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Métro bruxellois : la ligne 6, le tronçon « maudit »

La ligne de métro Simonis-Roi Baudouin, au nord-ouest de Bruxelles, est le « tronçon noir » de la Stib. Le Vif/L’Express a arpenté la ligne 6 du réseau souterrain. Reportage.

SIMONIS, UN MERCREDI, 13 HEURES

Fin des cours : une foule d’adolescents prend le métro d’assaut. Deux écoliers bloquent la fermeture des portes et le métro reste à quai. Impossible de repartir. « Tu démarres ! » commandent les plus jeunes en rigolant. « Les chefs nous incitent à ne pas sortir de la cabine, relève Jamal, 41 ans, conducteur de métro. Parfois, il vaut mieux : un jour, à la station Roi Baudouin, un passager a lâché son rottweiler contre le conducteur. » Avec cinq minutes de retard, la rame s’ébranle. Direction Roi Baudouin.

Jamal conduit la ligne 6 depuis trois ans et connaît ses « petits démons » âgés de 12-16 ans. Au terminus, il explique : « Le mercredi, ils sont plus excités. Mais le quotidien, c’est les insultes et les jets de canettes. On s’est habitué. »

Des problèmes en recrudescence. Selon les chiffres fournis par le cabinet de Brigitte Grouwels (CD&V), ministre régionale des Transports, aux députés bruxellois, 698 agressions physiques ont eu lieu dans le métro l’an dernier, contre 437 en 2009. D’autres chiffres récents indiquent qu’en 2010, le nombre de délits enregistrés a augmenté de 9,5 % à Simonis, de 40,5 % à Bockstael et de 133 % à Stuyvenberg… « C’est l’effet uniforme. Et pour rien arranger, on a l’étiquette fonctionnaire, un boulot stable et un salaire tous les mois. A la fois tout ce qu’ils rejettent et tout ce qui les fait fantasmer. » Pour Robert Timmermans, délégué syndical CSC-Services publics, la Stib et ses agents seraient ciblés par les jeunes, comme la police.

Tous les agents en contact avec le public reçoivent, au cours d’un séminaire de deux jours, un stage de « gestion des situations conflictuelles », qui n’est pas renouvelé. « Ce qu’on y apprend est très sommaire, note Steve : doser la réponse, faire la différence entre ce qui relève de l’incivilité brute et du manque de civilité… Mais les collègues qui s’arcboutent sur le règlement ont des problèmes. »

HEYSEL, UN JEUDI, 17 HEURES

Un passager râle : une jeune fille, MP3 à fond, a les pieds posés sur la banquette – c’est 75 euros d’amende. « Enlevez vos pieds, mademoiselle », fulmine la dame. Les passagers ne mouftent pas. « Eh, la veille, ça va, faut juste demander », glisse la demoiselle mezza voce. Dans ce wagon-là, l’insécurité se résumera à cette incivilité.

Rien à voir avec un pavé jeté sur le pare-brise d’une rame à la station Houba-Brugmann, en début d’année. Ni avec le passage à tabac d’un agent de sécurité par dix jeunes à la station Simonis, en avril. Ou la mise à sac de la station Heysel, en juin, par une cinquantaine de jeunes, de retour de l’Euroferia. La ligne 6 a été la première à être sécurisée par des vigiles privés, appelés en renfort. Coût : 145 000 euros, à charge de la Région. Depuis leur départ à la fin juin, plus rien. Preuve de l’efficacité du dispositif ? « C’était une démonstration de force pour rétablir la sécurité. Il fallait rassurer les usagers et les conducteurs. Mais pour l’instant, ça a marché, il n’y a plus d’incidents », souligne Jean-Pierre Alvin.

Depuis la fin juin, la Stib a donc repris le flambeau et promet une task-force dédiée à la sécurité. Le service compte aujourd’hui 140 agents de sécurité, chargés notamment de l’intervention et du contrôle des tickets. « On a aménagé les horaires, de manière à permettre de faire autre chose qu’un 8-17, et à pouvoir intervenir en soirée, là où la majorité des problèmes se produisent. » Un dispositif renforcé par l’arrivée de quarante nouveaux agents – huit sont déjà en fonction, dix autres devraient débarquer cette semaine.

Le pouvoir des agents de sécurité est « large ». Ils ont le droit de demander une pièce d’identité, d’en prendre une copie. L’usager peut s’opposer au contrôle, il est retenu en attendant l’intervention de la police. « Le problème, c’est que les policiers ne sont pas assez nombreux, c’est pourquoi ils mettent un certain temps à réagir. D’ailleurs, ils sont seulement de passage. Quand il y aura un problème sur une autre ligne, ils ne seront plus sur la 6 », souligne Pierre Timmermans.

ROI BAUDOUIN, UN VENDREDI, 21 HEURES

Guère de guichets. Juste un automate. « La présence humaine est pourtant irremplaçable », souligne Christiane, 63 ans. Cette familière de la ligne 6 reconnaît avoir « un peu peur, surtout le soir ». « Je me mets sur un autre mode. Je regarde derrière moi, je fais davantage attention. Même si c’est inconscient. » Ce soir-là, la station est fermée, sans explication ; la nuit est bien avancée. Elle devra attendre plus de vingt minutes pour voir arriver son bus, le 88. « Il faut se mettre bien à la lumière, sinon, à cette heure-là, le chauffeur risque de ne pas s’arrêter. »

Ici comme ailleurs, l’insécurité est souvent un sentiment plutôt qu’une réalité. Mais si les agressions physiques à l’encontre des agents de la Stib ont augmenté, ce sont les usagers les plus touchés. Sur les 698 agressions enregistrées dans le métro, 615 concernaient les clients. Les actes de délinquance les plus fréquents sont les vols de portables et d’effets personnels (les clients du complexe Kinépolis sont une « cible de choix »). En revanche, il y a peu d’agressions sexuelles, du moins déclarées. La Stib n’a pas lésiné sur les moyens : caméras dans toutes les stations, vidéosurveillance « embarquée », bouton d’alerte actionnable en cas d’incident… Mais le renforcement de la sécurité n’a pas d’effet miraculeux. « On constate, partout, que l’augmentation du nombre des caméras embarquées et de vigiles a fait sortir la violence du métro. On la retrouve à l’extérieur, en surface, voire dans d’autres secteurs du métro », remarque Jean-Pierre Alvin, porte-parole de la Stib.

BELGICA, UN SAMEDI, 23 HEURES

Un jeune vomit, un deuxième, éméché aussi, s’assoit et caresse la tête de son voisin. « Je t’ai touché la tête pour te dire bonsoir », lui explique-t-il. Amina, infirmière de 38 ans dans un hôpital tout proche, emprunte la ligne deux fois par jour. « Il peut ne rien se passer pendant des mois et après, ce sont insultes, menaces, bousculades plusieurs voyages de suite. Ça se déclenche souvent par : « Tu veux ma photo ? ». »

Les conducteurs gèrent 66 rames, ainsi que 350 000 voyageurs par an dans la région, et la Stib n’échappe pas aux problèmes des grands centres urbains. Les lignes les plus problématiques sont celles où se concentrent les cités difficiles, là où le prix de l’immobilier est le plus bas et le taux de chômage le plus élevé, comme à Laeken. « Nous ne pouvons nous situer que par rapport à ce qui se passe dans la société dans son ensemble », remarque Jean-Pierre Alvin. Sur le lieu traversé par la ligne 6, on a constaté que les jeunes qui traînent sont très souvent en décrochage scolaire. » Christophe Mincke, criminologue, constate lui aussi que ce qui se passe dans les métros est le reflet de la réalité extérieure. « Le métro est un huis clos qui peut engendrer des situations particulières. Il exacerbe certains comportements dans la mesure où les voyageurs sont contraints de vivre les uns avec les autres. Il est l’endroit dans lequel on prévoit plus tôt les grandes mutations de la société. »

SORAYA GHALI

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