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Nethys: Nice-Matin dénonce des anomalies

Nethys aurait vendu le groupe de presse Nice Matin à Xavier Niel en-dessous de l’offre de Privinvest, l’investisseur soutenu par le personnel. Nice-Matin demande la révision du deal.

Dans un courrier du 22 octobre dernier que Le Vif/L’Express a pu lire, Jean-Marc Pastorino, président du directoire du groupe Nice-Matin, demande aux nouveaux administrateurs de Nethys s’il est possible d’envisager une révision de la vente de 34 % de son journal à NJJ, la holding personnelle de Xavier Niel, principal actionnaire de Free et copropriétaire du journal Le Monde et actionnaire du Nouvel Obs. Le magnat français de la presse et des télécoms a racheté 51 % des parts de Nethys dans L’Avenir Développement (AD) où sont logées ses participations dans Nice-Matin (34%) et La Provence (11%).

Avec 49 %, Nethys est donc devenu minoritaire dans AD. L’ex-CEO de Nethys Stéphane Moreau y siège toujours comme administrateur, mais peut-être plus pour longtemps. Il lui a été demandé de se retirer de toutes les filiales de Nethys. Va-t-il s’exécuter ? Les autres administrateurs « liégeois » de AD – Bénédicte Bayer, Marc Beyens, Jozef Donvil et Michel Marteau – ont démissionné lors de la formalisation de la transaction, le 12 juillet dernier. La démission de Pol Heyse (président) était déjà effective depuis le 4 juillet.

Un souci de plus pour le trio Jean-Pierre Hansen- Laurent Levaux- Bernard Thiry qui a remplacé au pied levé les anciens administrateurs de Nethys. Ces derniers avaient avalisé les ventes controversées de Voo (câblo-opérateur), Elicio (éolien en mer) et Win (services informatiques), annulées, comme on sait, par le nouveau gouvernement wallon, le 6 octobre dernier. Le juge liégeois, Frédéric Frenay, chargé d’enquêter sur de possibles abus de confiance, prise illégale d’intérêt et association de malfaiteurs, a également reçu une copie du courrier du PDG de Nice-Matin.

Bien que les sommes en jeu ne soient pas du même ordre que dans les dossiers Voo, Elicio et Win, le Niçois a décelé des anomalies de même nature dans la cession des parts de Nethys à Xavier Niel. Il souhaite que le gouvernement wallon, Nethys et la justice belge se penchent sur ce deal qui a été réalisé à son insu et dans le dos du personnel qui détient 66 % du capital de Nice Matin. Le groupe de presse azuréen est, en effet, une société coopérative. A l’époque, pour sauver leur outil de travail, 450 salariés-propriétaires y ont laissé un mois de salaire. Aujourd’hui l’entreprise a un besoin urgent d’argent frais et d’un plan d’investissement ambitieux. Ce qu’offrait manifestement le candidat évincé au bénéfice de Xavier Niel : Iskandar Safa.

Extraits du courrier de Jean-Marc Pastorino.

« Alors même que Messieurs Meyers, Moreau et Heyse avaient pris l’engagement d’informer l’administrateur de toute éventuelle négociation avec un tiers, alors même que le pacte d’actionnaires liant Avenir Développement et la SCIC Nice Matin instaurait une procédure d’agrément, le choix de vos prédécesseurs fut de contourner ces engagements loyaux qui garantissaient à l’actionnaire restant de bénéficier d’un droit de regard sur l’actionnaire entrant. Des négociations déloyales sans la moindre mise en concurrence sont intervenues à une vitesse inédite (à peine quelques jours). »

« En agissant de la sorte, vos prédécesseurs ont imposé un repreneur au journal Nice Matin et surtout à ses salariés actionnaires sans que les intérêts de l’entreprise ne soient pris en considération. »

« Dans le cadre de la cession de l’actif (…), il ne semble pas apparaître de consultation préalable des actionnaires publics et de la société holding du groupe Nethys et encore moins une mise en concurrence, alors même qu’un autre acquéreur avait manifesté son intention d’acquisition. »

« Cette situation anormale paraît équivalente à celle dénoncée par les autorités publiques lors de la cession des actifs Voo, Win et Elicio. »

Cela « a conduit à éloigner le projet élaboré depuis de longs mois et garantissant la pérennité du journal au profit d’une incertitude durable qui laisse craindre de graves désordres économiques et des menaces sur les 850 emplois du groupe. »

« C’est la raison pour laquelle je vous remercie de me faire connaître la position de la société Nethys, nouvellement administrée, sur les actes de cession intervenus ce 12 juillet 2019 entre Nethys et la société NJJ. »

« Une remise en question est-elle envisageable ? »

« Une mise en concurrence loyale entre les offres est-elle encore envisageable ? »

Fin des citations.

Qui était le candidat acquéreur plébiscité par l’assemblée générale de Nice Matin et son management, validée par l’administrateur judiciaire du groupe et le tribunal de commerce de Nice ? Un autre poids lourd français : Iskandar Safa, à la tête d’un groupe international de construction navale (Privinvest), grand propriétaire terrien à Mandelieu-la-Napoule et propriétaire de l’hebdomadaire Valeurs actuelles (Privinvest Médias). Il aurait pu faire fuir les salariés de Nice Matin. Il n’en a rien été car garantissant l’emploi des 850 travailleurs, avec un business plan sur cinq ans qui pérennisait le quotidien et la promesse de respecter son indépendance éditoriale. D’abord limitée à 16,4 millions d’euros, son offre est remontée à 20,9 millions d’euros, le 12 juin 2019, lorsque les représentants de Nethys ont créé la surprise en annonçant tout de go qu’ils disposaient d’une offre concurrente pour le rachat de la société L’Avenir Développement, sans mentionner la hauteur de cette offre. Un vrai coup de théâtre. Tous les protagonistes, entourés de leurs conseils, étaient réunis ce jour-là au cabinet de l’administrateur judiciaire, Xavier Huertas, rue Lamartine, à Nice, dans le cadre de la procédure de sauvegarde du groupe Nice-Matin. Outre Me Huertas, étaient présents Jean-Marc Pastorino et Jean-François Roubaud (dirigeants de Nice-Matin), Pierre Meyers (président du CA de Nethys), Stéphane Moreau (ceo de Nethys), Pol Heyse (président de L’Avenir Développement) et Iskandar Safa (Privinvest). Le renchérissement de Safa a été vain. Sur papier, la cession des parts à Xavier Niel a eu lieu le même jour, mais elle fut probablement conclue le 16 juin. Le personnel et les cadres de l’AFP l’ont appris par une dépêche AFP.

Selon le compte-rendu de cette réunion, les engagements de Nethys dans Nice-Matin étaient estimés à 20,9 millions d’euros ventilés comme suit : 3,4 millions en capital, 17,5 millions sur le compte courant. Si le management de Nethys estimait alors la valeur de son investissement dans Nice-Matin à 20,9 millions d’euros et que, pour le groupe La Provence, il tourne autour de 7 millions d’euros (5,2 ou 5,5 millions en capital et 1,6 million sur le compte courant), le groupe liégeois aurait logiquement dû récupérer la moitié des 27 ou 28 millions d’euros investis dans le sud de la France.

François Fornieri, membre démissionnaire du conseil d’administration de Nethys, n’a-t-il pas soutenu sur un plateau de télévision que « Nethys n’avait rien perdu ni rien gagné non plus » ? En est-on si sûr ? Le montant de la transaction n’a jamais été rendu public. Le bruit court avec insistance que Xavier Niel aurait acquis les deux titres de journaux, La Provence et Nice Matin pour une somme inférieure à celle que proposait Iskandar Safa pour le seul Nice Matin. Soit, moins de 20 millions d’euros.

Dans un jeu de documents dont Le Vif/L’Express a eu connaissance figure une copie du « registre des titres d’AD mis à jour après le transfert et faisant apparaître NJJ Holding comme actionnaire majoritaire ». Ce registre des titres comporte à la date du 12 juillet les signatures de Anthony Maarek (NJJ) et de Stéphane Moreau (Nethys) avec la nouvelle répartition du capital 51-49, sans mention dans les colonnes ad hoc de la valeur de souscription et des versements effectués. A la ligne précédente, en date du 11 juin 2019 (il s’agit d’un registre rempli manuellement), figure l’ « augmentation de l’action détenue par WBCC » (le call-center de Voo) : une action sur 100, valorisée et payée 55 615 euros.

En juin dernier, le capital de L’Avenir Développement était donc de 5 561 5OO euros. Faut-il en déduire que Nethys a retiré 2,8 millions d’euros des titres vendus à Xavier Niel et qu’en est-il du produit de la vente des parts de AD dans Nice-Matin et La Provence ? Il se pourrait que les actionnaires publics liégeois n’aient pas récupéré leur mise, loin de là.

L’affaire est entre les mains du ministre de tutelle des Pouvoirs locaux, Pierre-Yves Dermagne (PS). Lui aussi a été alerté par le président du directoire de Nice Matin. « Le dossier est analysé par l’administration depuis le 23 octobre, indique son porte-parole. Nous attendons ses conclusions avant toute décision. »

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