Alors que la réforme portée par la ministre de l’Asile et de la Migration Anneleen Van Bossuyt (N-VA) prévoit une hausse des frais de naturalisation et un durcissement des conditions d’accès à la nationalité belge, plusieurs communes enregistrent un afflux de demandes avant son entrée en vigueur.
A Uccle, les demandes de naturalisation se sont envolées. L’échevine de l’Etat civil Carine Gol-Lescot (MR) évoque une augmentation de plus de 60% entre début avril et mi-juillet: 2.282 dossiers déposés, contre 1.430 à la même période. «Pour le moment, environ 500 demandes remplissent les critères légaux. Les 1.700 restantes sont suspendues ou classées. Si tous les documents sont là, on ne refuse pas. Si on refuse, c’est que la personne ne parle pas assez bien la langue, ne vit pas ici depuis assez longtemps ou ne satisfait pas aux conditions légales», détaille l’échevine uccloise.
Ce regain d’intérêt coïncide avec la réforme des conditions d’accès à la nationalité belge votée par la Chambre le 17 juillet. Dès sa publication au Moniteur belge, les frais passeront de 150 à 1.000 euros. Le texte prévoit également une exigence linguistique renforcée (passage du niveau A2 à B1), l’introduction d’un test de citoyenneté portant sur la démocratie, les institutions et les droits fondamentaux, ainsi que de nouveaux motifs de refus liés à l’ordre public ou à des irrégularités administratives.
Ces éléments s’ajoutent aux critères déjà existants: résidence légale d’au moins cinq ans, ancrage économique (468 jours de travail) et preuve d’intégration sociale. Cette dernière peut être démontrée par un diplôme belge, un parcours d’intégration reconnu (cours de langue ou de citoyenneté), ou l’exercice d’un emploi régulier. Il ne suffit pas de résider en Belgique, une participation active à la vie économique, associative, culturelle ou sportive est requise.
Pour le Centre fédéral Migration (Myria), cette augmentation des tarifs comporte des risques déjà documentés et communiqués aux administrations fédérales. «Ces frais ne sont pas remboursés, même si la demande est refusée, et doivent être payés à chaque nouvelle demande. Nous attirons l’attention sur le risque de traitement différent basé sur la fortune et l’impact défavorable pour l’accès des femmes à la nationalité belge. Les risques, y compris le caractère indirectement sexiste de la mesure, sont logiquement démultipliés en proportion du montant à payer.»
«Epargner des démarches à ses enfants»
A Schaerbeek, la permanence du jeudi attire une affluence inhabituelle. Les rendez-vous sont complets pour les six semaines à venir. Sophie, Française, mère de deux enfants et résidente à Bruxelles depuis une dizaine d’années, n’a d’autre choix que d’attendre son tour. «Cela fait un moment qu’on parlait avec mon mari de se faire naturaliser. Je suis en pleine réorientation professionnelle et je n’ai pas envie de passer à côté d’une opportunité dans le public parce que j’ai une simple carte de résidence. Et puis je pense à mes enfants, je veux leur épargner des démarches administratives pour plus tard. Si je me naturalise, ils seront automatiquement belges. Puis je ne vais pas dépenser 1.000 euros pour une naturalisation. Je ne pourrais pas me le permettre.»
Schaerbeek concentre une importante population étrangère issue de l’Union européenne: 47.2% des résidents non belges sont des ressortissants européens, contre 66% à Uccle. Les nationalités les plus représentées sont les Français, Italiens, Espagnols, Roumains, Bulgares, Polonais et Portugais. «Le cas typique, c’est quelqu’un qui vit ici depuis longtemps, mais qui, poussé par la hausse des frais, franchit enfin le pas», constate l’échevine uccloise.
Une citoyenneté pas toujours nécessaire
Pour d’autres, cette urgence de naturalisation n’a pas lieu d’être. Ruben, fonctionnaire espagnol à la Commission européenne, installé à Etterbeek depuis 2009, ne prévoit pas de demander la nationalité belge: «J’ai toujours eu accès aux soins, à l’école, à mon emploi. Je vote aux communales, je n’ai jamais eu à prouver quoi que ce soit pour vivre ici. Je préfère garder ma nationalité espagnole».
Bruxelles abrite une importante population européenne stable, notamment dans les quartiers d’Ixelles, Etterbeek ou Saint-Gilles, où entre 33% et 38% des habitants sont des ressortissants européens non belges. «Beaucoup vivent ici depuis dix ou quinze ans, avec un statut sécurisé par les règles de libre circulation. Pour ces profils, la nationalité belge ne change ni leur droit au séjour, ni leur accès à l’emploi, ni leur carte d’identité. Et le coût futur, bien plus élevé, peut devenir un facteur de découragement. S’ils ne le font pas maintenant, on peut imaginer qu’ils ne le feront jamais», expliquent les autorités communales d’Ixelles.
Peu franchissent le pas
Selon le dernier rapport du Centre fédéral Migration, seules 2,9 personnes sur 100 étrangères vivant en Belgique ont acquis la nationalité en 2023. La tendance est encore plus marquée chez les Européens de l’Ouest: seuls 0,6% des Français, 2,3% des Italiens et 2,2% des Espagnols résidant en Belgique ont été naturalisés l’an dernier. A l’inverse, les Roumains (13,2%), les Afghans (11,8%) ou les Congolais (17,2%) franchissent davantage le pas.
La naturalisation reste donc une démarche marginale, même après plusieurs années de résidence. A Uccle, les services constatent que les nouveaux dossiers émanent surtout de résidents de longue durée, rarement de nouveaux arrivants. «Le durcissement des conditions agit ici comme un déclencheur administratif», constatent les autorités d’Uccle et de Schaerbeek.
Pourquoi se naturaliser?
Obtenir la nationalité belge ouvre des droits spécifiques: le droit de vote aux élections régionales et fédérales, l’accès à certains concours dans la fonction publique, une carte d’identité valable dix ans, ainsi que la possibilité de transmettre automatiquement la nationalité à ses enfants mineurs. Elle garantit aussi une sécurité accrue face à des situations instables (rupture de contrat, perte de résidence fiscale, etc.) et n’implique pas de renoncer à sa nationalité d’origine, la Belgique reconnaissant la double nationalité.
Mais la citoyenneté belge n’est pas une nécessité pour tous. Les ressortissants de l’Union européenne bénéficient déjà de la libre circulation, de l’accès au marché du travail et à l’enseignement, et du droit de vote communal.
La réforme portée par Anneleen Van Bossuyt (N-VA), ministre de l’Asile et de la Migration, s’inscrit dans une volonté politique assumée: rendre la naturalisation plus sélective, alignée sur les critères en vigueur aux Pays-Bas ou en Allemagne. Comme annoncé par l’élu nationaliste flamande, l’objectif est de «restreindre l’accès à la nationalité aux personnes qui remplissent à la fois des critères d’intégration, de stabilité administrative et de contribution économique. Nous voulons mettre en place la politique d’asile la plus stricte jamais connue.»