambition actuelle de notre dernier Premier, qui doit mettre en œuvre «le plus gros assainissement budgétaire du siècle» avec des baisses de cotisations pour créer de l’emploi à la très grande colère des syndicats, et avec un partenaire socialiste.
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Le Premier ministre d’un gouvernement fluide devrait toujours se présenter devant les députés le deuxième mardi d’octobre.
Guy Verhofstadt en Premier préparé
Il n’était pas Premier mais il voulait être le prochain. Alors Guy Verhofstadt (Open VLD), en chef de l’opposition, a passé chaque deuxième mardi d’octobre jusqu’à 1999 loin de la rue de la Loi. Entre Hasselt et Courtrai, il invitait camarades et journalistes à recevoir sa propre Déclaration de politique fédérale. Au sempiternel programme de l’ambitieux Gantois: des réductions de cotisations massives, pour créer de l’emploi. Effet retour médiatique garanti, fiscalement moins assuré, et formation idéale pour les rentrées suivantes.
Elio Di Rupo en Premier lent
Les années Dehaene virent le déplacement progressif de la déclaration d’octobre vers le mois éponyme. Et toujours le Premier vilvordois offrait un accord budgétaire, avec des réductions de cotisations pour créer de l’emploi, aux députés et aux sénateurs réunis. Son successeur Guy Verhofstadt (1999-2008) rentra lui aussi toujours dans les temps, mais avec des sessions de négociations de plus en plus longues, donc ardues, et toujours plus nocturnes: sa dernière déclaration, en 2006, se boucla le matin du crucial mardi. Dans la nuit du dimanche au lundi 7 octobre 2002, le vice-Premier MR Louis Michel craque. A 3h30 du matin, perclus de «douleurs au ventre», selon Le Soir, il se rend aux urgences des cliniques Saint-Luc, où il restera plusieurs jours. Mais la conférence de presse du lundi à 13 heures se tint, et le State of the Union du mardi itou. Le premier Premier à dépasser le délai du deuxième mardi sera le socialiste Elio Di Rupo, qui réussit l’exploit de ne jamais faire sa déclaration d’octobre au moment constitutionnellement consacré, avec cinq semaines en 2012, où il ne s’exprima que le 21 novembre, et de quelques jours en 2013. Charles Michel lui non plus, en 2016, n’accorda pas sa suédoise à temps sur la meilleure manière de réduire les cotisations pour créer de l’emploi, et demanda la confiance dix jours après le mardi constitutionnel.
Une déclaration d’austérité aurait été inopportune le jour où 100.000 personnes manifestaient à Bruxelles.
Jean-Luc Dehaene en Premier doubleur
Le Premier de la classe, toutefois, dut rentrer deux fois la même semaine, les mardi 3 et jeudi 5 octobre 1995. Les discussions sur le budget étaient terminées pour le mardi fatidique, mais pas encore le texte de son Etat de l’union. Il présenta donc son budget le mardi matin au Parlement, qui incluait des réductions de cotisations pour créer de l’emploi, et prononça sa Déclaration de politique fédérale qu’il n’avait pas déclamée l’avant-veille mais qui contenait des réductions de cotisations pour créer de l’emploi, le jeudi. «A l’avenir, il serait même souhaitable de faire coïncider constitutionnellement la Déclaration gouvernementale générale avec l’ouverture de l’année parlementaire», augurait-il vainement, alors qu’il était en train de fignoler une de ces réformes de l’Etat dont il avait le secret.
Charles Michel en Premier copieur
«Jobs, jobs, jobs», fut le ternaire mantra de Charles Michel et de sa suédoise, encore répété, par exemple, dans son State of the Union du 10 octobre 2017, qui se félicitait des dernières réductions de cotisations pour créer de l’emploi, et qui se réjouissait des prochaines. Mais le premier jobiste trinitaire, à son poste, était Guy Verhofstadt. Le mardi 14 octobre 2003, il lance sa déclaration d’octobre avec «L’emploi, l’emploi, l’emploi!», avant d’expliquer comment ses réductions de cotisations allaient créer de l’emploi. Charles Michel, à ce moment, n’était pas au gouvernement fédéral, il n’était encore que ministre wallon, mais les trois trucs ont certainement dû lui traîner dans l’oreille.
Jean-Luc Dehaene en Premier inadéquat
Fin de l’été terrible de 1996, dans un contexte de «fort antipolitisme», écrivait Le Soir, le Parlement avait avancé d’une semaine sa rentrée pourtant déjà avancée elle-même à fin septembre depuis 1993. Face à une nation traumatisée par l’affaire Dutroux, il le fallait, car «des rentrées exceptionnelles n’ont été organisées qu’après la mort du roi Baudouin, une opération de dévaluation du franc ou au moment de l’indépendance de l’actuel Zaïre», observait Le Soir de l’époque. Mais là Jean-Luc Dehaene, qui ne présenterait son budget, qui réduisait les cotisations pour créer de l’emploi, que sept jours plus tard, et son ministre de la Justice, Stefaan De Clerck, ne brillèrent pas, ce jeudi 19 septembre 1996, par leur empathie. Le Premier observant que «plusieurs problèmes brutalement révélés étaient déjà reconnus», et le second d’espérer, s’adressant aux parents des victimes, que «nous ne faillirons pas à leur égard comme nous l’avons fait, pour une part, à l’égard de leurs enfants». Il démissionnait piteusement peu après l’évasion de Marc Dutroux.
Guy Verhofstadt en Premier énervant
Mardi 9 octobre 2001. Guy Verhofstadt traverse la salle de lecture de la Chambre, et s’installe à la tribune du Sénat, où il lit la déclaration qui lui a valu, dans le premier hémicycle, les applaudissements de sa majorité arc-en-ciel. Dedans, une ligne, sur sa volonté, non validée par les partenaires, de fusionner les deux assemblées. Les sénateurs écologistes, dans la majorité, quittent la séance, ceux du CD&V aussi, mais ils sont dans l’opposition. Le président MR de la haute assemblée, Armand De Decker, s’énerve contre le Premier, et c’est du jamais-vu. «Je regrette très profondément que vous ayez entamé ce débat sans concertation, sans débat au sein des partis, alors que cela ne faisait pas partie de la déclaration du gouvernement», dit-il. Même les baisses de cotisations pour créer de l’emploi ne le rassérènent pas.
Herman Van Rompuy en Premier visionnaire
Bref Premier en remplacement du CD&V Yves Leterme , Herman Van Rompuy prononça une seule déclaration d’octobre, en 2009. Il y brilla par son flair, puisqu’il n’évoqua ni l’arrondissement de Bruxelles-Hal-Vilvorde ni aucun dossier communautaire, et enchaînait son exécutif à un slogan, la «solidité tranquille». Six semaines plus tard, il le quittait, ce gouvernement, pour devenir président du Conseil européen. Et six mois plus tard, il sautait, ce gouvernement, qu’Yves Leterme dirigeait, sur l’arrondissement de Bruxelles-Hal-Vilvorde. Tranquille et solide.