Après trois manifestations où des violences policières ont été dénoncées en moins d’un mois, les syndicats de police veulent remettre les choses au clair avec leur hiérarchie politique. Une rencontre est prévue ce lundi.
Trois manifestations auront ramené sur le devant de la scène la question des violences policières, durant le mois écoulé. La première, le 2 octobre, en soutien à la flottille à Gaza aura démontré la complexité pour les forces de l’ordre de contenir un mouvement spontané et sauvage. La seconde, le 14 octobre, a cristallisé une bonne partie de l’attention des dizaines de milliers de personnes présentes autour des événements violents qui ont surgi à hauteur de l’Office des étrangers. La troisième, le 17 octobre à Anderlecht, aura témoigné que la force fut choisie par la police pour faire face à un blocage organisé pour empêcher l’expulsion d’un squat par un collectif de sans-papiers. Chacune de ces manifestations a fait l’objet de violences policières, selon les participants, et les deux premières d’entre elles ont abouti à 54 plaintes auprès du Comité P (la police des polices).
Ce vendredi, la CGSP ALR (services publics) s’empare du sujet et requiert une commission d’enquête parlementaire sur la question des violences policières. «C’est une demande qui vient également de l’interne, de policiers affiliés qui n’ont pas trouvé l’attitude de leur collègue normale», affirme Muriel Di Martinelli, secrétaire fédérale de la branche syndicale. «Les manifestants pacifiques sont traités comme des ennemis, non comme des citoyens», lit-on dans le communiqué syndical, dénonçant également la technique de la nasse pour laquelle Philippe Close et la zone de police ont été condamnés pour des faits qui se sont déroulés en 2021 (ils ont fait appel). «On tire la sonnette d’alarme. Les violences policières jettent le discrédit sur la profession, ajoute le délégué permanent au sein de la CGSP Police, Patrick Baus, qui comprend les arrestations de casseurs sans en cautionner la violence. Lors d’une arrestation, c’est du policier que doit venir la fin de la violence. On ne peut pas tolérer que des collègues donnent des coups de matraques télescopiques en fer sur des personnes qui sont maîtrisées au sol. »
La CSC appelle à remettre les responsabilités où elles sont
Autant le dire, la commission d’enquête réclamée par la CGSP ne verra pas le jour. L’organisation syndicale rencontrera tout de même Philippe Close (PS) ce lundi et compte bien demander au bourgmestre de Bruxelles de trouver des moyens pour que les policiers fautifs sur le terrain ne bénéficient pas d’une impunité sous couvert qu’une sanction aggraverait encore le sous-effectif connu dans la capitale. Mais, contrairement à la manifestation du 14 octobre, cette sortie médiatique ne se fait pas en front commun syndical, et la CGSP est un peu isolée. Une manière pour les autres syndicats de police de se dédouaner de la question des violences policières?
«Mon objectif est de garder intacte ce droit essentiel et démocratique de manifester tout en veillant également à ce que la ville ne soit pas aux mains des casseurs»
«Ce sont les autorités administratives qui décident du cadre de gestion du maintien de l’ordre, ce sont eux qui donnent le « go » lorsque le seuil de tolérance est atteint, contraste Anthony Turra, responsable du groupe Police au sein de la CSC. Il y a de moins en moins de respect des limites du côté des manifestants, mais de l’autre côté les policiers sont sur les rotules. Ils obéissent à des directives, ce ne sont pas eux qui décident de confiner un groupe.» Si la CSC ne co-signe pas le communiqué de presse publié par le syndicat rouge ce matin, Anthony Turra estime que c’est parce qu’il s’agir d’un «jeu politique qui nous dépasse dans le contexte politique actuel».
Contacté sur ses responsabilités suite aux évènements du mois d’octobre, Philippe Close invite ceux qui l’estiment nécessaire à porter plainte auprès du Comité P, et assure qu’un débrief a été réalisé, comme après chacune des 1200 manifestations annuelles. «Mon objectif est de garder intacte ce droit essentiel et démocratique de manifester tout en veillant également à ce que la ville ne soit pas aux mains des casseurs dont le seul but est de provoquer des incidents.» Le bourgmestre bruxellois refuse pour autant d’entrer en détail sur des faits précis: «Je représente l’autorité disciplinaire et si je devais commenter des incidents en cours de procédure, je serais mécaniquement écarté (pour des raisons juridiques évidentes) de ce rôle». De son côté, la zone de police de Bruxelles répond sobrement que «l’encadrement des manifestations est le fruit d’une concertation entre les différents acteurs concernés, dans le respect du cadre légal et des responsabilités de chacun», et se refuse à tout autre commentaire.
«Dans un contexte de tension sociale, ça met tout le monde sur les dents»
La question des violences policières reviendra certainement sur le tapis, estiment les deux camps syndicaux. «Attendu l’usage disproportionné et répétitif de la force pour dissuader la population de manifester dans le futur, [et que] nous avons déjà dénoncé à maintes reprises ces cas de violences policières, nous craignons une escalade potentiellement dangereuse pour la démocratie», écrit la CGSP. Anthony Turra opine, «au vu du contexte de tension sociale énorme qui met tout le monde sur les dents, ça n’aide pas à détendre l’atmosphère.»
Et en interne, à la police, la question vit déjà alors que la CGSP dénonce que ses affiliés (plutôt des administratifs que des policiers) et délégués essuient des «tracasseries administratives» depuis que le syndicat s’exprime sur le sujet. Patrick Baus recense des évaluations subitement négatives, des rappels à l’ordre, des enquêtes disciplinaires internes et des déplacements de services. Sollicitée à ce sujet, la zone de police de Bruxelles-Ixelles n’a pas commenté davantage. «La question de la violence policière vit dans les rangs en interne, confie Anthony Turra. Les collègues font pourtant de leur mieux mais se sentent jugés ou méprisés. Quand il y a des débordements, c’est toute la structure policière qui est méprisée, et c’est difficile pour les collègues. C’est pourquoi il faut pointer les responsabilités là où elles sont.»