Bart De Wever s’est amusé avec les députés de l’opposition, en commission de la Chambre, le 9 juillet. Il y a encore élargi le registre de ses bonnes blagues.
Son temps est précieux, en cette journée parlementaire du mercredi 9 juillet. Parce qu’il y a une séance plénière qui est organisée en même temps, sur le vote de la loi-programme, et surtout parce qu’il a aussi mille accords à boucler avec ses ministres avant le 21 juillet, Bart De Wever.
Mais il est là, il a l’air qu’il a quand il est là, en commission, l’air de celui qui va y passer une grande partie de la journée. Et il n’a pas toujours le visage de celui qui s’amuse, même s’il ne semble jamais perdre patience. Le matin, il a eu un échange de vues, pendant une heure trente, avec les députés du «comité d’avis fédéral pour les questions européennes», durant lequel il s’agissait de débriefer le dernier conseil européen. Il a surtout parlé de défense là, et il a là plusieurs fois expliqué comment, selon lui, la Belgique ne pouvait pas faire autrement que d’acheter des F35 supplémentaires, parce qu’il n’y a pas d’avion de chasse européen de cinquième génération, que les Européens auraient dû y penser tous ensemble il y a 20 ans, car si on en veut un de la sixième, il faut s’y mettre maintenant, il y a déjà deux projets mais ils sont concurrents, c’est criminel, il faut que les deux s’unissent. Et l’après-midi, entre 14h30 et 16h30, il était censé répondre à 21 questions parlementaires, c’était beaucoup trop et toutes n’ont pas pu être posées, même s’il a largement débordé sur le temps prévu «pour les députés qui sont encore présents». Il était 16h50 quand il a levé le camp, il ne restait que quatre députés Belang, deux de son propre parti, et Philippe Courard (PS).
Les autres, il faut dire, étaient requis à la cruciale plénière simultanée. La dernière fois, c’était le 1er avril et Bart De Wever avait fait des blagues, il s’était un peu moqué et respirait un ennui puissant. Cette fois, le Premier ministre avait sa cravate orange, peut-être orangiste, on ne le saura pas, parce que la vingt-et-unième question, de François De Smet, sur «les déclarations du Premier ministre concernant la scission des Pays-Bas» n’a pas pu être posée. Quand François De Smet est passé, entre deux interventions en plénière, ce n’était pas encore le moment, et il n’était plus là quand le président de la commission a demandé s’il y avait encore des députés qui avaient une question.
« Si on achète des avions de chasse à court terme ce seront des F35. On espère que l’Europe sera capable de développer un modèle de sixième génération d’ici dix ans.»
Et il n’a pas eu l’air de s’énerver de redire plusieurs fois la même chose, parfois aux mêmes parlementaires mais pas toujours. «J’essaie d’être optimiste, ce n’est pas ma nature», dira-t-il en évoquant la politique commerciale de Donald Trump, et c’était valable tout au long de cette journée parlementaire.
Pour commencer, Raoul Hedebouw (PTB), en néerlandais, interroge la hausse des dépenses militaires, l’Otan est déjà à douze fois plus que la Russie, et nous en Belgique, où va-t-on trouver l’argent? Et ces F35, alors? Christophe Lacroix (PS) a dix minutes mais ne les prendra pas toutes, pour demander la même chose. Les deux veulent des clarifications. Bart De Wever a dix minutes, et il répond en se moquant surtout de ceux qui ne sont pas là.
A Raoul Hedebouw, en néerlandais, le Premier ministre répond que la différence avec la Russie ne relève pas d’une question d’argent mais de capacités et d’appareil de production. Il passe ensuite au français pour souligner que, qu’on le veuille ou non, on devra dépenser beaucoup plus en Europe, et évoque, toujours dans la langue de Christophe Lacroix, ses deux précédents présidents. «Monsieur Lacroix, vous avez posé la bonne question: comment les financer? On a été obligé de réaliser les 2% cette année-ci, ce sont les 2% promis en 2014 par Elio Di Rupo au sommet de l’Otan au pays de Galles», commence-t-il, avant de régler ses comptes avec Paul Magnette, qui proposait de saisir les avoirs russes gelés en Belgique. «Votre président de parti m’accusait de ne pas vouloir prendre les avoirs russes, je pense que cela aurait été de la folie, je suis content que vous soyez plus prudent.»
Enfin vient le point F35, il y avait deux bonnes heures que Bart De Wever ne l’avait plus évoqué. «Certains disent de ne plus jamais acheter en Amérique, c’est irréaliste et ce n’est pas souhaitable. Si on achète des avions de chasse à court terme, ce seront des F35, pour plus tard, on espère que l’Europe sera capable de développer un modèle d’avion de chasse de la sixième génération d’ici dix ans. Si on avait voulu acheter un avion européen, on aurait dû commencer à le développer il y a 20 ans.»
Les dix minutes sont écoulées mais il poursuit pendant cinq bonnes minutes, et Raoul Hedebouw répond en deux minutes et en néerlandais qu’on a trois fois plus de tanks que la Russie, Bart De Wever l’interrompt très content de lui, «mais ça c’est si vous comptez sur les Américains alors he he he». Ce à quoi Raoul Hedebouw rétorque «ah non non non je parle juste des pays européens de l’Otan». Christophe Lacroix prend alors la parole pour expliquer que Bart De Wever est historien, «je le suis aussi, vous êtes sans doute beaucoup plus talentueux que moi, mais à l’université de Liège j’ai appris deux grands principes de critique historique, Testis unus, testis nullus (NDLR: témoin unique, témoin nul), et Testes non numerantur, sed ponderantur (NDLR: les témoins ne se comptent pas, mais ils se pèsent.)», ça en impose.
Cette fois, le Premier ministre avait sa cravate orange, peut-être orangiste, on ne le saura pas.
Le député PS rappelle qu’en 2014 au pays de Galles, Elio Di Rupo était en affaires courantes et que c’est au Premier ministre suivant, Charles Michel, de faire le boulot, et il a raison, c’est pour «démystifier l’usage que vous faites des déclarations d’Elio Di Rupo», mais il ne démystifie pas celles de Paul Magnette, parce que là c’est le Premier ministre qui a raison.
Vient alors un débat d’actualité, avec les mêmes, plus Benoît Lutgen (Les Engagés), un jeune député Open VLD qui suit le tijdrit du Tour de France sur son ordinateur, et un député du Vlaams Belang qui avait brandi un drapeau israélien au parlement flamand, sur Gaza et l’accord d’association Israël-Union européenne, que certains veulent résilier compte tenu des violations massives de droits humains auxquelles se livre à Gaza un de ses deux signataires.
Le député du Vlaams Belang qui avait brandi un drapeau israélien dit qu’il aurait mieux valu nommer Georges-Louis Bouchez ministre des Affaires étrangères, «plutôt que le gauchiste» Maxime Prévot, qui «parle d’un génocide à Gaza». Raoul Hedebouw en néerlandais demande jusqu’où Israël pourra-t-il aller avant que l’Europe ne réagisse. Le jeune député VLD qui suit le tijdrit du Tour de France sur son petit ordinateur n’est pas ici pour faire de la sémantique. Benoît Lutgen félicite le ministre Prévot d’avoir fait bouger les lignes au niveau européen parce que l’article 2 de l’accord d’association était bafoué chaque jour par Israël, comme les droits humains, il n’y a aucun doute. Christophe Lacroix estime que la Belgique a un gouvernement de ministres à titre personnel quand il s’agit de condamner Israël, et il demande si la position de Bart De Wever, qui a dit ne pas vouloir revoir l’accord d’association engage celle du gouvernement.
Bart De Wever n’aime pas ça, alors il veut faire la leçon à son collègue historien moins talentueux de l’université de Liège. «Monsieur Lacroix, la liste de mensonges que vous avez racontés était déjà très longue, maintenant vous en avez ajouté un qui était inacceptable: je n’ai jamais dit qu’il ne fallait rien faire sur cet accord d’association, j’ai dit que ça n’aurait pas un impact immédiat sur la situation humanitaire dramatique. Je n’ai jamais dit que personnellement il ne faut rien faire sur ce traité d’association», il répète.
Alors Christophe Lacroix relit son intervention. Il cite la présidente de la commission affaires étrangères, du CD&V, il cite Belga qui a repris les propos du Premier ministre, et demande «mais qui a menti dans cette salle?». Benoît Lutgen acquiesce «mais oui, c’est vrai». Bart De Wever fait semblant de rien, car l’heure tourne et il faut continuer.
Raoul Hedebouw doit encore interroger le Premier sur la mobilisation syndicale du 25 juin. «Everybody wants change, nobody wants to change, beaucoup de gens ne seront pas satisfaits dans l’immédiat, c’est vrai. Mais the wisdom of the crowd, j’y crois, moi je suis un conservateur: la majorité de la population sait que ces réformes sont inévitables, saneren, hervormen, activeren, c’est la seule manière», répond Bart De Wever.
Et Raoul Hedebouw doit encore interroger le Premier sur la taxation des plus-values. Il a introduit quatre questions, ce qui lui donne huit minutes, mais il ne les utilisera pas. «Moi je ne sais que perdre de l’argent, pas le gagner», rigole Bart De Wever, et sur les détails il a une idée, peut-être que le chef de cabinet de Jan Jambon a «une leçon à donner».
Et Raoul Hedebouw doit encore interroger le Premier sur l’indexation des allocations, mais il est bientôt 16h30, «je ne vais pas monopoliser la parole». Le président de la commission donne alors la parole aux députés encore présents, mais il n’y en a déjà presque plus, «je croyais qu’il y aurait plus de collègues, mais tant pis», commente Raoul Hedebouw. «Mais allez come on, come on! Je suis prêt, comme un boxeur», lance Bart De Wever en enlevant ses lunettes. Mais on passe à la question d’une députée N-VA et d’un député Vlaams Belang sur le rapatriement d’Abdelkader Beliraj, puis d’un député N-VA sur les panneaux solaires piratés par la Chine. «J’ai les coordonnées WhatsApp du ministre chinois des Affaires étrangères, on verra quand les prix seront négatifs», répond Bart De Wever.
«J’essaie d’être optimiste, ce n’est pas ma nature.»
Il ne reste presque plus personne et le Premier ministre accepte de rester le temps que les présents posent leur question. On a laissé Philippe Courard (PS) arriver de la plénière, il doit interroger le Premier sur le «marché public de F35 additionnels». «Je ne vais pas être trop long», dit-il, il a trois minutes et termine en à peine cinq minutes. Le Premier De Wever demande s’il n’a pas déjà répondu à ça, en fait il en a déjà parlé trois fois depuis le matin, mais il commence en expliquant qu’il était «d’accord de prolonger la séance puisque j’ai vu que vous aviez attendu patiemment».
Alors, patiemment, il explique que selon lui «la Belgique ne pouvait pas faire autrement que d’acheter des F35 supplémentaires, parce qu’il n’y a pas d’avion de chasse européen de cinquième génération, les Européens auraient dû y penser tous ensemble il y a 20 ans, que si on en veut un de la sixième, il faut s’y mettre maintenant, il y a déjà deux projets mais ils sont concurrents, c’est criminel, il faut que les deux s’unissent». Une intervention qu’il présente comme sa vision personnelle tout en ajoutant qu’elle fait partie de la vision stratégique révisée du gouvernement pour la Défense. «C’est un peu plus que ma vision personnelle, finalement», rectifie-t-il. On rit et la séance est levée sur ce nouvel atout dans la vaste vis comica de Bart De Wever: le comique de répétition.