Catherine Moureaux célèbre sa victoire aux élections communales de 2018, six après que son père ne perde l’écharpe mayorale. BELGA PHOTO HATIM KAGHAT © BELGA

Au PS, la fin de la dynastie Moureaux? «Il y a un côté romanesque, dans cette histoire»

Sylvain Anciaux

A Molenbeek, Catherine Moureaux et le PS vont mal. Absente depuis février, la bourgmestre socialiste encaisse plusieurs années de batailles sur trois fronts différents. L’absence de celle qui se revendique marxiste marque le déclin progressif du «clan Moureaux».

Il y a des regards qui en disent long. Appuyée contre une colonne du Centre Communautaire Maritime, où se tenaient jadis les conseils communaux molenbeekois, Catherine Moureaux observe, silencieuse, son collège échevinal débattre avec une opposition ardue. La scène se déroule au début de l’été 2023. A cette époque, la bourgmestre socialiste doute. Entre la droitisation du champ politique et la montée en puissance du PTB, les choses pourraient bien ne pas tourner en sa faveur. Ce soir-là, l’assemblée parle du calibrage de certains dos d’ânes, du budget de l’administration ou de la réglementation de l’affichage électoral. Catherine Moureaux regarde ailleurs. «La campagne a déjà commencé», chuchote-t-elle avant de regagner sa place de présidente du conseil.

Deux ans plus tard, le bilan est mi-figue, mi-raisin. L’énigmatique femme politique a gardé le mayorat malgré la perte de cinq sièges pour son parti. A la tête d’une coalition inédite reprenant notamment le PTB, Catherine Moureaux s’est retirée du pouvoir depuis février pour des raisons de santé. Son retour est attendu pour l’été, dans une section PS en chantier et mise sous tutelle suite à la nomination polémique d’un échevin. Celle qui fût médecin autrefois doit soigner le mal qui gangrène «son» PS, au risque d’être exclue du parti, et de faire tomber le rideau sur une dynastie politique spéciale, construite à l’horizontale comme à la verticale.

Philippe Moureaux, le forgeur de destin

La destinée politique de la famille Moureaux était initialement plutôt libérale. Charles, père de Philippe et grand-père de Catherine, a déjà empilé quelques mandats locaux quand il devient ministre de l’Instruction publique, en 1958. Il est marié à Madeleine Blaton, du nom de ceux qui sont surnommés les «barons du béton». Serge, l’aîné, confirme la lignée en endossant la robe d’avocat dans de grandes affaires, et siège comme sénateur pour le FDF ainsi que comme échevin bruxellois. Il rejoindra le PS bien plus tard.

Philippe Moureaux, fils de Charles, père de Catherine, frère de Serge, mari de Françoise. Notamment. © BELGA

C’est le fils cadet, Philippe, qui amorce le transfuge et lie une forte relation avec André Cools (PSB), vice-Premier ministre, en 1972. Sa femme, l’influente socialiste et future ministre de l’Enseignement supérieur Françoise Dupuis, donnera naissance à Catherine en 1978. Philippe gardera son poste durant plusieurs législatures, et c’est là qu’il forgera un réseau tentaculaire au sein du PS pour, huit ans plus tard, devenir ministre de l’Intérieur (pour cinq mois) avant d’être nommé à la justice où il accouchera de la fameuse loi contre le racisme qui porte son nom, en 1981. Malgré des propos polémiques sur les proportions de Pakistanais et Roumains au CPAS de Molenbeek et sur le droit de vote des non-belges, une campagne placée sous le thème du «stop à l’immigration», «la signature de Philippe Moureaux reste l’ouverture à la communauté maghrébine», précise un fin observateur du PS. Durant ses 20 années à la tête de Molenbeek (1992 -2012), Moureaux change, comprend, et écrit le destin du PS molenbeekois en ouvrant ses listes à un certain Mohamed Daïf et un Jamal Ikazban pour le scrutin de l’an 2000. Il ne le sait pas encore, mais ce dernier sera le caillou dans la chaussure de sa fille, bien des années plus tard.

Catherine Moureaux, seule face aux paradoxes

Alors que le soir politique de Philippe Moureaux vient, il rapatrie Catherine –à l’époque députée bruxelloise et membre du PS schaerbeekois– à Molenbeek. Sauf que le temps des paradoxes démarre. En interne, son arrivée est validée via un vote à main levée, devant le père, ce qui n’est pas l’apanage du parti et suscite des tensions. «Finalement, elle gagnera les élections de 2018 d’une manière totalement magistrale, commente un proche de la famille. Il y a une dimension romanesque, dans cette histoire. Son père avait été trahi par Ecolo, qui n’avait pas respecté un accord pré-électoral pour monter avec le MR et le cdH.»

Fraîchement nommée, pas (encore) revancharde, avant-gardiste, elle propose à Ecolo et au PTB de gouverner avec elle, mais les négociations capotent très vite. Elle n’aura pas d’autre choix que de se tourner vers le MR de Françoise Schepmans. «Elle était entourée d’échevins plutôt corrects, observe la libérale qui lui a cédé son poste de bourgmestre. Mais elle devait souvent les recadrer, je dois reconnaître que son père les tenait mieux. Mais il est plus difficile de gérer Molenbeek aujourd’hui qu’il y a 20 ans, d’autant plus quand son entourage politique fait preuve de moins de respect.»

Pas le temps pour les projets

C’est là tout le drame de la carrière politique de Catherine Moureaux: un entourage proche qui la regarde de travers. La Molenbeekoise n’a pas froid aux yeux quand il s’agit de se brouiller avec une bonne relation. Etudiante engagée, elle avait intégré le bureau des étudiants administrateurs de la FEF, et avait prononcé un discours très critique à l’égard de la politique de la ministre sur les numerus clausus, ministre qui n’était autre que sa mère. «Sauf que ses amis des années 2010 sont devenus ses ennemis d’aujourd’hui», résume une personnalité qui l’a vue évoluer sur la scène politique locale. Sur la précédente législature, face à une opposition ultra musclée, un partenaire de coalition (le MR) aux antipodes de ses idées et qui a pu lui donner du fil à retordre, et une section PS qui s’est déchirée petit à petit, «Catherine n’a pas eu l’espace pour sortir des idées politiques en dehors du carcan molenbeekois».

«Quand Di Rupo était Premier ministre, il était aussi critiqué dans sa section montoise, mais il avait un réseau au PS», se souvient un socialiste. A Molenbeek, les colères de Philippe Moureaux étaient acceptées au vu de son poids politique. Catherine n’a pas cherché à entretenir ses réseaux, mais c’est aussi peut-être parce que son père avait le loisir de faire de la politique 20 heures sur 24, ce qui est plus complexe de nos jours.» Faute d’être du bon côté de l’histoire, aussi. En 2019, Catherine Moureaux fait partie du triptyque emmené par Rachid Madrane (et complété par Karine Lalieux) qui affronte Ahmed Laaouej (accompagné de Martin Casier et Isabelle Emmery) à la présidence de l’importante fédération du PS bruxellois. L’issue, extrêmement serrée, a donné la victoire à ses adversaires. «A quelques voix près, son destin aurait pu l’amener à la place d’Ahmed Laaouej aujourd’hui.» Un destin, ça tient à peu de choses.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire