Frank Vandenbroucke est empêtré dans l’affaire Medista depuis trois ans. Sans conséquence jusqu’ici. © BELGA

Affaire Medista: Frank Vandenbroucke décore une fonctionnaire soupçonnée de conflit d’intérêts… puis rétropédale

Clément Boileau
Clément Boileau Journaliste

Le ministre de la Santé publique a avalisé l’élévation au grade de Commandeur de la Couronne d’une fonctionnaire citée dans une enquête mettant en cause les pratiques du SPF en matière de marchés publics. L’administration a dû lui retirer sa médaille.

Novembre 2024. Alors que la Vivaldi vivait ses dernières semaines, le SPF Santé publique a distingué une flopée de ses fonctionnaires, les élevant au grade d’Officier ou de Commandeur de l’ordre de Léopold ou de la Couronne (entre autres). Une «tradition» qui «s’était un peu perdue et a été relancée avec une grosse vague de «nominations» de 500 personnes (soit un tiers des travailleurs), qui a occupé le service du personnel entre 2020 et 2024», fait aujourd’hui valoir le SPF, ajoutant que «le but de cette entreprise est de promouvoir le bien-être au travail en soulignant les longues carrières effectuées dans l’administration. Les titres évoluent en fonction du type de carrière, de l’âge et de l’ancienneté administrative. Ils ne donnent lieu à aucun avantage professionnel ni financier. Tous les fonctionnaires du SPF présentant les critères d’âge et d’ancienneté requis ont donc été englobés automatiquement dans cette vague de nominations…»

Un nom fait tiquer

Sauf que parmi les seize derniers fonctionnaires à être distingués au cours de cette «vague» de nominations, se trouve un nom cité dans l’affaire Medista, qui actuellement donne lieu à au moins une enquête menée par le parquet de Bruxelles. Or, selon la loi relative à l’octroi de distinctions dans les Ordres nationaux, «les personnes faisant l’objet d’une procédure judiciaire en matière pénale –information ou instruction– ou disciplinaire ne sont pas proposées pour une distinction dans les Ordres nationaux avant l’issue de cette procédure». De quoi embarrasser le vice-Premier ministre Frank Vandenbroucke (Vooruit): si l’on se réfère au guide sur le port des Ordres nationaux belges, c’est bien sur proposition du ministre compétent, en reconnaissance de mérites particuliers envers la Belgique, que la distinction relative à l’un des trois Ordres nationaux (Léopold, Couronne et Léopold II) est décernée.

«Le ministre approuve une liste de personnes qui sont nommées par les services gouvernementaux pour une distinction honorifique en fonction de leur âge et de leur ancienneté (…) Il ne vérifie pas ces noms individuellement, mais s’appuie sur les procédures suivies par l’administration.»

Interrogé sur cette proposition de nom embarrassante alors que la fonctionnaire visée est par ailleurs censée se trouver sous procédure disciplinaire, le cabinet de Frank Vandenbroucke a d’abord dénoncé auprès du Vif une «information complètement fausse», renvoyant vers le SPF Santé publique en charge de cette «procédure automatique». Avant de rétropédaler. «A plusieurs reprises au cours de chaque législature, le ministre approuve une liste de personnes qui sont nommées par les services gouvernementaux pour une distinction honorifique en fonction de leur âge et de leur ancienneté (…) Il ne vérifie pas ces noms individuellement, mais s’appuie sur les procédures suivies par l’administration. Une erreur a été commise dans la dernière liste (…) et cette erreur a maintenant été corrigée

La fonctionnaire en question «fait partie de cette sélection automatique. Etant donné qu’elle subit une procédure disciplinaire, qui a débuté après le lancement de la vague, son « titre » va devoir lui être retiré», a de son côté, confirmé le SPF Santé publique.

Espionnage

Pour rappel, l’affaire dont il est question tire son nom de l’entreprise Medista, une PME qui fut prestataire de l’Etat pour le stockage et la distribution de vaccins et matériel anti-Covid au plus fort de la crise, avant d’être écartée, au profit de son concurrent Movianto, à l’été 2022, au cours d’une procédure que l’entreprise juge truquée –et qu’elle a contesté, sans succès, devant le Conseil d’Etat.

Mais les soupçons n’ont jamais cessé, Medista s’étant lancée, dans la foulée, dans une opération d’espionnage –caméras cachées et entreprise spécialisée à l’appui– visant à confondre la fonctionnaire et certains consultants travaillant pour le compte du SPF, en particulier chez Deloitte. Avec un certain succès, si bien que l’an passé, un rapport de l’audit fédéral interne (FIA), commandé sous la pression par le ministre lui-même, mettait en exergue le fait que la fonctionnaire visée par ces soupçons a effectivement franchi des limites déontologiques, y compris dans le cas de l’attribution du marché à Movianto. «En recommandant un cabinet d’avocats à Movianto en consultation avec un avocat de Deloitte Legal (NDLR: qui représentait le fédéral), [la fonctionnaire] s’est placée, elle et cet avocat, en conflit d’intérêts pour le reste de la procédure d’appel d’offres», constatait le rapport.

D’autres griefs formulés par le FIA se sont par ailleurs avérés accablants pour le SPF et ses pratiques en matière de passation de marchés publics. «[La fonctionnaire] et ses collaborateurs ne maîtrisent pas, sur certains points cruciaux, les exigences du droit des marchés publics. Il apparaît également, à cet égard, que la formalisation et la documentation au sein de la procédure de passation des marchés sont globalement très insuffisantes», ressortait-il de l’analyse du FIA.

Dossier tentaculaire

Au Parlement fédéral, les conclusions de ce rapport, que le ministre avait dû transmettre dans la foulée au parquet de Bruxelles, avaient fait réagir l’opposition, la députée Kathleen Depoorter (N-VA) dénonçant «le plus gros dossier de fraude» de la législature précédente. Certains partenaires de la majorité s’étaient également montrés sévères envers les pratiques de l’administration et de son ministre de tutelle, telle Marianne Verhaert (Open VLD), qui avait estimé que «le dossier porte atteinte à la déontologie du gouvernement fédéral». «Cela pose des questions pour tous les marchés publics. Comment allez-vous rétablir cette confiance?», avait-elle ajouté, tout en s’interrogeant elle aussi sur le rôle des consultants au sein du SPF. «N’ont-ils pas pointé les infractions? Pourquoi tant d’erreurs?»

A ce volet pénal s’ajoutent aujourd’hui plusieurs autres procédures, Medista ayant intenté des actions pour se faire régler des factures impayées en marge de la gestion et du déménagement du stock stratégique fédéral –aujourd’hui constitué d’un amas de produits périmés et hors d’usage. En attendant sa destruction– désormais bloquée par la justice, un rapport d’huissier, diligenté par un juge bruxellois, est censé trancher un certain nombre de questions. Le SPF Santé publique assure qu’il n’a pas encore reçu ce rapport.

De son côté, Frank Vandenbroucke, s’est, lui, porté partie civile contre Medista pour tentative d’extorsion, suite notamment à l’opération d’espionnage diligentée par la PME pour tenter de confondre la fonctionnaire soupçonnée de malversations.

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