Trente-quatre millions d’euros, c’est ce qu’a coûté à Mouscron son centre culturel. Sept millions et demi, c’est le prix réel de la construction du bâtiment. Tout bénéfice pour l’IEG, l’intercommunale qui a chapeauté le projet et conçu le montage financier.
Situé en plein centre de Mouscron, avec ses arêtes pointues surplombant de grands murs de brique et de verre, le vaste centre culturel Marius Staquet, inauguré en 1990 au cœur du quartier du Christ, résonna en son temps comme un nouveau départ pour la ville et sa région, après une décennie de déclin industriel. Un symbole qui, à l’heure où nombre de communes wallonnes se trouvent sous pression financière, revient malgré lui sur le devant de la scène.
A l’automne dernier, plus de 30 ans après l’inauguration du bâtiment, le financement du Staquet s’est invité soudainement au conseil communal, par l’entremise de la conseillère d’opposition Fatima Ahallouch (PS), depuis lors devenue sénatrice cooptée. Elle s’étonnait du montage financier proposé par l’IEG, l’Intercommunale d’étude et de gestion, maître d’ouvrage du projet, conduisant la ville à payer le bâtiment 34 millions d’euros pour un prix originel évalué à… 7,5 millions. Le deal de départ prévoyait qu’après remboursement du prêt contracté sur 20 ans par l’IEG auprès de la banque Dexia, la commune puisse devenir propriétaire du lieu au terme d’un bail emphytéotique, lui aussi de 20 ans.
Mais en 2007, alors qu’il restait moins de trois millions d’euros à honorer, les deux partenaires ont décidé de proroger le prêt jusqu’en 2020. Officiellement, pour amortir ce dernier et toucher des subsides –qui ne viendront jamais. La commune, censée devenir propriétaire en 2010, ne l’a donc finalement été qu’en 2020, au terme d’une opération financière dont il demeure difficile aujourd’hui de mesurer les bénéfices pour les finances communales.
«Les Mouscronnois n’ont pas fini de passer à la caisse.»
Une convention qui interroge
L’intervention de la socialiste, ainsi que les questions soulevées, ont fait l’objet d’un bref reportage de la télévision locale Notélé l’année dernière, dans lequel l’actuelle bourgmestre de Mouscron, Ann Cloet (Les Engagés), à l’époque échevine des finances, et qui a brièvement présidé l’IEG en 2009, impute le montant colossal payé par la Ville à des «travaux conséquents au niveau de l’infrastructure». De son côté, l’intercommunale pointe la rénovation de la toiture (effectuée en 2017 et estimée à environ 600.000 euros). Au Vif, la bourgmestre fait également valoir l’obtention d’un «équipement culturel majeur», «la maîtrise des charges pendant 30 ans», ou encore la «récupération gratuite du bâtiment au terme de l’emphytéose». Mais sur le montage financier proprement dit, rien, malgré une dizaine de questions précises adressées tant à la bourgmestre qu’à l’IEG.
Au cœur du financement du Staquet et de ce qu’il a réellement coûté à Mouscron, se trouve une convention signée en 2012, qu’a pu se procurer Le Vif. Celle-ci visait à calculer le nouveau loyer mensuel que la Ville devait payer à l’IEG jusqu’en 2020.
Alors qu’il restait en 2007 un solde de trois millions d’euros, et que l’intercommunale payait en moyenne 286.000 euros par an à Dexia depuis cette année-là, la ville a consenti, par cette convention, à payer à l’IEG au moins 109.000 euros (avant indexation) chaque mois, selon un autre document consulté par Le Vif. Sur une base annuelle, Mouscron a donc déboursé pour le Staquet entre 1,1 et 1,5 million d’euros par an entre 2007 et 2020. En plus des quelque seize millions déjà réglés depuis 1990. Le tout pour un «paquebot qui prend l’eau», déplorait alors un conseiller de l’opposition. Lequel s’alarme également que l’entretien incombe à la Ville. Pourtant, la convention était formelle: selon les parties en présence, le bien est en «bon état». Un an plus tard, le patron de l’intercommunale, Michel Franceus (qui fut aussi bourgmestre faisant fonction, aujourd’hui pensionné) contredisait ce constat dans les colonnes de L’Avenir: «Ce bâtiment a 23 ans et il a bien vieilli… comme nous tous! Une réfection est nécessaire.»
Dans le même temps, hormis les quelque 964.000 euros de frais repris dans la comptabilité de l’intercommunale –également consultée par Le Vif–, l’IEG a engrangé au moins un million d’euros de surplus pendant treize ans. Interrogée sur ces données, elle pointe que «la valeur du bien immobilier s’est économiquement appréciée de manière très favorable» et assure que dans tous les cas, un résultat positif bénéficie aux citoyens et à la commune concernée (sous forme de distribution d’un dividende, déduction du compte courant de la commune ou mise en réserve ). «Ces décisions ont été validées en leur temps par chacune des instances respectives sans faire l’objet de remarques de nos autorités de tutelle», se défend la bourgmestre.
Remplir les caisses
Interpellée fin juin dernier par un particulier mouscronnois, la direction de la tutelle financière dépendant de la Région wallonne reconnaît cependant «qu’il y a bien eu un montant de location supérieur à celui du remboursement de l’emprunt existant dans le cadre du leasing immobilier», tout en se rangeant derrière l’argument de l’IEG, qui voit dans cette opération un simple «amortissement» qui aurait «coûté quatre années de location supplémentaires à la Ville de Mouscron».
Cinq ans après que celle-ci en soit devenue propriétaire, l’ombre du Staquet (et son loyer) continue de planer sur les finances mouscronnoises, comme l’a constaté, fin mai dernier, Fatima Ahallouch. En cause, cette fois, le plan de gestion de la ville de 2020 à 2025, qui prévoit qu’«à partir de 2021, ne bénéficiant plus des loyers payés pour la mise à disposition du centre Marius Staquet, l’IEG sollicitera une participation communale de 1,4 million d’euros afin d’assurer le maintien des infrastructures détenues par l’IEG sur le territoire mouscronnois.» Et cette fois, sans convention. «A quoi correspond ce montant?», s’est interrogée la socialiste, concluant: «J’ai envie de vous dire que je pense que les Mouscronnois n’ont pas fini de passer à la caisse.»